Arrestations arbitraires, interdiction de se rassembler, répressions policières, restrictions dans l'exercice du droit syndical, instrumentalisation de la justice par le pouvoir exécutif, autant d'atteintes aux principes les plus élémentaires de la dignité humaine. Des faits qui ont rythmé l'Algérie cette année. 2011, une année pourtant marquée par la levée de l'état d'urgence qui expliquait un bon nombre de ces entraves aux libertés individuelles et collectives. Ambiance indolente à la rue Didouche, malgré les allées et venues incessantes des passants. L'allée qui mène au 5, rue des Frères Alleg est calme. «Le siège de la Ligue ? C'est juste à gauche», indique un passant. Une entrée d'immeuble sombre, rétrécie par quelques sachets de ciment stockés dans la cage d'escalier. Au deuxième étage, deux habitants de Béchar viennent de quitter l'appartement laissant derrière eux un dossier que le secrétaire général de la Ligue algérienne de défense des droits de l'homme (Laddh) pose sur la table de réunion. J-2 de la célébration de la Journée internationale de défense des droits de l'homme, l'équipe de permanence travaille sur les autorisations à arracher à la wilaya pour une conférence à organiser le 10 décembre à l'hôtel d'El Biar. Lourdeurs bureaucratiques et hégémonie administrative les bloquent. «Cette autorisation n'entre pas dans le cadre de la loi, mais si nous ne la demandons pas, nous ne pourrons pas organiser notre événement, s'ils refusent nous improviserons comme d'habitude», note le vice-président de la Ligue, Me Nour Eddine Benissad. La dernière plainte en date est alors mise sur le tapis. Les deux habitants de Béchar représentent un collectif d'une dizaine de citoyens. C'est une affaire de démolition d'habitation survenue lors d'une opération militaire en plein terrorisme. C'était en 1994 «il y a vide juridique», leur a rétorqué le wali les laissant livrés à eux-mêmes, «nous sommes leur ultime recourt», explique Moumène Khelil SG de la Ligue. Un avocat va être désigné pour tenter de trouver la meilleure voie juridique pour les aider. Le dossier est fermé et posé sur la pile de centaines autres documents du genre. La LADDH a enregistré 400 cas d'atteinte aux droits de l'homme depuis le début de l'année. Presque deux fois plus que l'an dernier, 250. Plus de dix plaintes de torture contre le DRS Dans le bilan annuel, des licenciements abusifs, des expulsions arbitraires, des dérives judiciaires en grande majorité et fait préoccupant : plus de dix cas de torture cette année. «Nous avons eu une dizaine de plaintes pour torture. Les personnes reçues accusent plusieurs services de sécurité, à leur tête le DRS», explique Moumène Khelil. Quelle marge de manœuvre pour la Ligue dans ces cas-là ? «Nous faisons un travail d'alerte, et quand les victimes veulent faire un recourt auprès de la justice, nous les accompagnons», précise Me Nour Eddine Benissad. Communiqués, alertes, dénonciations, la Ligue n'a pas chômé depuis le début de l'année. Arrestations arbitraires, interdiction de se rassembler, répressions policières contre les manifestations pacifiques, intimidations et restrictions dans l'exercice du droit syndical, instrumentalisation de la justice par le pouvoir exécutif, autant d'atteintes aux principes les plus élémentaires de la dignité humaine. Des faits qui ont rythmé l'Algérie cette année. 2011, une année pourtant marquée par la levée de l'état d'urgence qui expliquait un bon nombre de ces entraves aux libertés individuelles et collectives. Dix mois après sa levée et l'explosion des révoltes arabes qui auraient pu insuffler un climat d'ouverture dans le pays, aucune avancée n'a été enregistrée sur le terrain malgré les réformes politiques qui prônent l'ouverture. «Ni les révoltes arabes ni la levée d'état d'urgence n'ont changé la situation des droits de l'homme en Algérie.» Pourquoi ? «Tout simplement, parce que nous sommes dans un Etat de non-droit, les autorités sont au-dessus de la loi qu'ils violent comme bon leur semble», tranche Me Benissad. La justice mise sous contrôle du pouvoir exécutif est justement le meilleur instrument de violation des droits humains en Algérie. La justice dans une logique d'autoritarisme La Constitution de février 1989, qui devait consacrer l'indépendance de la justice, s'est très vite vu dévier par l'instauration de l'état d'urgence en 1992 qui a accentué le processus de sa mise sous contrôle par l'Etat. Dix mois après sa levée, l'Algérie continue de traîner cette question lancinante de la mise sous contrôle de la justice par le pouvoir exécutif. «Dix mois après sa levée, toutes les institutions du pays ont gardé la même logique d'autoritarisme», explique Me Benissad. Et d'ajouter : «Au Maroc, quand un citoyen se considère lésé dans ses droits, il a, à présent, le droit de saisir la Cour constitutionnelle s'il pense qu'il a été jugé sur la base d'une loi anticonstitutionnelle. En Algérie, les seuls à pouvoir recourir à la Cour constitutionnelle sont le président de la République et les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat.» Mais la justice n'est pas le seul instrument de répression, toutes les autres institutions de l'Etat entretiennent les mécanismes hégémoniques qui verrouillent les libertés du citoyen. A leur tête, les services de sécurité et l'Assemblée populaire nationale qui jouent le jeu de l'allégeance. Cette dernière est justement sur le point de permettre l'une des pires régressions qui soient, avec l'adoption du projet de loi sur les associations. A travers son article 40 (l'interdiction de s'ingérer dans les affaires internes du pays) ou encore l'article 47 qui prévoit une peine d'emprisonnement allant de 3 à 6 ans dans le cas d'appartenance à une association non encore enregistrée ou agréée) la logique autoritaire et répressive de l'Etat est sur le point d'atteindre son comble. Mais des militants de diverses tendances (voir portraits) s'insurgent et se constituent en collectifs et en groupes pour dénoncer cette restriction qui limite de plus belle leur champ d'action, d'expression et de résistance. Présents autant sur la Toile que sur le terrain, ils ne comptent pas abdiquer. La Ligue, pour sa part, s'est heurtée hier à un refus net des autorités (wilaya d'Alger) d'organiser sa conférence prévue ce matin à l'hôtel d'El Biar. Un refus en violation de l'article 4 et 5 de la loi n°89-28, modifiée et complétée par la loi n° 91-28, relative aux réunions et manifestations publiques. Parfaite illustration de l'autoritarisme de l'Etat.