Dans Le sultan est dans l'escalier, un Marseillais déclassé se prend pour le descendant d'un roi blanc africain. Une ficelle dramaturgique pour réfléchir à l'histoire coloniale de la porte de l'Orient. Avignon, (France) De notre correspondant
L'écrivain Gilles Ascaride a aussi été professeur de sociologie. Sa thèse de doctorat avait porté en son temps sur la ville précaire, autour de la question des foyers et des hôtels de travailleurs immigrés dans le centre de Marseille. Le Marseille façonné par son passé de ville ouverte sur l'empire colonial français l'a toujours vivement intéressé. Dans Le sultan est dans l'escalier, une pièce montée lors du Festival d'Avignon, il remonte dans le temps par le biais d'un personnage déclassé qui se prend pour le descendant d'un Marseillais, devenu roi d'une contrée guinéenne. L'idée de départ est vraie. Un notable, enfant de la bourgeoisie locale, entreprit à la fin du XIXe siècle l'exploration du Foutah-Djalon, en Guinée. Ingénieur, précurseur de la conquête coloniale, il devint roi du Kahel, régna et frappa monnaie. Une stèle a d'ailleurs été élevée à sa mémoire à Mamou, en Guinée. «On parle souvent de Marseille sur un mode de clichés», nous a-t-il déclaré à l'issue d'une représentation où le rire fusait au rythme de cette histoire décalée. «On a tendance à oublier que Marseille est une métropole coloniale, qui a fait sa fortune avec les produits et la force de travail de l'Afrique et de l'Asie et qui s'est enrichie de cette manière. Marseille n'a pas reconstruit une nouvelle identité depuis qu'elle a été la porte de l'Orient.» Planète mars...Eille Rien d'étonnant que son personnage, Frédéric Audibert se sente emporté par un rêve de grandeur, lui qui a perdu son travail et qui se sent perdu, esseulé dans son immeuble où personne ne l'entend. «Dans l'histoire que je raconte avec son côté clownesque, exagéré, cet homme dit : ‘'pourquoi est-ce que personne ne veut m'écouter ? Si jamais c'est vrai ce qu'il dit sur son ancêtre roi, cela peut facilement être vérifié.L'histoire coloniale est remplie d'aventuriers, mais ce sont des histoires vraies que personne ne veut écouter, car Marseille ne veut pas voir cette histoire en face. Quand je dis dans mon texte qu'on a rasé le musée colonial, c'est vrai. On a dispersé les collections, mais une part de la ville se trouvait là. On aurait pu réorganiser ce musée et l'intégrer dans l'histoire de la ville''». Gilles Ascaride, né en 1947 dans cette ville, a vécu le mélange des origines, lui qui est Italien : «Je me suis dis comment raconter la ville avec tous ses errements et l'histoire d'un homme complètement déclassé, qui n'est rien et qui voudrait être tout. Que peut-on alors vouloir de plus que d'être le roi ?» Rencontre des deux rives En fait, c'est une histoire complètement marseillaise, tout dans l'exagération, mais qui donne pourtant à réfléchir : «Marseille a toujours été et sera toujours une ville cosmopolite. A la fin de la rente coloniale, la ville n'a pas su se réorganiser quand il fallait. Marseille pêche de ne pas avoir su établir de véritables relations avec l'en face : l'Algérie, le Maroc ou la Tunisie... On nous parle depuis peu d'Euro-méditerranée, mais bon… Là, je parle comme sociologue, pas comme écrivain.» En tout cas, la pièce d'Ascaride nous rappelle que dans deux ans, en 2013, Marseille sera capitale européenne de la culture, et on n'a pas pu s'empêcher d'insérer dans la programmation cette dimension méditerranéenne avec les apports qui ont fait la ville. L'auteur acquiesce : «Marseille est un lieu de rencontre des rives de la Méditerranée. Ça colle à Marseille, mais les élites et les édiles ne veulent pas reconnaître que cette dimension, c'est la ville. Si on veut en faire une autre ville, on n'y arrivera jamais, car si on veut nettoyer la ville de ses étrangers, des gens venus d'ailleurs, des pauvres, le géant atlas n'y suffirait pas… »