La directrice générale de l'Unesco vient d'effectuer pour la première fois une visite en Algérie, un pays membre actif mais surtout disposant de moyens financiers énormes.Notre pays est sollicité pour permettre à cette institution de concrétiser son plan d'action en faveur des pays pauvres notamment. Parmi les pays qui ne contribuent pas financièrement, figurent aujourd'hui les USA, en raison de l'entrée de la Palestine à l'Unesco. Mme Irina Bokova a voulu répondre à nos questions, en dépit de son emploi du temps chargé. -Quelles sont vos impressions suite à votre visite du site de Tipasa ? Franchement, j'ai beaucoup admiré le site de Tipasa. Je crois que c'est l'un des premiers sites algériens inscrits sur la liste du patrimoine mondial. Tout ce que je peux dire, hormis ses beautés et ses richesses, ce qui m'a surtout impressionné, c'est l'ancrage du site de Tipasa dans la vie active locale. La communauté d'ici est très engagée et les populations locales sont très liées à ce site. C'est très important. A l'Unesco, nous faisons un grand effort pour faire le lien entre la communauté et les sites du patrimoine mondial qui ont une vie. Ce n'est pas seulement des pierres, ces sites représentent une histoire. Nous venons de voir les tableaux de mosaïque qui nous renseignent sur les périodes du passé de la région de Tipasa. Les gens doivent être fiers de tout ce que représente la valorisation de ce site, car, bien évidemment, nous allons voir arriver le tourisme durable et tout ce que peuvent entraîner les efforts de l'Etat en faveur de ce site. -Comment trouvez-vous l'état du site de Tipasa qui avait été pourtant classé sur la liste du patrimoine en péril ? Comment appréciez-vous les actions intersectorielles entamées pour le faire sortir de cette liste ? C'est un bon exemple. Nous avons mis ce site sur la liste des patrimoines en danger, par la suite, nous avons constaté la grande mobilisation des autorités locales et du pays pour le protéger. Après l'évaluation positive du site, on l'a fait sortir de la liste. Sachez que le classement du site sur la liste du patrimoine en danger n'est pas une punition. C'est plutôt une alerte pour les autorités du pays, afin qu'elles puissent mobiliser les ressources. Ici à Tipasa, je peux dire que c'est un exemple positif d'une bonne politique culturelle en Algérie. -En ce moment, je veux aborder le cas du patrimoine qui se trouve à Tombouctou et la menace qui plane sur les trésors culturels du Mali. Qu'a fait l'Unesco ? L'Unesco est en contact quotidien avec ses représentants à Bamako. J'ai fait des déclarations pour exprimer d'abord les inquiétudes de l'Unesco et nos préoccupations sur l'état majeur des sites du patrimoine au Mali. Je vous dirai que notre bureau à Bamako est en relation permanente avec les imams des mosquées, parce qu'elles sont des mosquées extraordinaires. C'est une immense richesse. Nous sommes aussi inquiets pour les manuscrits que détiennent les familles maliennes, car nous savons que c'est une histoire de fierté et de richesse. Je suis inquiète de ce qui se passe au Mali et la situation du patrimoine de ce pays. -En Irak, il y avait un conflit ; des monuments et des vestiges historiques avaient été détruits par les bombardements lors de l'invasion dans ce pays par les forces de l'occupation. L'Unesco avait-elle pris des mesures pour protéger ce qui reste du patrimoine en Irak ? L'Unesco avait engagé deux actions à cette époque-là. La 1re consistait à procéder au sauvetage des objets du musée de Baghdad. Malheureusement, nous n'avons pas pu tout faire. Néanmoins, plus de la moitié des objets de ce musée avaient été conservés. L'Unesco avait restauré des objets d'art avant de les transférer à Baghdad. La 2e, du moment que l'Irak est un pays qui recèle des richesses énormes, l'Unesco avait créé un Comité de protection de la culture de l'Irak. Ce comité est composé de plusieurs partenaires, parce que nous continuons à travailler sur l'arrêt du trafic illicite des objets d'art. L'Unesco travaille avec Interpol, avec l'Organisation mondiale des douanes, le Conseil des musées des objets culturels et d'autres partenaires, pour la protection du patrimoine irakien. L'Unesco continue à travailler davantage, car la menace est toujours présente, notamment dans le domaine du transfert illégal des objets d'art. -En matière de mise en place des plans de sauvegarde des sites et monuments historiques et culturels, comme c'est le cas à Tipasa à titre d'exemple, estimez-vous que c'est un cas d'école ? Vous savez que nous ne pouvons pas dire que nous avons tout fait pour protéger les patrimoines. Aujourd'hui, il y a la menace des changements climatiques. J'ai remarqué qu'ici à Tipasa, les pluies torrentielles avaient occasionné beaucoup des dégâts. Donc, cela représente une menace permanente. Il y a même d'autres infrastructures qui sont menacées. C'est le moment de réfléchir à une réconciliation avec les patrimoines et la modernité. Alors, je ne peux pas dire que tout est parfait. Il faut toujours veiller pour qu'il y ait suffisamment d'efforts qui aillent dans le sens de la protection du patrimoine culturel.