En 2011, la navette spatiale Atlantis a effectué son dernier voyage. Son retour sur Terre mettait fin à un vaste programme d'exploration de l'espace, enterrant aussi un des vieux rêves de la Science-Fiction, genre littéraire né dans la seconde moitié du XIXe siècle, dans la foulée des grandes découvertes scientifiques modernes qui allaient changer fondamentalement les sociétés et leur promettre des lendemains enchanteurs. C'est l'utopique Jules Verne et le dystopique H.G. Wells qui ont commencé à dresser des cartes de ce nouveau territoire littéraire qu'une invention concomitante, le cinématographe, allait exploiter tout au long du XXe siècle avec plus de spectacle mais moins de pertinence. Avec le démantèlement de la station spatiale internationale annoncée pour 2020, le futur romanesque va-t-il s'effondrer comme une étoile qui aurait trop brillé ou alors un espoir abusivement entretenu ? Jusqu'en 1950, le cinéma s'est contenté d'illustrer sommairement des romans de Verne et de Wells. Deux exceptions cependant : Aelita (1924) de Protazanov et Metropolis (1926) de Fritz Lang qui décrivent un monde martien parfait auquel tendrait symboliquement l'Union Soviétique naissante, pour le premier, et un univers coercitif dominé par un dictateur et son fils annonciateur du nazisme, pour le second film. Le film La chose d'un autre monde, produit par Howard Hawks, sort dans un contexte de guerre froide entre les deux superpuissances, d'équilibre de la terreur nucléaire imposée à toute la planète et au cours de la «chasse aux sorcières» déclenchée par le sénateur McCarthy pour expurger Hollywood de tous ses éléments communistes ou supposés tels. Il est suivi de La guerre des mondes de Byron Haskin et de L'invasion des profanateurs de tombes de Don Siegel, dont les contenus sont une allusion directe aux dangers du marxisme soviétique. Hollywood nous a fait la grâce de ne pas exporter la dizaine de productions du même type destinées à un usage interne pour maintenir la vigilance d'un public mal instruit des choses du monde. Cette instrumentalisation du cinéma jusqu'à l'hystérie a empêché Le choc des mondes de Rudolph Maté qui prévoit les conséquences d'une collision avec un astre errant et Le jour où la Terre s'arrêta de Robert Wise qui montre des extraterrestres bienveillants et non des avatars des sournois communistes, de donner un avis différent. Les années ‘50 s'achèvent avec Le dernier rivage de Stanley Kramer où survit ce qui reste de l'humanité après l'apocalypse atomique. La coexistence pacifique, décidée par Kennedy et par Khroutchev, va orienter vers des thèmes moins agressifs tous les films réalisés de 1960 à 1968, année historique de la sortie de 2001, Odyssée de l'espace. Ce film va marquer deux générations de cinéastes et spectateurs par la qualité du travail artistique de Stanley Kubrick, par les moyens importants investis dans un genre considéré jusqu'ici comme sans intérêt et par la personnalité d'Arthur C. Clark, auteur de la nouvelle d'où est tiré le scénario co-écrit par les deux précités. Le message réactionnaire du film stipule que l'homme a évolué vers des formes supérieures d'intelligence et de maîtrise de la nature par une manifestation extérieure qui doit revenir (sous forme du monolithe noir) afin d'accomplir la dernière mutation : transformer l'homme en «enfant des étoiles», seule condition pour conquérir les planètes lointaines. Pour brouiller les pistes, les deux auteurs ont ajouté du XVIIIe siècle «des Lumières» et de la «brisure de symétrie» dans la chambre fortement éclairée. La Science-Fiction vient d'acquérir ses palmes académiques avec ce film qui, malheureusement, sent la naphtaline des idées rétrogrades. Il faut attendre dix ans pour le deuxième saut qualitatif avec La guerre des étoiles de George Lucas qui présente toutes les caractéristiques de l'épopée spatiale lyrique avec de nombreux personnages bien archétypés pour rester dans l'indispensable division du travail manichéen, des décors hyper-réalistes et des effets techniques révolutionnaires et innovants. Les extraterrestres sont si différenciés qu'il est difficile de distinguer les gentils des méchants. Ce qui n'est pas le cas de ceux, invisibles, de Rencontre de 3e type de Steven Spielberg qui a surfé sur la vague d'une SF renouvelée et récidive aussitôt avec E.T., voyant tout le bénéfice politique qu'il pouvait en tirer ; quand le petit personnage crie «home», c'est bien d'Israël qu'il s'agit. S'ensuit toute une production de films affranchis des rigueurs budgétaires et scénaristiques des séries B, voire Z., avec des scripts élaborés et denses. Mais le ton est donné. Les cinéastes s'aventurent dans la SF moins infantilisante et exploitent des domaines jusqu'ici réservés à la littérature générale, avec, cette fois, une incapacité à se saisir des classiques de la SF écrite ou tout au moins à s'approprier leurs thématiques. Après Alien, le 8e passager (dissimulant le fait que son scénario est récupéré d'une nouvelle de Daniel F. Galouye à l'intitulé qui ne trompe pas, Le Pantomorphe), le Britannique Ridley Scott réalise aux USA Blade Runner qui est l'adaptation du roman le moins réussi de Philip K. Dick, le Kafka de la SF, publié entre Le dieu venu du Centaure et Ubik. C'est le seul exemple d'affinités électives entre un texte et un film en matière de SF. Nous sommes déjà dans la chasse aux clones humains que l'on commence, dans la réalité, à envisager comme une possible solution économiste du devenir de l'homme. Les autres formes ont été explorées par Cordwainer Smith (La planète Shayol) et par Frederik Pohl qui prévoient une utilisation des humains en pièces détachées destinées aux riches. Les technologies de l'image numérisée libèrent les audaces techniques et artistiques des réalisateurs qui élargissent le champ de vision qui reste essentiellement dystopique. D'un côté, et pour un public féru de l'utopique merveilleux, on sert du sequel à gogo, comme les Star Trek, les Star Wars ou les Retour vers le futur dont l'unique intérêt est d'avoir étendu les innovations audiovisuelles. D'un autre côté, on retrouve des films comme The Thing (1982) de John Carpenter (qui souffre des séquelles du maccarthysme puisqu'il récidive avec Invasion Los Angeles et Le village des damnés), Blade Runner cité plus haut, Dune (1984) de David Lynch qui rate l'adaptation d'une des cinq plus belles sagas de la SF écrite par Frank Herbert, le souffle épique lui ayant fait défaut. Dans cette même catégorie, signalons aussi Terminator (1984) de James Cameron, le très beau Enemy (1985) de Wolfgang Petersen sur le thème de «l'ennemi de ton ennemi est ton ami», sans distinction de race, qui vient prolonger Cocoon de Ron Howard et annonce Abyss de James Cameron. Bref, l'Extraterrestre n'est pas forcément mauvais. Les années quatre-vingt dix démarrent avec force avec Total Recall de Paul Verhoeven, adaptation d'une nouvelle de Philip K. Dick, significative de son univers totalement schizophrénique, et s'achèvent par la catastrophique trahison de Joseph Rusnak (Passé virtuel) d'un chef-d'œuvre de la SF littéraire, signé Daniel F. Galouye (Simulacron 3), si proche des romans de P. K. Dick, mais avec une conclusion audacieuse sur la condition humaine, celle d'un composant actif d'un immense logiciel. L'homme n'est qu'un pantin articulé par des entités supérieures qui ont laissé un défaut de fabrication dont s'apercevra le héros par pur hasard. La mythologie grecque constitue une référence dans ce cas, empruntant aux dieux qui, depuis l'Olympe, gèrent les faits et gestes des humains ainsi que l'a représenté le théâtre antique. Carl Sagan, astronome réputé et créateur de programmes pour la recherche d'intelligence extraterrestre, a participé à l'élaboration de Contact, film de Robert Zemeckis. Kevin Reynolds se rend coupable d'un plagiat (Waterworld) sur le livre de Jim G. Ballard (Le monde englouti) qui est un cas rare d'œuvre de SF à n'être ni dystopique, ni uchronique et encore moins utopique. Starship Troopers, de Paul Verhoeven, film de guerre dans le futur contre des araignées intelligentes, est un anachronisme à la fois sur les conflits (la guerre en Irak) et sur les ennemis (l'écologie) qui ont rendu caducs de tels faux divertissements. Enfin, de la science-fiction jubilatoire qui enterre dans un grand éclat de rire les xénophobes de tout poil avec Mars attacks de Tim Burton montrant d'horribles martiens vaincus par des mélopées de la country music. Depuis l'an 2000, la SF a connu un développement fastueux avec de très nombreux films allant dans toutes les directions avant de commencer à tomber dans le pur virtuel inauguré au cinéma par Matrix et, dans les jeux vidéo par Tomb Raider, suivi de Ultimate Game, Avalon et Avalon F (l'homme s'aplatissant jusqu'à se transformer en images bidimensionnelles en contradiction avec la 3D censée l'enrichir). La tendance est apocalyptique, le danger continue de venir de l'espèce et non de l'espace qui n'est qu'un prétexte pour nourrir les fantasmes de l'Occidental pour une plus grande vigilance envers tout ce qui ne lui est pas strictement semblable ou peut échapper à son contrôle. Cela se caractérise par des films comme La guerre des mondes, Le Livre d'Eli, Je suis une légende, Southland Tales (ce dernier a perdu de sa superbe depuis qu'il a été confisqué par son producteur après son passage au Festival de Cannes et son remontage complet). Les autres productions sont dans l'esprit de Hollywood comme le fascinant Serenity de Josh Whedon et le mystificateur Avatar qui met en accusation une société privée dans le massacre des extraterrestres autochtones (bleus comme rouges étaient les Indiens !). Avec ce dernier film, James Cameron est en retard de trois guerres et son paternalisme envahissant a été occulté par les critiques. Bien qu'inspiré de bandes dessinées, Les 4 fantastiques ressuscite le mythe du surhomme qui depuis Hercule a exalté l'imaginaire comme une promesse de dépassement de soi physiquement et psychologiquement afin de maîtriser son destin ou gérer le monde (X-men, Universal soldier). Oublions vite 2012 de Roland Emmerich, catastrophique film catastrophe qui ne fonctionne même pas comme un exutoire salutaire sinon pour les sectes eschatologiques (fin du monde) ainsi que Je suis une légende de Francis Lawrence, un remake tout aussi médiocre que l'original (Le survivant de Sydney Salkow) trahissant tous deux l'idée de son auteur en littérature, Richard Matheson, qui suggère une cause scientifique à l'existence des vampires. De ce qui précède, force est de constater que les thèmes les plus significatifs et les plus belles épopées de la littérature de SF ont été ignorés par le cinéma qui s'est appuyé sur des scénarios débiles dans la majorité des cas, qui ne les distinguent des films policiers ou d'action que par les costumes démodables et le physique des créatures de l'espace d'un anthropomorphisme primitif. Quid des beaux romans de SF avec des voyages intersidéraux (Terminus les étoiles d'Alfred Bester), des mondes parallèles (Le Maître du haut château de Philip K. Dick), du futur improbable (Fondation d'Isaac Asimov) ou récessif (Chroniques de Majiipoor de Robert Silverberg), des planètes refuges (Hyperion de Dan Simmons), des traversées du temps (Une Porte sur l'été de Robert Heinlein) ? Par contre, les scénaristes et les réalisateurs ont opté, à juste raison, pour quelques rares réussites, avec des histoires plus appropriées à la contemporanéité de l'art disloqué, c'est-à-dire à l'invisibilité du monde réel par surcharge d'effets numérisés et de coloriages glauques. Mais, globalement, la SF se lit mieux qu'elle ne se voie sur les écrans.