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Marco Perolini : «Les musulmans peuvent être discriminés pour plusieurs raisons»
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Publié dans El Watan le 24 - 04 - 2012

Marco Perolini travaille comme chercheur sur la discrimination en Europe au secrétariat international d'Amnesty International à Londres depuis janvier 2011. Il a auparavant travaillé sur la discrimination avec plusieurs plateformes européennes d'organisations non gouvernementales. Il a une formation académique en sciences politiques et droits humains. Dans cet entretien Marco Perolini revient sur la situation des musulmans en Europe
-Quelle est la situation des musulmans en Europe aujourd'hui?
En Europe, les musulmans ne constituent pas un groupe homogène. Dans certains pays, ils sont présents depuis des siècles, comme en Russie, en Macédoine ou en Bosnie-Herzégovine. Ailleurs, les musulmans sont essentiellement d'origine immigrée. En France, en Belgique et aux Pays-Bas, nombreux sont ceux qui ont été naturalisés, alors qu'en Suisse, la plupart sont des ressortissants étrangers.
Les immigrés de confession musulmane sont d'origines diverses. En France, par exemple, ils viennent essentiellement d'Algérie, du Maroc, de Tunisie et de l'Afrique subsaharienne, alors qu'en Belgique et aux Pays-Bas, ils sont le plus souvent originaires du Maroc et de Turquie. Au Royaume-Uni, les musulmans originaires du Maghreb ne représentent qu'une fraction des musulmans installés dans le pays et qui viennent en général du Bangladesh, du Pakistan ou d'Inde.
En Europe, l'observance des préceptes et des pratiques religieuses des musulmans sont aussi très variées. Des pratiques susceptibles d'être perçues comme religieuses peuvent être, pour les musulmans qui les respectent, l'expression de coutumes culturelles ou traditionnelles.
Par exemple, d'après une enquête réalisée en Suisse, la moitié des personnes d'origine musulmane affirmant être non pratiquantes disaient respecter quand même les prescriptions alimentaires, alors que 25 % des personnes qui affirmaient être très pratiquantes ne les respectaient pas.

- Amnesty International vient d'établir un rapport sur la situation des musulmans en Europe. Expliquez nous le déroulement de cette étude?
Ce rapport s'inscrit dans le travail qu'Amnesty International poursuit sur la discrimination en Europe. Dans ce cadre, Amnesty International s'occupe de plusieurs formes de discriminations comme par exemple les discriminations sur la base de l'origine ethnique ou les discriminations sur la base de l'orientation sexuelle et de l'identité de genre.
Ce rapport se penche sur une forme spécifique de discrimination, celle sur la base de la religion ou de la croyance et de son impacte sur les musulmans. Il faut bien tenir en compte que cette forme de discrimination peut affecter les membres d'autres religions en Europe comme dans d'autres continents aussi. Amnesty International s'est souvent exprimé contre les violences et les discriminations vécues par les minorités religieuses, dont les chrétiens et les juifs, dans des pays non européens.

- Depuis quelques années, la discrimination tend à se singulariser chez les français envers les musulmans. Peut-on dire que les musulmans de France vivent actuellement les pires moments de leurs existences ?

Notre étude n'a pas pour objectif de faire de comparaisons historiques ou entre différents pays. On identifie plutôt certaines formes de discriminations et leur impacte sur les musulmans en Europe en apportant quelques exemples provenant de cinq pays européens, y inclût non seulement la France mais aussi la Belgique, l'Espagne, les Pays-Bas et la Suisse.
On a été sûrement témoin, pendant la dernière décennie, d'une montée des stéréotypes et des préjugés contre les musulmans en Europe. Ces préjugés ont parfois été soutenus par certains gouvernements ou certains élus, certains médias et certaines parties de la population. Soyons clairs : on a le droit de critiquer les pratiques culturelles et religieuses car cela est assuré par le droit à la liberté d'expression. Mais ces critiques ne peuvent pas déboucher sur la violation des droits humains des membres d'une certaine religion.

-Rejet de certaines tenues vestimentaires, interdictions de la construction de minarets. Est ce là des dispositions stratégiques à vocation sécuritaire où un simple retour vers l'intolérance religieuse du XV siècle ?
La sécurité publique est en théorie un des motifs légitimes selon le droit international pour restreindre les droits à la liberté d'expression et de religion ou de croyance. Toutefois on a remarqué que souvent les restrictions par rapport au port des vêtements ou signes religieux ou culturels ne sont pas justifiées par les employeurs dans le secteur privé sur la base de la sécurité, mais par le fait que ces vêtements pourraient déplaire aux clients ou aux autres collègues ou bien porter atteint à une certaine notion de neutralité.
Ces arguments sont contraires aux standards sur la non-discrimination : une personne pourrait être traitée différemment sur le marché de l'emploi sur la base de sa religion seulement pour des exigences essentielles pour le déroulement de l'activité professionnelle. Par exemple une règle qui exige de porter un casque sur chantier de travail pourrait être considérée comme justifiée car l'obligation de garantir la sécurité des employés est un motif objectif et raisonnable.
Les autorités peuvent exiger que les lieux de culte respectent des règles techniques de manière à garantir la sécurité publique mais ces règles doivent être proportionnées et nécessaires. Si un projet de lieu de culte musulman respecte tous les critères obligatoires, les autorités ne doivent pas s'y opposer uniquement parce que certains riverains ne veulent pas de mosquée dans leur quartier comme par exemple ça été le cas en Catalogne (Espagne).


- Ces dernières années, nous avons tendance à entendre moins parler d'arabes mais plus de musulmans. La religion des émigrés importe-t-elle plus que leur origine ?
Nous tenons à préciser que les musulmans peuvent être discriminés pour plusieurs raisons et pas seulement pour leur religion ou croyance. Ils peuvent être discriminés par exemple pour leur origine ethnique, pour leur genre ou pour deux ou plus de ces motifs à la fois. Tout de même, ces dernières années les stéréotypes et les préjugées sur les pratiques religieuses perçues comme étant liées à l'Islam ont nourri la discrimination basée sur la religion et la croyance.

- Le retour à la tolérance et la coexistence religieuse dans le vieux continent, est ce possible, selon vous ?
Nous demandons aux Etats de mettre en oeuvre les lois contre toute forme de discrimination dont la discrimination sur la base de la religion ou la croyance dans les domaines de l'emploi ou de l'éducation, d'éviter d'adopter des politiques ou des législations discriminantes comme par exemples les interdictions totales de porter certains types de vêtements culturels ou religieux et d'assurer que chacun puisse être libre de manifester ou de ne pas manifester sa religion ou sa croyance sans pression de la part de l'Etat ou de la part d'autres citoyens. Cela sont des pas nécessaires pour combattre la discrimination contre les musulmans en Europe.


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