Le projet de loi organique sur l'information, débattu depuis hier à l'APN, est porteur de véritables dangers à la liberté d'expression en Algérie. Le bruit créé autour de la suppression des peines de prison pour les journalistes visait, tout compte fait, à faire diversion. Le texte que les députés discutent est chargé de dispositions restrictives plus sévères que celles du code de 1990. Contrairement aux affirmations de Nacer Mehal, ministre de la Communication, le projet soumis au Parlement n'exprime aucune modernité. C'est une loi faite avec un esprit des années de plomb. D'abord, le gouvernement, qui méprise ses propres engagements internationaux, s'est autorisé à fixer les règles d'éthique et de déontologie aux journalistes. Il est admis dans tous les pays que la déontologie et l'éthique sont d'abord et surtout l'affaire des professionnels. Le gouvernement n'a aucun droit de le faire pour les journalistes ou pour les autres corps de métier, comme les avocats. L'article 89 du projet de loi est chargé d'interdits, alors que l'éthique et la déontologie supposent «droits» et «devoir» pour les professionnels des médias. Très imaginatifs, les rédacteurs de cette disposition ont même «inventé» de nouvelles restrictions de type policier. Ainsi, le journaliste doit «s'interdire de porter atteinte aux attributs et aux symboles de l'Etat», «s'interdire toute atteinte à l'histoire nationale», «l'apologie du colonialisme», «s'interdire de porter atteinte aux intérêts économiques et diplomatiques de la nation», «s'interdire de mettre en danger des personnes». Le législateur devra, entre autres, expliquer le sens qu'il donne à «l'apologie du colonialisme» ou à «l'atteinte à l'histoire nationale». Il est évident que cette disposition, particulièrement dangereuse, doit être supprimée sans aucune condition. Il en est de même pour l'article 80 qui limite l'accès à l'information pour les journalistes professionnels. Du jamais vu ! Cette disposition, qui porte les résidus du parti unique, interdit aux journalistes de s'intéresser aux domaines de la défense, de la sécurité, de la justice, de la diplomatie, de l'économie. Le prétexte est toujours le même : «secret» ou «atteinte aux intérêts». Même faible, la presse d'investigation est condamnée à disparaître si cet article est adopté par les deux chambres du Parlement. Les journalistes curieux devront alors passer leur temps à enquêter sur les jardins publics ou sur le mode de cuisson de la chawarma ! L'article 2 du même projet a pourtant mentionné que le citoyen a le droit d'être informé «d'une manière complète et objective». Comment ce citoyen peut-il être informé de «manière complète» si des embûches sont mises sur le chemin du journaliste ? La commission culture, communication et tourisme de l'APN n'a visiblement pas détecté cette contradiction flagrante. Ce même article 2 pose également problème, puisqu'il verrouille considérablement le travail des médias. Selon la logique sécuritaire de ce texte, le journaliste peut «librement» exercer son métier, mais dans «le cadre du cadre» ! C'est-à-dire qu'il doit, entre autres, respecter «la sauvegarde de l'ordre public», «les exigences de la sûreté de l'Etat et de la défense nationale», «les impératifs de la politique étrangère du pays», «les intérêts économiques du pays», «le secret de l'instruction judiciaire». Pour ce dernier point, le législateur semble avoir pris en compte l'intérêt grandissant des médias pour les nombreuses affaires de corruption. La justice algérienne, réputée être parmi les plus opaques au monde, dresse des barrières au lieu de s'ouvrir au public, gagner en crédibilité et retrouver la confiance des citoyens. Sinon comment expliquer que des dispositions pénales, inacceptables et scandaleuses, sanctionnent les journalistes qui s'intéressent au travail des tribunaux. A titre illustratif, l'article 120 stipule : «Quiconque publie ou diffuse la teneur des débats des juridictions de jugement, lorsque celles-ci en prononcent le huis clos est puni d'une amende de 100 000 à 200 000 DA». Pire, l'article 123 précise : «Sauf autorisation de la présidente ou du président de l'audience, l'emploi de tout appareil d'enregistrement ou de diffusion sonore, de caméra de télévision ou de cinéma ou d'appareil photographique, après l'ouverture de l'audience judiciaire est interdit. Toute infraction à cette disposition est punie d'une amende de 10 000 à 100 000 DA.» A suivre cette logique, les juridictions civiles sont assimilées à des tribunaux militaires sous régime d'exception ! Nous l'avons déjà signalé dans ces mêmes colonnes, l'article 110 ouvre la voie à toutes les dérives. Jugez-en : «Toute personne physique ou morale algérienne a le droit de réponse sur tout article écrit ou émission audiovisuelle portant atteinte aux valeurs nationales et à l'intérêt national.» Traduction : si une personne n'apprécie pas une analyse, une opinion, une idée ou une information répond comme elle veut et où elle veut. Et là, les médias sont obligés de publier (c'est devenu plus qu'obligatoire dans le projet de loi sur l'information). Imaginons qu'ils sont des milliers à réagir, que feront les médias ? Cet article livre d'une manière sournoise et scandaleuse les journalistes au lynchage public surtout que le législateur n'indique pas la véritable signification des «valeurs nationales» et de «l'intérêt national». Dans un pays où le débat démocratique libre est inexistant, ce genre de dispositions est porteur de périls aux conséquences imprévisibles. Exprimant une logique de fermeture et remettant en cause profondément la crédibilité des «réformes» politiques du président Abdelaziz Bouteflika, le projet de loi sur l'information doit être revu de fond en comble ou retiré pour être discuté à travers un débat transparent, ouvert et public. Rien ne presse. Il n'existe aucune raison de «lier» le sort de l'ouverture du champ audiovisuel, qui est, elle, une urgence nationale à l'adoption d'une loi sur l'information. L'audiovisuel peut faire l'objet d'une loi et de textes d'application à part.