En l'espace d'une semaine, ce ne sont pas moins de trois rassemblements qui ont été empêchés par les forces de l'ordre dans la ville d'Alger. L'état d'urgence fait peser sur les libertés individuelles une véritable chape de plomb, muselant toute velléité d'opposition. Maître Mokrane Aït Larbi estime que la levée de l'état d'urgence devient impérative. Vendredi, un rassemblement populaire, pourtant pacifique, a encore été empêché par les forces de l'ordre dans les rues d'Alger. De même, la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme (LADDH) n'a pas été autorisée à organiser une rencontre nationale sur la peine de mort. En tant qu'homme de droit, comment considérez-vous ces interdictions ? Trouvent-elles une justification ? Dans un Etat de droit, tout ce qui n'est pas interdit par la loi est permis. Dans un Etat totalitaire, tout ce qui n'est pas autorisé par le pouvoir est interdit. Dans une démocratie, les manifestations publiques de la rue sont soumises à une simple déclaration et dans les salles on est libre de se réunir. Quant aux rassemblements empêchés par la police, je pense que les forces de l'ordre sont là pour obéir aux instructions du gouvernement. C'est ce dernier qui est responsable de toutes les atteintes aux droits de l'homme et aux libertés publiques individuelles et collectives. L'action des militants des droits de l'homme doit se diriger contre la politique du gouvernement en matière des libertés et non contre la police. Il faut rappeler que cette institution exécute un décret du chef du gouvernement, M. Ali Benflis. Les Algériens se voient, depuis 2001, confisqués du droit de manifestation, de rassemblement ou d'attroupement, à Alger et dans les grandes villes du pays. Cette interdiction, qui va parfois jusqu'à la répression, n'est-elle pas contraire aux droits de l'homme ? La question ne se pose même pas. Les manifestations publiques pacifiques sont garanties par les instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme ratifiés par l'Algérie, et toute restriction est une atteinte à ces droits. La liberté de réunion, de manifestation et de marches pacifiques est confisquée dans toutes les villes d'Algérie depuis l'indépendance. Je ne vois donc pas pourquoi mettre l'accent sur un décret de 2001. Il faut rappeler que les manifestations pacifiques ont été réprimées dans le sang avant 2001. Et il faut peut-être rappeler également les morts d'octobre 1988, notamment à Alger et du Printemps noir 2001 en Kabylie. L'instauration de l'état d'urgence, dans une situation sécuritaire que les officiels assurent être pacifiée, trouve-t-elle encore une justification ? Quelles sont, selon vous, les motivations de son maintien qui étouffent les libertés ? Pour connaître les motivations du maintien de l'état d'urgence, il faut poser la question au ministre de l'Intérieur. Pour ma part, rien ne peut justifier l'état d'urgence pendant 17 ans. Le recours à l'état d'urgence est prévu par la Constitution pour faire face à des situations très graves. Ce procédé permet la restriction des libertés publiques pour une période limitée dans le temps et dans l'espace. Nous constatons que l'exception est devenue une forme de gouvernance. Pour rappel, je vous renvoie à une déclaration du chef d'état-major, Mohamed Lamari, que je cite de mémoire : la levée de l'état d'urgence pourrait entraver l'action de l'ANP contre le terrorisme.On ne peut pas parler des libertés individuelles au sens juridique et des espaces d'expression citoyenne au sens politique dans un pays qui vit dans l'état d'urgence depuis 17 ans. Je pense qu'il faut aller droit au but, c'est-à-dire militer pour la levée de l'état d'urgence, le respect de la Constitution, des droits de l'homme et des libertés individuelles et collectives, mais cela doit passer impérativement par le démantèlement pacifique du système mis en place depuis 1962.