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Al Jazeera dans la tourmente des révolutions arabes
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Publié dans El Watan le 18 - 11 - 2011

La chaîne d'information continue Al Jazeera, qui a incontestablement révolutionné le paysage médiatique arabe, s'est retrouvée pour le quinzième anniversaire de sa création au cœur d'une polémique. Sa couverture des révoltes et révolutions arabes lui a valu de vives critiques et de graves accusations que le nouveau directeur de la chaîne, l'Algérien Mostefa Souag, réfute en bloc dans l'entretien qu'il nous a accordé.
Faux témoignages, images truquées, deux poids, deux mesures dans le traitement de l'information. La plus importante chaîne de télévision d'information continue dans le monde arabe est depuis quelques mois accusée de graves manquements à la déontologie. Si le Printemps arabe a permis à Al Jazeera d'améliorer son image en Occident, la chaîne a perdu de sa crédibilité auprès d'une partie de son public arabe, ainsi que quelques plumes et son directeur général. A la tête d'Al Jazeera depuis huit ans, Wadah Khanfer en avait fait une chaîne d'envergure internationale. Mis à mal par un câble WikiLeaks révélant sa complaisance envers les Etats-Unis dans le traitement de l'information, il présente sa démission le 20 septembre dernier.
Pourtant, en 2003, l'année de l'invasion de l'Irak, ce Jordano-Palestinien, proche des Frères musulmans et du Hamas, est nommé directeur de la chaîne pour remplacer le Qatari Ali El Jassim, un nationaliste arab, accusé par Washington d'être anti-américain et pro-irakien, selon le journaliste d'Afrique Asie, Philippe Tourel. De plus, il est difficile de lier cette démission à une éventuelle complaisance à l'égard des Etats-Unis compte tenu des relations privilégiées qu'entretient le Qatar, pays hébergeur et principal financeur de la chaîne, avec les Etats-Unis.
Le Qatar abrite une des bases américaines du CentCom ainsi que la base aérienne d'Al Odaid, dont la piste est l'une des plus longues au monde. Selon une enseignante chercheure au département des sciences de l'information et de la communication à l'université d'Alger, qui travaille sur Al Jazeera, cette démission n'est qu'«une manœuvre visant à offrir une nouvelle virginité à la chaîne accusée depuis les révoltes arabes de faire de la propagande plutôt que de l'information pour servir les projets occidentaux, notamment américains, dans la région».
Caisse de résonance
La chaîne, qui s'est présentée comme une alternative aux grands médias occidentaux, s'est ralliée pendant le Printemps arabe à ses «ennemis» en ayant les mêmes positions que la Maison-Blanche et ses médias. Surprise, tout comme l'Occident, par la révolution tunisienne, la chaîne s'est rattrapée par la suite en confectionnant un spot publicitaire émouvant reprenant des images des manifestants et ayant pour slogan «La volonté d'un peuple», une allusion au plus célèbre vers de la poésie tunisienne. La révolution égyptienne étant moins spontanée, la chaîne s'est cette fois-ci préparée. Les caméras braquées sur la place Tahrir, les téléspectateurs ont eu droit à une retransmission en direct presque 24h sur 24 des images des manifestants qui campent.
L'Egypte est ainsi réduite à la seule place Tahrir. Plus qu'une caisse de résonance des soulèvements populaires arabes, certains observateurs relèvent que la chaîne satellitaire a fait du «deux poids, deux mesures dans sa couverture de l'actualité». Et de citer en exemple la «couverture timide» de la répression des chiites au Bahreïn pendant que la chaîne s'en prenait à Al Assad, s'attirant les foudres du Hezbollah libanais, qu'elle a, jusque-là, toujours soutenu. Exaspérés par le choix du traitement de l'information, des journalistes démissionnent, à l'instar de Ghassen Ben Djeddou, qui envisage désormais de créer sa propre chaîne pour contrer Al Jazeera. L'ex-journaliste, Luna Chebel, dénonce publiquement le complot étranger avec l'aide d'Al Jazeera contre certains régimes arabes et l'accuse de désinformation.
Média-mensonges
Autre attaque : l'information relatant les bombardements de la population ainsi que le recours à des mercenaires en Libye ne serait qu'un média-mensonge, comme ceux qui précèdent n'importe quelle «guerre humanitaire», explique le journaliste belge Michel Collon, dans une interview accordée à la Nouvelle République le 13 septembre dernier. Une thèse appuyée par la spécialiste des situations de crise d'Amnesty International, Donatella Rovera, ainsi que la journaliste britannique Lizzie Phalon, toutes deux s'étant déplacées en Libye, comme Michel Collon.
Par ailleurs, des vidéos, articles et photos disponibles sur le Net accusent Al Jazeera de «fabriquer» ses images. Dans une vidéo, une Irakienne accuse en direct la chaîne de diffuser des images préfabriquées depuis El Bassrah en Irak en prétendant qu'il s'agit de Misrata. La jeune femme met vainement la station au défi de poursuivre la diffusion des images afin d'expliquer ce qui lui a permis de reconnaître El Bassrah. La chaîne a-t-elle déployé tous les moyens pour soutenir les peuples libyen et syrien à renverser leurs régimes ? Même le «conseiller spirituel» de la chaîne, le Qatari (né Egyptien mais déchu de sa nationalité par Nasser), Cheikh Yussuf Al Qaradawi, s'y colle.
Celui qui s'interrogeait sur le statut de martyr de Mohamed Bouazizi, rappelant que le suicide est un grand péché, s'est joint aux Egyptiens en appelant officiellement au départ de Moubarak. Et alors qu'il observait un silence inquiétant à propos de la répression au Bahreïn, il perdit son sang-froid en direct en appelant explicitement au meurtre du dirigeant libyen rendant l'acte halal. On comprit rapidement les motifs de cette sortie fracassante. Faut-il le rappeler, «c'est le Conseil de coopération du Golfe qui, le premier, a appelé à une intervention armée en Libye.
Le Qatar a été le premier membre arabe du Groupe de contact. Il a acheminé des armes pour les “rebelles” libyens, puis a envoyé son armée au sol», affirme le journaliste Thierry Meyssan, dans un article publié le 26 septembre dernier par le réseau Voltaire.
Choc des civilisations
Pour comprendre la «mission» que s'assigne la chaîne, «il faut analyser son image», explique Abdeslam Benzaoui. Ce professeur à l'Ecole supérieure de journalisme d'Alger note que «le format anglo-saxon adopté par la chaîne – visible à travers l'utilisation d'un micro-portable sur le plateau, la dualité des talk-shows à l'américaine, qui en réalité n'en est pas une puisqu'on crie plus qu'on ne dit autre chose, la violence des images ainsi que les journalistes représentant les principales tendances politiques dans le Monde arabe – donne l'illusion du professionnalisme et déforme la réalité».
Abdeslam Benzaoui souligne que «face à la modernité de la chaîne, le monde arabe et musulman est représenté par les Talibans, les kamikazes et les islamistes. La parole étant rarement donnée à l'élite et aux intellectuels». Pour lui, «à travers cette position rétrograde des pays arabes et musulmans, qui donne raison à la théorie des chocs des civilisations de Huntington, la chaîne porte les messages suivants : elle rend légitime l'intervention étrangère et crée un “New-Arabism” qui voudrait que la phase de l'arabisme des mouvements nationalistes à connotation moderniste nassérienne et bâassiste soit révolue, la libération du Monde arabe aujourd'hui ne peut donc être menée que par les islamistes».
Le spécialiste, qui a soutenu sa thèse de doctorat sur Al Jazeera en 2007, revient également sur la création de la chaîne en 1996 «à partir du noyau de la BBC Arab et elle devait se trouver en Arabie Saoudite. Cependant Al Jazeera a été créée à dessein au Qatar. Le régime saoudien étant marqué par le wahhabisme, il renvoie une image négative qui est en contradiction avec l'image moderne de la chaîne, alors qu'au Qatar, le cheikh Hamed ben Khalifa Al Thani, qui fait partie de cette nouvelle génération de managers arabes ayant fait les écoles occidentales, venait de renverser son père, avec l'aide de Londres et de Washington», explique le professeur.
Concernant la formation de l'Emir justement, ce dernier aurait, selon Philippe Tourel, bénéficié d'une formation personnelle, dans le cabinet international spécialisé dans l'entraînement des leaders arabes et asiatiques, Jtrack, appartenant à Mahmoud Jibril, l'actuel Premier ministre du CNT libyen, ami et partenaire d'affaires de Bernard-Henri Lévy. L'émir aurait fait appel en 2004 au cabinet pour réorganiser le groupe Al Jazeera, mais M. Jibril avait été appelé à d'autres fonctions en Libye. Il aurait alors placé l'ancien journaliste de Voice of America à la tête du groupe Al Jazeera, toujours selon Thierry Meyssan, qui n'est autre que Wadah Khanfar, dont la démission «est une première mesure qui permettra à la chaîne de se repositionner, après avoir fait dans la propagande primaire», juge Abdeslam Benzaoui.


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