« Quand un économiste vous répond, on ne comprend plus ce qu'on lui avait demandé. » Charles Gide L'histoire de sa vie, rarement contrariée, coule comme un long fleuve tranquille. Elle aurait pu inspirer les cinéastes tant elle fait rêver : l'homme a pu s'extirper des quartiers lépreux de Calcutta, pour devenir l'une des plus grosses fortunes du monde. Cette métamorphose a en effet de quoi surprendre. Mais l'homme a encore davantage surpris en lançant dernièrement une offre publique d'achat sur le 2e producteur mondial d'acier qui a fortement ébranlé les milieux initiés. D'abord par la qualité de l'offre, mais surtout par la personnalité de cet acheteur hors normes qui se permet de venir défier les puissants sur leurs terres. Mais cette tentative d'acquisition ne ne s'est pas faite sans susciter moult interrogations, voire une inquiétude de la part d'un « milieu » plutôt fermé sur lui-même. On a alors vite fait de condamner cette transaction « exotique ». Comment un Indien de 56 ans, peut-il marcher sur les plates-bandes des maîtres de forges européens et si l'opération de rachat aboutit, leur imposer son diktat ? Toutes griffes dehors Lui veut battre le fer tant qu'il est chaud, alors qu'eux temporisent, signe de leur incertitude. L'Indien, visiblement, ne peut pas se lier à Arcelor bien que son entreprise à lui, Mittal, soit immatriculée en Europe et basée au Luxembourg. Délit de faciès ? Beaucoup le pensent, car si cette OPA a soulevé un tollé général, la réaction des proches du milliardaire a été vigoureuse. C'est que, à l'instar de Mittal, le roi de l'acier, une vague d'entrepreneurs, issus de pays dits émergents font route vers l'Europe. Ils sont Indiens, Chinois, Coréens, Russes, Mexicains et leur ambition dévorante n'a d'égale que la dimension tentaculaire prise par leurs groupes qui défient désormais l'ordre économique établi. Lakshmi a eu une ascension fulgurante. Cet enfant de Calcutta, parti presque de rien, est devenu la 3e fortune mondiale qui s'élèverait à près de 26 milliards de dollars. L'Indien étant déjà à la tête des hommes les plus riches de Grande-Bretagne. Les géants occidentaux de l'industrie des services et de la finance se posent la même question lancinante : Doivent-ils redouter les assauts de leurs concurrents installés dans les pays émergents ? Le chinois Lika Shing avait déjà acheté le français Marionnaud en 2005 et qu'une branche d'IBM avait été absorbée par un autre fleuron de l'empire du milieu, le fabricant d'ordinateurs Lenovo. L'autre indien Tata et le coréen Samsung veulent acquérir des sociétés énergétiques étrangères pour assurer les besoins de leurs pays respectifs. Mais au nom de la sécurité nationale et du « patriotisme économique », les législations spécifiques anti-OPA demeurent des remparts infranchissables, notamment dans le domaine du gaz, du pétrole et de l'électricité. La nature du métal, l'acier quasi stratégique, est sans doute au cœur des appréhensions européennes. L'OPA surprise de Mittal Steel sur Arcelor lancée le 27 janvier a assurément dopé les marchés financiers. Lakshmi Mittal a offert 23 milliards de dollars pour s'emparer du principal concurrent de son groupe sidérurgique qui contrôlerait 10% des volumes mondiaux. Lakshmi Nivas Mittal, du nom de la divinité hindoue de la prospérité et de la richesse, a fait très jeune ses premiers pas dans l'industrie de l'acier. Son parcours, comme le notent ses biographes, a tous les ingrédients d'un roman à succès qui fait rêver tous ceux qui aspirent améliorer leur rang social. Parti presque de rien, à Calcutta qui incarne toutes les misères du monde, il a gravi les échelons à la vitesse de l'éclair pour s'imposer comme l'un des hommes les plus riches de la planète. Lakshmi est né dans un village de Rajahstan, dépourvu d'électricité, et a commencé dans la petite entreprise gérée par son père à Calcutta. Il a amassé de l'argent en transformant et en rachetant les aciéries de par le monde. Il est devenu la 3e fortune mondiale (26 milliards de dollars) derrière le fondateur de Microsoft Bill Gates (46,5 milliards) et Hathaways (44 milliards). Comme le Russe Abrahamovitch qui s'est offert le club anglais de Chelsea, Lakshmi a un mode de vie qui défraye la chronique et suscite l'intérêt de la presse people. Il y a deux ans, il a déboursé 70 millions de livres sterlings pour s'offrir la maison la plus chère de Grande-Bretagne. En réalité, un véritable palace. Près de 30 ans le séparent de ses débuts besogneux, ou contraint de quitter le cercle familial, il s'installe en Indonésie en 1976, première étape d'une longue série de rachats d'aciéries à Trinidad, en Union soviétique et dans les anciens pays du bloc de l'Est. Son logo est partout, même en Algérie où il a pu s'installer à El Hadjar. « Mittal son entreprise, dit-on, a profité de la conjoncture favorable et de l'intérêt subit pour les métaux, qui a fait exploser les prix. » Sa famille contrôle 88,6% de Mittal Steel avec ses deux enfants étroitement imbriqués dans la direction du groupe. Le fils Aditya, président de l'entreprise et directeur financier, tandis que la fille Vanisha en est la directrice. Ses proches reconnaissent en lui, un homme de défis, qui flaire la bonne affaire. « Je suis d'abord un entrepreneur doté d'une vison stratégique à long terme, qui aime le risque calculé », aime-t-il dire. Objectif monde Prié de s'expliquer sur les conséquences de la transaction qu'il compte faire avec Arcelor et les craintes suscitées, il a déclaré : « Mittal et Arcelor sont deux compagnies européennes mondialisées. Nous sommes immatriculés aux Pays-Bas. J'ai un passeport indien, mais j'ai travaillé toute ma vie avec des étrangers. Pourquoi cette peur ? La France n'a rien à craindre, au contraire. En grossissant, Arcelor va participer davantage à la croissance économique. L'Europe a l'habitude des structures familiales qui offrent stabilité, leadership et vision », a-t-il rassuré. Son origine a fait jaser certains milieux occidentaux, n'hésitant pas à le qualifier de « néo-prédateur », même si les officiels français ont jugé bon de placer la transaction dans son contexte originel en déclarant que « la nationalité des actionnaires n'a rien à voir dans cette affaire », alors que le gouvernement indien s'est vu acculé à prendre la défense de son ressortissant, condamnant au passage, cette forme de racisme qui ne dit pas son nom. Car l'union préconisée est mal vue par certaines capitales européennes qui voient dans cette intrusion asiatique un péril à venir. La réaction est vite venue pour dénoncer cette « hypocrisie occidentale », qui ne voit la mondialisation que devant sa porte. Pourtant, Lakshmi a rassuré : « La France est une part très importante d'Arcelor avec ses 30 000 salariés et ses 19 sites. Il n'est pas question de licencier, mais de maintenir les engagements d'Arcelor, d'assurer un meilleur et plus sûr avenir. » Lakshmi sait de quoi il parle. Il n'oublie pas ses origines et ses débuts laborieux. « J'ai grandi comme un garçon pauvre à Calcutta. Je vivais dans un petit endroit bruyant. J'ai appris mon métier avec mon père en Inde et j'ai conservé un très fort attachement aux gens, aux communautés locales », s'est-il justifié pour lever le voile sur sa personnalité. Mais le milliardaire sait aussi être un self man, insatiable qui aime le faste. Le mariage de sa fille Vanisha qui a coûté 55 millions d'euros, sans doute le mariage le plus cher au monde, et l'achat d'un palace à Kenserghton, ont largement contribué à changer son image auprès du petit peuple, dont il est issu et dont il se réclame. Si l'OPA, lancée par Lakshmi, suscite toute cette agitation, c'est surtout en raison du volume de la transaction, car ce n'est pas la première fois que les fleurons européens passent aux mains d'investisseurs venus d'ailleurs. En 2001, Mme Shawlan, une femme d'affaires taïwanaise, a racheté la maison de couture Lanvin et ses filiales (80 millions d'euros de chiffre d'affaires). Le numéro un français de la transformation de tomates a été racheté par un groupe chinois, alors que la prise de contrôle de la fabrication de téléviseurs Thomson par TCL s'est faite en 2004. Les nouveaux maîtres du monde Les experts se demandent, à juste titre, si après l'éveil de la Chine, celui de l'Inde, dont l'économie croît de 7% par an, ne vient-il pas bousculer bien des certitudes. Les nouveaux mahrajas sont décidés à aller jusqu'au bout de leur entreprise, même si cela fait grincer les dents des décideurs européens, peu enchantés par cette tournure. « Avec cette opération, les clients européens continueront à avoir des produits de haute qualité et à bon prix, avec un fournisseur mieux capitalisé et les clients indiens accéderont à une technologie de classe mondiale », suggère-t-il à l'adresse des indécis. Jean-Paul Fitoussi, président de l'Observatoire français des conjonctures économiques, s'étonne... de l'étonnement de certains qui semblent découvrir l'existence de nouveaux acteurs sur l'échiquier économique mondial. « Le phénomène est perceptible depuis au moins une dizaine d'années. Quand un pays comme l'Inde qui compte plus d'un milliard d'habitants se développe de façon extraordinairement inégalitaire, il n'est guère étonnant de voir que de très grosses fortunes se constituent et qu'émergent de nouveaux groupes puissants. » L'économiste banalise cette opération, car soutient-il : « Moralement, il n'est pas acceptable de laisser près de la moitié de l'humanité s'enliser dans le sous-développement. Economiquement, l'émergence de nouvelles puissances économiques offre des opportunités de croissance considérables pour l'ensemble des pays développés. » Voilà qui est dit et qui donnera sûrement à réfléchir, aux adeptes de la mondialisation à deux vitesses et qui ne voient d'autre pouvoir que le leur. Parcours Lakshmi Narayan Mittal, connu sous le nom de Lakshmi Niwas Mittal, est né le 15 juin 1950 à Sadulpur en Inde. C'est un milliardaire indien, dont la fortune provient de l'industrie sidérurgique. Créateur et actionnaire principal (88%) de Mittal Steel Company, le plus gros producteur d'acier du monde. Il a commencé à racheter les aciéries en difficulté à travers le globe - en Indonésie, mais aussi en Russie et pratiquement dans tous les pays de l'ex-bloc de l'Est. Mittal est aussi installé en Algérie à El Hadjar, précisément. Cet esprit d'entreprise, Mittal le doit à son père qui lui a appris le métier, mais aussi à l'enseignement prodigué. L'Inde, par tradition, a toujours favorisé son enseignement supérieur. C'est sa force aujourd'hui. Dans les universités les plus prestigieuses du monde, les meilleurs professeurs sont souvent des enseignants indiens. Dernièrement, le groupe indien, qui est en fait une entreprise familiale, a lancé une OPA pour absorber le géant de l'acier européen Arcelor, qui talonne Mittal Steel dans la production mondiale de ce métal précieux.