Le colloque international sur le printemps arabe organisé conjointement par le quotidien El Watan et l'Institut Maghreb-Europe de l'université Paris VIII, présidé par l'éminent professeur Aïssa Kadri, les 23, 24 et 25 septembre, a été indéniablement un grand moment de l'histoire du débat d'idées qui réunit, depuis l'avènement du multipartisme, universitaires, journalistes et experts algériens avec leurs homologues étrangers (je compte y revenir plus en détail prochainement pour parler du fond). Trois jours durant, dans une atmosphère de liberté, de connivence, de «convivance» même et surtout de fraternité rarement atteinte en des circonstances comparables, universitaires et experts algériens, marocains, tunisiens, égyptiens, syriens, français, britanniques et américains ont traité avec une grande maîtrise le sujet de la transition (ou des transitions) des pays arabes vers la démocratie depuis les turbulences commencées en Tunisie en décembre 2010 jusqu'au soulèvement des populations syriennes que le pouvoir central a choisi de mater dans le sang.Omar Belhouchet, Mohamed Hachemaoui et Aïssa Kadri ont fait preuve d'une rare compétence dans la conception et le management des six panels autour desquels se sont ordonnées les différentes problématiques du colloque. Enfin, pour un colloque ouvert au public, pas un seul incident ne s'est produit. Les nombreuses divergences de vue qui se sont exprimées (quand ce ne serait qu'à travers l'opposition binaire entre les experts voyant dans les révoltes arabes un signe de la profonde maturité des opinions publiques de nos pays et ceux qui, à l'inverse, arguaient que ces révoltes avaient été téléguidées par un Occident hanté par l'annonce de sa décrépitude) ont démontré à l'envi que le quotidien El Watan entendait organiser un véritable débat contradictoire, hors des sentiers battus et des postulats convenus pour tenter de mettre au jour les mécanismes internes qui commandent aux mutations des sociétés arabes dont les responsables successifs sont parvenus au terme d'une aventure dont le bilan est hélas profondément négatif. De ce seul point de vue, le succès du colloque des 23, 24 et 25 septembre est immense et souligne a contrario l'apathie et l'indolence des responsables de l'université algérienne (mais non évidemment de ses enseignants et chercheurs) à organiser des débats d'idées et des confrontations scientifiquement fécondes. Les deux principaux maîtres d'œuvre du colloque (Omar Belhouchet et Mohammed Hachemaoui) ont vivement regretté l'absence de l'ancien ministre de l'Economie et des Finances du gouvernement de Mouloud Hamrouche, Ghazi Hidouci, un des principaux invités du colloque, dont l'apport, selon eux, aurait été immense eu égard à sa connaissance intime de l'expérience des transitions politiques et économiques dans les pays arabes. Personne ne peut comprendre l'ostracisme dont est victime ce grand commis de l'Etat. A notre meilleure connaissance, son seul crime est d'avoir exprimé publiquement, et souvent avec beaucoup de sévérité, les choix politiques et économiques de l'Algérie depuis l'interruption du processus électoral, mais il serait faux d'affirmer ou de laisser entendre que ses critiques sont focalisées aujourd'hui sur la personne du président de la République, lequel, qu'on le veuille ou non, parce qu'à son tour instrumentalisé, commande de moins en moins aux hommes et aux choses. Jusqu'à plus ample informé, Ghazi Hidouci n'est l'objet d'aucune information judicaire. Il n'est mêlé à aucune affaire à laquelle la justice algérienne serait fondée à s'intéresser. Son intégrité morale et sa probité sont de notoriété publique. Si la justice algérienne a des griefs à son encontre, qu'elle les mette donc sur la place publique et nous verrons bien. Il est en tout cas pathétique (le mot n'est pas excessif) qu'un ancien ministre de l'Energie et des Mines, qui a entassé force cadavres dans son placard, puisse entrer en Algérie sans être inquiété par la police judicaire lorsqu'un ancien ministre de l'Economie qui, lui a rendu d'inestimables services à son pays, est frappé d'opprobre, au mépris de tous les principes de droit. Enfin, il est triste que les anciens compagnons de route de Ghazi Hidouci ainsi que les démocrates autoproclamés que compte désormais l'Algérie par dizaines de milliers depuis l'avènement des «printemps arabes» n'aient pas encore réagi à cet arbitraire. C'est, en tout cas, tout à l'honneur d'El Watan et de son directeur d'avoir dénoncé un véritable abus de droit. Si le colloque d'El Watan a été un immense succès (et tous les participants appellent de leurs vœux la publication des actes de ce colloque), on se permettra ici quelques suggestions pour l'avenir. Et si je m'autorise à le faire, c'est parce que je me considère comme un des nombreux amis intimes d'El Watan. Afin que «l'Algérie de l'intérieur» ne se sente pas trop marginalisée, il conviendrait, sans doute, de l'associer davantage à «l'Algérie de la diaspora» dont l'apport au développement du pays et à son enrichissement culturel est colossal, comme l'ont démontré de façon éloquente les remarquables interventions de Aïssa Kadri, Mohammed Harbi, Omar Carlier ou Fatiha Talahite. Certains participants, dans la salle, ont regretté par exemple l'absence, en qualité de communicants, de Daho Djerbal (certainement un des meilleurs historiens de sa génération et un grand militant des droits de l'homme), Abdelmadjid Merdaci (un de nos plus brillants intellectuels), Mohamed Lakhdar Maougal, Abdelaziz Rahabi, Mokrane Aït Larbi, Djillali Hadjadj (dont l'expertise dans le domaine de la corruption est immense), Mohamed Saïb Musette (le plus éminent spécialiste algérien des migrations), Fathia Benabbou (une des meilleures expertes algériennes du droit constitutionnel) ou encore Rachid Tlemçani (présent certes au colloque, mais il est vrai aussi membre du Conseil scientifique du colloque sur le printemps arabe organisé par le SILA). Certains ont aussi regretté l'absence du directeur de Liberté, Abrous Outoudert, connu pour son engagement en faveur de l'émancipation des peuples arabes, de Slim Othmani (certainement le patron d'entreprise le plus cultivé et le plus libéral, dont l'audience auprès des chefs d'entreprise est immense). D'autres, enfin, auraient souhaité que fussent présents, toujours comme intervenants, deux anciens chefs de gouvernement connus pour leur attachement aux libertés et qui ont dû le payer de leur éviction du pouvoir : Ahmed Benbitour et surtout Ali Benflis. Certes, on ne peut inviter toutes les personnalités marquantes de l'Algérie et les travaux du colloque étaient ouverts à tout le public, sans parler du fait que certaines de ces personnes n'étaient peut-être pas disponibles. Mais je crois savoir qu'El Watan, qui va organiser d'autres débats (probablement, dit-on, à l'occasion du premier anniversaire du printemps arabe), élargira la palette des intervenants à l'«Algérie de l'intérieur» (celle qui ne veut pas ou ne peut s'expatrier). Quoiqu'il en soit, un très grand bravo à Omar Belhouchet et aux journalistes d'El Watan qui se sont battus avec un grand courage contre tous les anathèmes et les excommunications émanant d'une presse hostile au progrès et à la liberté. Un grand bravo à Mohammed Hachemaoui qui a su manager avec brio les trois journées du colloque ; un grand bravo aussi à Mustapha Benfodil, dont l'art de la synthèse et de la concision fait de lui une des plus belles plumes de ce pays ; enfin, au professeur Aïssa Kadri qui se dépense sans compter depuis 20 ans pour faire bénéficier étudiants et enseignants algériens de l'expertise étrangère (celle des universités européennes), non pas seulement dans l'indifférence de l'administration algérienne, mais après avoir dû surmonter moult obstacles délibérément créés par elle, ce qui est proprement scandaleux. A coup sûr, Aïssa Kadri mérite toute la reconnaissance des Algériens. Ce colloque a été d'un apport inestimable au débat démocratique et les Algériens peuvent être fiers de disposer d'une presse réellement indépendante. Gageons que le colloque que pourrait organiser El Watan dans six mois sera couronné d'un succès encore plus grand.