Pour les USA, la stabilisation de la situation en Libye et dans toute la région ne peut se faire sans le concours d'Alger, comme en témoigne la valse des responsables américains en charge des dossiers sécuritaires. Le chassé-croisé diplomatico-militaire entre Alger et Washington s'intensifie à mesure que les évènements dans la région d'Afrique du Nord et du Sahel se précipitent. En effet, le ministre de l'Intérieur, Daho Ould Kablia, a reçu, hier à Alger, le sous-secrétaire américain à la Défense pour le renseignement, Michael G. Vickers. Un ancien officier des forces spéciales américaines et d'opérations paramilitaires de la CIA. Ce dernier aurait été reçu également par ses homologues du ministère de la Défense nationale. La question sécuritaire était au cœur même de ce tempo diplomatique américain. Les discussions entre Daho Ould Kablia et son hôte ont porté essentiellement sur «la situation sécuritaire, la coopération algéro-américaine en matière de lutte contre le terrorisme et le crime organisé» et l'inévitable question «des réformes politiques engagées en Algérie», a indiqué un communiqué laconique du ministère de l'Intérieur. La visite du responsable américain – un ponte dans le dispositif de la sécurité américaine – intervient à la veille du déplacement de M. Ould Kablia à Tripoli, aujourd'hui, où il devrait prendre part à la conférence ministérielle territoriale sur la sécurité des frontières. Simple coïncidence ou plutôt un timing bien choisi ? L'Algérie qui, au début de «la révolution libyenne», n'était pas très enthousiaste au changement du régime de Tripoli, a graduellement revu sa position, en finissant par reconnaître le CNT auquel elle propose aide et assistance. Les Américains y sont pour beaucoup dans cette «évolution» Les nombreux hauts responsables américains venus à Alger insistent sur «la nécessité» du rapprochement avec le nouveau régime libyen. En visite à Alger en octobre 2011, le secrétaire d'Etat adjoint pour les Affaires du Proche-Orient, Jeffrey Feltman, avait déclaré que «l'Algérie est un leader en matière de gestion des problèmes transfrontaliers de trafic d'armes, nous sommes donc désireux de renforcer cette coopération afin d'empêcher et de maîtriser ce trafic à partir de la Libye». Problèmes transfrontaliers Les deux pays, l'Algérie et les USA, cherchent ainsi à accorder leurs violons sur la démarche à suivre face à la situation sécuritaire peu rassurante dans le Sahel, où la menace terroriste est omniprésente, et surtout devant l'accélération des évènements en Libye. Il va sans dire que pour Washington, le terrorisme dans le Sahel et la menace qu'il constitue pour ses intérêts vitaux dans toute la région, sont une véritable source d'inquiétude. D'où le virage sécuritaire dans sa diplomatie vis-à-vis des pays du Maghreb et du Sahel. «Pour des raisons évidentes, les Américains ont adopté une doctrine sécuritaire de leur diplomatie dans la région», explique un ancien diplomate. Le CV du sous-secrétaire américain à la Défense pour le renseignement est à ce titre très indicatif. Un diplomate de guerre. Depuis les années 1970, il cumule des expériences opérationnelles au sein des forces spéciales en Amérique centrale, Moyen- Orient et en Asie centrale. Il a participé activement dans l'armement des Afghans dans «leur guerre» contre l'Union soviétique. Il était le stratège des plus grandes actions secrètes dans l'histoire de la CIA. Il est le spécialiste de la lutte antiterroriste et des contre-insurrections. Un opérationnel. Désormais, le règlement politique des conflits dans la région est ainsi écarté au profit d'une gestion purement sécuritaire où les Américains jouent un rôle prépondérant. Washington qui pèse de tout son poids dans la direction que devraient prendre les nouveaux régimes post- révolutionnaires en Afrique du Nord, veut éviter, à tout prix, un éclatement de la Libye où les extrémistes religieux pourraient en tirer profit. Régimes post- révolutionnaires Alger et Washington semblent être sur la même longueur d'onde, du moins en ce qui concerne l'approche sécuritaire. Lors de sa récente visite en Libye, le chef de la diplomatie algérienne, Mourad Medelci, avait évoqué avec les responsables libyens la «sécurité aux frontières». Et c'est sur cette question précisément que sera axée la conférence de Tripoli, demain, à laquelle prendront part,en plus de l'Algérie, le Tchad, l'Egypte, le Niger, le Mali, la Mauritanie, le Maroc et le Soudan. Il y a lieu de rappeler que le Premier ministre libyen, Abdelrahim El Kib, a été reçu à Washington, jeudi dernier, où il a discuté avec ses interlocuteurs américains du «rétablissement de la sécurité dans le pays, une condition nécessaire pour éviter la circulation des armes vers le Sahel où Al Qaîda multiplie ses activités». Visiblement, pour les USA, la stabilisation de la situation en Libye et dans toute la région ne peut se faire sans le concours d'Alger, comme en témoigne la valse des responsables américains en charge des dossiers sécuritaires. Le gouvernement se plaît bien dans ce rôle. Reste une question. Qui tire profit de cette «coopération»?