Ecouter, sensibiliser, convaincre : les journées de Meriem Bendiba commencent tôt. A 47 ans, cette employée à la direction de la santé d'Adrar est secrétaire générale de wilaya à l'Union nationale des femmes algériennes et ex-élue à l'Assemblée populaire de la wilaya d'Adrar depuis 2002, sous les couleurs du RND. Son prochain défi : devenir député. Rencontre avec une femme politique qui préfère le travail de terrain aux discussions de salon. Adrar de notre envoyée 7h30, RN6. Un véhicule utilitaire relie le centre-ville d'Adrar à Reggane, à quelque 135 km du chef-lieu de wilaya. Un soleil timide commence à réchauffer l'asphalte. Sur l'autoroute quasi déserte qui serpente dans le sable, quatre femmes chantent à tue-tête des standards adraris. Au volant, pied au plancher, Meriem Bendiba, ex-élue à l'APW d'Adrar, et surtout secrétaire générale de l'Union nationale des femmes algériennes (UNFA) d'Adrar, accompagne trois de ses collaboratrices à la polyclinique flambant neuve de Reggane, suivre une formation de dépistage du cancer du sein et du col de l'utérus. Hafsa, une jeune femme chargée de communication dans une entreprise publique, évoque sa rencontre avec «Madame Meriem». «J'animais une émission sur la femme et les activités de l'Union m'intéressaient, particulièrement dans les ksour. Son dynamisme m'a attirée à l'UNFA, je l'ai accompagnée et j'ai fini par adhérer», confie-t-elle. Depuis, Hafsa est devenue l'une des membres les plus actives de l'Union, répondant présente à la plupart des actions de terrain. Sensibilisation aux droits et devoirs des femmes et prévention médicale, formation professionnelle des femmes au foyer, la jeune femme a roulé sa bosse en compagnie de la militante, qui fait du travail de terrain son cheval de bataille. Plus que les rencontres superficielles dans des salles de conférences, Meriem Bendiba préfère aller à la rencontre des femmes isolées, réprimées et abandonnées. Accoucheuses Ksar par ksar, elle va frapper aux portes de ces femmes oubliées qui mènent une vie de labeur. «Vous savez, dans certaines régions reculées, elles n'ont accès à rien et négligent souvent leur santé», explique une autre membre de l'Union. En certains endroits, la femme est isolée de toute information. Ignorant les répercussions sur sa santé, elle adopte des comportements à risque, particulièrement dans ces régions où, par exemple, beaucoup de femmes accouchent chez elles avec l'aide d'accoucheuses. Au-delà, elle veille à éveiller la conscience politique des femmes. 9h45. Arrivée à la polyclinique. Direction une salle de conférences improvisée où, munies de prospectus et de blocs-notes, elles s'installent les unes à côté des autres. Une longue introduction débute alors. Une fois les présentations des personnalités faites, «Madame Meriem» se lève, se dirige vers les organisateurs. Quelques minutes plus tard, on prend le micro et on la présente, en sa qualité de secrétaire générale de l'UNFA à Adrar. Revenue à sa place, elle explique : «On doit nous reconnaître, c'est important. Il ne faut pas hésiter à marquer notre présence, surtout en tant que femmes.» Sur ce, démarre une immersion de six heures consécutives. Les conférences sont assurées par des médecins et professeurs de l'hôpital militaire de Aïn Naâdja. Au cours de la soirée, une femme, venue de Bordj Badji Mokhtar, l'approche pour lui demander conseil. Un pas dynamique Employée à la direction de la santé de la wilaya, Meriem Bendiba, 47 ans, est une personnalité très populaire et appréciée à Adrar pour son énergie, son dévouement à la cause féminine et son… grand sourire. Au-delà de ses activités, de ses responsabilités en tant qu'élue et secrétaire générale, elle se révèle souvent indispensable pour dénouer des petits tracas et des grands problèmes dans la vie des femmes de sa région. Tel ce jour où elle se dirige vers la wilaya exposer un problème de prise en charge de la Fédération régionale de handball. En ce début d'après-midi calme, sous un ciel clair comme seul le Sud peut en offrir, le pas énergétique de Meriem Bendiba détonne dans l'ambiance feutrée qui règne dans l'enceinte de la wilaya. Tout au long de son parcours dans le dédale de couloirs de l'édifice récent de couleur ocre, elle est saluée, interpellée. «Madame Meriem» prend un moment pour demander des nouvelles d'untel, se renseigner sur l'avancement de tel ou tel dossier... Elle est enfin accueillie par un cadre assis derrière un imposant bureau de bois noble. Après un court échange de civilités, elle entame un jeu subtil mais infaillible de persuasion, dont seule une femme d'expérience a le secret. Le sourire est grand et le ton calme, mais le discours bien construit et les arguments incontestables. Il émane de la dame une force saisissante prise dans un écrin de finesse. Difficile d'y échapper. La fédération de handball aura droit à sa prise en charge. Le dossier clos, elle annonce la bonne nouvelle par téléphone et reprend le volant de son véhicule, à la poursuite d'une journée marathon comme les autres. Convaincue Après un bref détour chez l'informaticien pour faire réparer le laptop de sa fille cadette, elle reprend ses activités en se dirigeant vers la direction de la santé. L'ambiance y est tout aussi feutrée et les collègues très sympathiques. «La femme du Touat (région d'Adrar) est la sœur de l'homme dans ses malheurs et ses combats», déclare un collègue. Un second renchérit : «Dans le passé, la femme trimait tout au long de l'année en élevant les enfants, les nourrissant et en labourant les champs. Son rôle était plus important que celui de l'homme, qui travaillait uniquement pendant le mois des récoltes», témoigne-t-il, en soulignant la valeur de la femme dans la société adrarie. «La route n'est pas pavée de roses, il y a des obstacles mais avec de la sagesse, de l'intelligence et de la modestie, on arrive à dépasser tout cela. On ne peut pas faire l'unanimité, mais il y aura toujours des gens qui vous encouragent», assure Meriem Bendiba. Une entente cordiale semble lier la dame à ses collègues de la direction de la santé, majoritairement masculins. On lui témoigne beaucoup de considération et les compliments pleuvent : «Ce n'est pas pour la flatter, précise un collègue, mais depuis qu'elle est à la tête de l'UNFA, la situation de la femme a beaucoup évolué, surtout dans des régions reculées.» «Femme exemplaire, convaincue par ses combats. Dans une région si difficile, elle a retroussé ses manches et milité activement», témoigne un autre collègue. Déterminée Pourtant, la route a été longue avant de concrétiser ses ambitions. Aînée d'une fratrie de douze frères et sœurs, elle acquiert très vite le sens des responsabilités et du dévouement. Son beau-père, ancien moudjahid, lui insuffle le sens du devoir. Sa mère, plus conservatrice, essaie de dompter la fougue de la petite fille qui décide, en 1974, du haut de ses 8 ans, de rejoindre les rangs des Scouts musulmans algériens. De tempérament volontaire et persuasif, elle réussit à convaincre sa famille. C'est le début d'une longue entreprise, sans trêve, pour déjouer les contraintes. A 16 ans, elle affiche la volonté de devenir membre de l'UNFA. Bien que trop jeune pour adhérer à l'Union, elle se fait rapidement adopter pour sa détermination. Cependant, alors qu'elle est lycéenne, elle se heurte au refus catégorique de ses parents. « Il était à l'époque inconcevable pour notre société qu'une jeune fille aille faire des études à des centaines de kilomètres de chez elle», raconte-t-elle. La mort dans l'âme, elle abandonne ses études. Mais son mariage, à 19 ans, donne une nouvelle dimension à son engagement. Ses convictions trouvent un écho favorable et un soutien sans relâche chez son époux, policier aux frontières. «Tout ce que je ne pouvais pas réaliser chez mes parents, je l'ai réalisé après mon mariage», confie-t-elle dans un sourire. étudiante «Le noyau était ancré en moi, mais leurs encouragements ont été primordiaux. Si mon mari s'y était opposé, je n'aurais pas pu arriver là où je suis, malgré toute la volonté du monde», avoue-t-elle sans détour. Selon elle, l'environnement de la femme est très important pour son épanouissement. La détermination ne peut rien contre la répression des idées. Elle est déjà mère lorsqu'elle décide de reprendre ses études depuis le lycée et de passer son bac. C'est avec sa fille aînée qu'elle fréquente les amphithéâtres de l'université d'Adrar en tant qu'étudiante en droit des affaires. A l'avènement du multipartisme, elle adhère au RND, tout en militant activement au sein du l'UNFA. Elle est particulièrement attachée à l'Union, qui prend une grande place dans sa vie. D'ailleurs, elle dédie une partie de son habitation à certaines activités de l'UNFA, qui n'a toujours pas de siège. «Je refuse que l'UNFA ou toute autre union soit chapeautée par un quelconque parti, car ses membres sont issues de plusieurs partis et elles sont libres de n'en appartenir à aucun.» Alors, c'est dans un salon spacieux, dont la décoration mêle subtilement richesses traditionnelles et confort moderne, qu'elle accueille plusieurs événements et réunions. Une fois rentrée chez elle, elle étreint sa benjamine, une petite fille timide mais vive d'esprit, très fière de sa maman. «J'espère être comme elle, aider ceux qui en ont besoin et hériter de son expérience et sa culture», dit-elle. A peine rentrée, elle allume son ordinateur portable, parcourt ses mails et vérifie l'activité de sa page facebook. «Aujourd'hui, l'analphabète est celle qui ne sait pas utiliser internet et les nouvelles technologies», souligne-t-elle. Régulièrement mis à jour, son profil est un véritable journal de ses activités, photos à l'appui. ... Sauf au Parlement «On ne peut plus refuser à la femme d'exercer ses devoirs et de bénéficier de ses droits. Il lui faut retrouver sa place, insiste-t-elle, la femme est présente dans la vie professionnelle, dans la société civile, sauf au sein du Parlement et les Assemblées locales.» Le ton durcit. «En 1967 à Adrar, il y avait une femme vice-présidente de l'APC. En 2002, nous étions trois à l'APW ! Jusqu'en 2007, deux. En ce moment, aucune femme ni à l'APC ni à l'APW !», poursuit-elle avec indignation au beau milieu d'une palmeraie, à Reggane. Sa voix déchire la quiétude de cette fin de journée paisible. «La femme n'a pas reculé, elle a déposé des dossiers et nous en sommes témoins. Mais elles se retrouvent souvent en bas de classement, comme une espèce de faire-valoir. Alors que ces femmes ont un niveau universitaire», précise-t-elle. Elle attribue cette marginalisation aux chefs régionaux des partis politiques qui «prétendent donner leurs chances aux femmes mais qui n'en font rien. La femme compte en tant qu'électrice, mais pas en tant qu'élue», dénonce-t-elle. Elle n'est pas convaincue par le quota de femmes à l'APN. «Depuis l'indépendance, on n'a jamais vu une femme d'Adrar siéger à l'APN. On souhaiterait de véritables femmes politiques et il devrait y en avoir 50%.» Pour Meriem Bendiba, on redoute les femmes de conviction et on ne reconnaîtrait par leur rôle politique : «On prétend que c'est le citoyen qui s'y oppose, mais qu'on ne fasse pas dire au citoyen ce qu'il n'a pas dit», s'insurge-t-elle. Elle n'en fait pas mystère, Meriem souhaiterait être député «en tant que femme, militante et citoyenne».