Je me souviens, quand j'étais encore étudiant, un ami me disait toujours quand on parlait de notre avenir qu'il n'y avait pas de quoi s'en faire, du fait que nous nous considérions à l'époque comme les futurs cadres de ce pays et l'expression qu'il me répétait souvent pour bien souligner l'importance qu'on pouvait avoir, au moins il nous semblait à l'époque que ce serait le cas, est restée gravée dans ma mémoire. Il me disait toujours en effet que nous sommes « les mamelles de la nation ». Beaucoup de temps s'est écoulé depuis, nous ne sommes plus étudiants, nous sommes des cadres, les cadres de ce pays. Pour ma part, j'ai choisi l'université, quant à mon ami, par désillusion, il s'est rabattu sur la pratique privée après des études aux Etats-Unis. C'est dommage, parce que c'est quelqu'un d'éminemment compétent et l'université l'a perdu. En fait, il n'est ni le premier ni le dernier. Et si en ce qui concerne mon ami sa désaffection des rangs des universitaires est moindre dans la mesure où lui au moins est resté en Algérie et son savoir et son savoir- faire profitent encore à des Algériens, pour d'autres ce n'est malheureusement pas le cas. En effet, beaucoup de cadres universitaires envoyés en formation ne sont jamais retournés après leur formation, sans compter ceux qui continuent encore à fuir vers l'étranger où ils sont mieux payés et surtout mieux considérés. Mais quelle est donc cette malédiction qui s'est abattue sur l'université algérienne au point où nous sommes arrivés aujourd'hui à un tel niveau de désillusion qu'il semble bien difficile de rendre à cette université ses lettres de noblesse, sa vocation première, à savoir la formation et la recherche dans un climat de saine émulation ? Parmi les causes de ce marasme, il y a bien sûr la question des salaires, responsable de la désaffection de bon nombre de cadres, mais il n'y a pas que cette question, d'autres facteurs ont concouru à transformer l'université algérienne en un énorme souk, un souk du savoir régi par les règles de la médiocrité et de la course effrénée aux gains et aux privilèges de toutes sortes. Nous y reviendrons. Tout d'abord parlons des salaires. Il est certes vrai que pour motiver les gens, pour les inciter à faire correctement leur travail, il faut les payer en conséquence, l'argent n'est-il pas le nerf de la guerre ? Il se trouve aujourd'hui malheureusement que cela n'a pas encore était compris et les universitaires algériens continuent à être mal payés pour ne pas dire sous-payés, ce qui pousse certains d'entre nous à partir pour des contrées plus amènes, des contrées où on a compris que l'université est un centre de rayonnement et pour que ce centre de rayonnement continue à dispenser sa chaleur bienfaitrice, il ne faut pas être regardant quant au coût de son fonctionnement. Dans ces pays, ce qui compte ce n'est pas ce que l'enseignant doit percevoir comme salaire qui est important, c'est plutôt ce qu'il est capable de donner en contrepartie de ce salaire. Ces pays ont compris que la compétence, la qualité et le sérieux ont un prix. Ils sont prêts à payer ce prix, et c'est pour cela que nous assistons aujourd'hui à une véritable hémorragie de nos meilleurs spécialistes vers ces pays. L'Algérie a pourtant les moyens pour fixer définitivement ces cadres et spécialistes, l'argent n'est pas un problème. Nous ne sommes certainement pas moins riches que nos voisins tunisiens et marocains où les universitaires sont payés jusqu'à quatre fois plus que l'universitaire algérien. Il semble que nos voisins ont compris l'enjeu que représente l'université dans le développement d'une nation. Mon ami me disait donc que nous sommes « les mamelles de la nation », cela est vrai à plus d'un titre. En effet, l'université comme je viens de le dire est un centre de rayonnement, elle nourrit de son savoir des générations et des générations de futurs cadres. Si ces cadres sont bien nourris, et c'est là où la métaphore « mamelle de la nation » prend tout son sens, ils vont abreuver toute la société de leur savoir. Mieux ils sont nourris donc et mieux la société évolue, et l'inverse est tout aussi vrai, moins ils sont nourris, moins ils donnent et par conséquent plus la société s'appauvrit. Ainsi, pour que l'université atteigne cet idéal qui est le sien et sa vocation première, pour qu'elle puisse se transformer en une véritable source nourricière, il faut que ses cadres soient satisfaits de leur sort et remplissent correctement et avec engagement leur rôle de formateurs. Pour ce faire, il n'y a pas trente six mille solutions, il n'y en a qu'une : des salaires qui honorent dignement ce pourquoi le cadre s'est sacrifié toute sa vie pour acquérir son diplôme et le droit d'enseigner à l'université. Malheureusement, les pouvoirs publics algériens n'ont, semble-t-il, pas encore compris les missions de l'université et les enjeux qui peuvent en découler, des enjeux dont peuvent dépendre l'avenir même du pays et son indépendance chèrement acquise, indépendance qui est tributaire aujourd'hui de la maîtrise du savoir et de la technologie, maîtrise que seuls l'université et les universitaires peuvent assurer. Aujourd'hui, la désaffection est telle, que la sonnette d'alarme vient d'être tirée par le CNES qui fait un constat alarmant de l'état de décrépitude atteint par l'université, le CNES qui, dans les dernières propositions de sa commission nationale fait le constat suivant : « Une précarité touche une proportion de plus en plus importante de l'encadrement (...) la situation que vit l'université et que connaît le métier d'enseignant chercheur est grave, cette situation est manifestée par un blocage de la formation des formateurs, un laminage par le bas de la qualité de l'enseignement, une suprématie du pouvoir administratif sur le pédagogique et le scientifique, une précarité et une paupérisation qui favorisent le démantèlement du métier d'enseignant-chercheur et la fuite des cerveaux. » Au vu de ce constat, le CNES propose conformément à la loi d'orientation qui place l'enseignant-chercheur au sommet de la hiérarchie des fonctionnaires de la Fonction publique un statut qui permettra à l'enseignant de se rapproprier l'ensemble des tâches et prérogatives liées à son métier, de lui permettre de consacrer (notamment pour les enseignants de rang magistral) l'ensemble de ses efforts à l'encadrement et à la direction des activités de recherche, car et au-delà de la question des salaires, les véritables enjeux motivant la mobilisation des enseignants, c'est cette question du statut. Aussi, un avant-projet de statut a même été déjà élaboré, avant-projet qui prend en considération la fonction d'enseignant-chercheur sous tous ses aspects, à savoir sa mission, ses obligation, ses droits, ses tâches professionnelles, sa structuration académique, son plan de carrière. Même les dispositions particulières relatives au détachement, la mise en disponibilité, les stages et congés scientifiques et enfin l'année sabbatique ont été passés en revue. C'est pour dire qu'un travail sérieux a été accompli par le CNES en vue de sortir l'université algérienne du marasme dans lequel elle se débat, c'est pour dire aussi combien les enseignants algériens sont conscients de l'état de décrépitude atteint par leur université et qu'ils veulent que cela change, que l'université algérienne puisse redémarrer avec ce nouveau millénaire dans des conditions saines qui peuvent la ramener au niveau des grandes universités mondiales. (A suivre)