Je souhaiterais intervenir sur certaines réflexions rapportées par la presse nationale, notamment les points de vue d'Ali Derbala et Rachid Bebbouchi (publiés dans El Watan), qui coïncidaient avec l'adhésion de l'Algérie à la Société internationale de mathématiques et la tenue du congrès de la Société de mathématiques d'Algérie (SMA) (nouvellement créée). Les titres des articles de la presse nationale (et de la société en général) minimisent les avancées actuelles, si elles ne les rabaissent pas. Pourquoi ce pessimisme qui ne reflète pas la réalité du terrain ? C'est un problème mondial que ce désintérêt pour les mathématiques, mais c'est également vrai pour tout ce qui est fondamental : physique, chimie et même informatique fondamentale. Peut-être est-ce dû à notre manière d'enseigner ? Il y a eu un petit article sur le congrès de la SMA, ainsi qu'une interview de Rachid Bebbouchi sur ce sujet dans El Watan du 18 mars 2012 : Il est légitime pour les jeunes de penser à leur avenir en s'orientant vers des filières à débouchés visibles, si ce n'est qu'apparent : pharmacie, médecine, informatique (par informaticien, il faut comprendre la double, voire la triple compétence : un biologiste ayant des connaissances d'informatique, un architecte ayant des connaissances d'informatique...). Je voudrais rappeler que les premiers diplômés en informatique des universités USTHB, Constantine ou Oran (et même l'ex-INI) trouvaient des problèmes de débouchés, car les entreprises ne savaient pas quoi en faire : «C'est quoi l'informatique ?», disaient les responsables de recrutement. Seul le CNI (ex-Commissariat national à l'informatique et le centre de recherche de Sonelgaz, et peut-être celui de Sonatrach avaient cet aspect visionnaire que doit avoir l'université (certaines visions marchent et d'autres conduisent à un mur… et il faut l'accepter et transmettre ce message aux nouvelles générations… N'est-ce pas là le rôle de l'université d'envisager des orientations, même si certaines n'aboutissent pas ? Une anecdote (racontée par Rachid Bebbouchi lui-même dans un autre journal) : le lauréat des dernières olympiades de mathématiques auxquelles a participé l'Algérie (c'était il y a près de 15 ans), disait, après avoir reçu son prix, qu'il ne ferait pas mathématiques, mais pharmacie. Pourtant, il ne faut pas plus d'intelligence pour faire pharmacie que mathématiques. Mais ce sont les meilleurs qui demandent à faire pharmacie, et il est nécessaire pour la tutelle d'imposer un numerus clausus pour canaliser les flux. Les «meilleurs» ont le droit de choisir leur avenir comme ils l'entendent. Dans l'article consacré au congrès de la SMA (El Watan du même jour), d'autres collègues ne partageaient pas ce point de vue pessimiste (Benali Benzaghou, Zizi Khelifa…) et étaient plus optimistes quant à l'évolution des mathématiques dans notre pays. Mais, effectivement, d'autres collègues tenaient le même langage «pessimiste», à commencer par le ministre. Sauf que ce dernier parlait de vouloir engager des actions pour remédier à ce problème. Il faut dire que des actions ont été déjà entreprises dans son département avec, notamment, l'introduction des classes préparatoires(*). Il faut dire que ces dernières devraient exister dans tous les lycées, mais le ministre de l'Education avait estimé que son département était incapable de le faire. Aussi, seuls quelques lycées pilotes ont été retenus. Il faut ajouter aussi que ce type de classes préparatoires existait depuis 2000, au niveau de l'école préparatoire de Rouiba dépendant du MDN, avant son extension à quelques lycées pilotes. Si ces classes préparatoires devraient sans problème alimenter les écoles d'ingénieurs (un «bon» ingénieur a une bonne culture fondamentale, sinon il n'est qu'un «bon» technicien, comme la société les exploite actuellement, non pas selon leurs compétences, mais selon les besoins des employeurs ; on se demande si elles auront l'effet escompté pour les mathématiques fondamentales, sachant que la majorité des étudiants du MI (mathématiques et informatique : un pôle d'excellence à l'USTHB) optent en 2e année pour l'informatique pour «fuir» les maths. De plus, je crois me souvenir qu'il y a eu des contestations d'étudiants au niveau de ces classes ; je ne sais pas trop de quelle nature. Notre collègue Rachid Bebbouchi reconnaissait toutefois que les filières d'engineering (recherche opérationnelle et statistiques, en mathématiques) avaient une certaine cote, en tout les cas, mieux que la physique, la chimie ou l'informatique fondamentale. Cela a été vrai (avant l'introduction du LMD) avec d'autres filières de mathématiques appliquées à Blida et dans beaucoup d'autres établissements nationaux. Enfin, je souhaiterais mettre un petit bémol aux dires de notre collègue Rachid Bebbouchi qui disait que si la filière «recherche opérationnelle» avait la cote chez les étudiants, elle ne pouvait être considérée comme des mathématiques. On pourra vérifier que c'est inexact, en consultant certaines bases de données reconnues internationalement, telles que Mathematical Review et la classification AMS (American Mathematical Society) ; d'autres journaux de références de ce type existent : Zentralblatt (Berlin) ou Referativni Journal (ex-URSS). En principe, c'est au Cerist que revient le rôle de la recherche en information scientifique et technique, mais nous sommes dans l'obligation de nous référer à ces bases de données reconnues au niveau international. La recherche opérationnelle figure bien dans le «mathematical subject classification) aux côtés de la programmation mathématique (linéaire, non linéaire, convexe, géométrique, en nombre entiers…) 90 Operation research, mathematical programming (les numéros indiquent la classification du thème). Si le département de recherche opérationnelle de l'USTHB semble s'être limité à tout ce qui concerne la programmation mathématique, mais principalement la théorie des graphes et les structures discrètes (domaine dans lequel elle rayonne), la recherche opérationnelle ne se limite pas à cela et comprend des méthodes stochastiques (ordonnancement et théorie) des files d'attente, théorie de fiabilité, commande optimale déterministe ou stochastique, Simulation statistique, théorie de la recherche, théorie des jeux déterministes ou stochastiques… Il est vrai aussi que les aspects stochastiques de la recherche opérationnelle se sont développés à l'USTHB au sein du département de probabilités et statistiques plutôt que dans celui de recherche opérationnelle, ce qui n'est pas le cas dans les établissements de l'intérieur où ces divers aspects sont plus ou moins abordés. Je continue dans la classification AMS : 97 Mathematic Education On peut retrouver «recherche opérationnelle» au 97 M40. Mathematical Programming au 97 ? Graph Theory au 97 K20 Je cite d'autres thèmes parmi les plus répandus, si ce n'est que dans notre pays Théorie des graphes 05C, 90, 68R, 68W 65K Mathematical programming, optimization and variation techniques 65C et 68C Simulation Contrôle optimal 49 Combinatoire 05 Théorie des files d'attente (Queueing Theory, 60K25), Renewal theory (60K05), Fiabilité (Reliability) (60K10) classés avec 60 Probability theory and stochastic processes Maintenant, les chercheurs en recherche opérationnelle publient leurs travaux dans diverses revues d'analyse ou d'algèbre qui ne font pas toujours mention explicitement du terme «recherche opérationnelle». NB.3. Un peu d'histoire. La recherche opérationnelle est née avec les militaires durant la Seconde Guerre mondiale (si certains revoient les vieux films US, on verra effectivement des bureaux avec la dénomination «département de recherche opérationnelle» qui s'intéressait à tous les problèmes logistiques accompagnant une guerre : transport, communication, industrie de l'armement…) avant de basculer dans le public : industrie et économie en particulier, mais pas seulement. C'est également le cas actuellement avec la cryptologie et la sécurité informatique qui, avant de basculer dans le public pour les aspects de transactions électroniques, a commencé à être développé par le militaire. Il faut se rappeler que les mathématiques ont commencé à se développer avec une attention pour les problèmes physiques, ce qui a conduit à des disciplines telles que «équations de la physique mathématique» (équation de la chaleur, des cordes vibrantes…) : les challenges actuels vont vers les nanotechnologies, la micro étant dépassée. Si les phénomènes physiques sont assez bien maîtrisés (après des siècles d'investigation), les phénomènes où l'humain intervient (économie, sociologie…) sont plus compliqués à modéliser (une forme vicieuse d'incertitude), et au lieu de se «lamenter» sur le recul de certaines formes d'enseignement, on ferait mieux de mettre les avancées des mathématiques fondamentales au service de telles disciplines mal connues et qui obéissent à des «lois occultes», comme l'ont montré les déboires de la finance mondiale ces derniers temps… et dans notre pays également, sans citer ici de cas «d'écoles». Je souhaiterais également rappeler que l'USTHB est à vocation scientifique et technologique, comme cela a été le cas initialement à l'université de Blida. Cette dernière a basculé vers une «vraie» université (universalité oblige) en regroupant toutes les disciplines, même si c'est sur des sites différents. A Alger, la situation est plus compliquée, car son université a été restructurée en Alger 1 (sciences humaines et sociales), Alger 2 (sciences économiques et politiques), Alger 3 (sciences juridiques) (les numérotations sont peut-être différentes), et enfin l'USTHB qu'on pourrait appeler Alger 4. Je ne parle pas de la médecine qui fait cavalier seul et qui milite pour sa propre université (Alger 5 ?). Il y a également les différentes écoles supérieures qui font redondance avec ce qu'enseigne l'université (par exemple le département d'informatique de l'USTHB et l'Ecole nationale d'informatique, INI, qui ne sont qu'à quelques centaines de mètres l'un de l'autre). Pour Alger 1, 2, 3 et 5, les gens de l'USTHB sont tous des matheux (maths, physique, chimie, informatique, électronique, génie civil, mécanique… à l'exception peut-être de la biologie). Il est vrai aussi que la recherche opérationnelle n'a pas réussi à évoluer en tant que discipline particulière (probablement parce qu'elle aborde beaucoup d'aspects et qu'elle a été «acceptée» et «absorbée» dans beaucoup de disciplines «dites classiques ou fondamentales»). Juste pour l'exemple, les ingéniorats de recherche opérationnelle, dont parle notre collègue, étaient très prisés à l'USTHB et constituaient pratiquement le premier choix des étudiants (presque) devant l'informatique. Il y a eu très peu de filières de ce type (USTHB, Béjaïa et Blida, selon mes souvenirs). Pourtant, que ce soit la recherche opérationnelle ou l'informatique, les premières promotions (tout au moins à l'USTHB) sont sorties de l'Institut de mathématiques… et dans les universités de l'intérieur, l'informatique est avec les mathématiques… sauf à l'USTHB. Il est vrai également qu'outre-mer, la recherche opérationnelle est développée de manière différente selon les pays. A titre d'exemple, en France, la recherche opérationnelle est une discipline d'informatique, mais évoluant également selon les établissements au côté d'automatique ou génie industriel (comme à l'ENP). Aux USA, elle peut être vue dans des disciplines telles que l'informatique, le business, mais aussi les mathématiques. En Algérie, c'est un malencontreux hasard qui a fait que la recherche opérationnelle se retrouve en mathématiques à l'USTHB. Ce hasard a été que l'Institut de mathématiques de l'USTHB a voulu développer les deux disciplines simultanément et les premières promotions étudiaient les mêmes modules. La suite n'a été que des problèmes (de personnes ? de stratégies ?) qui ont fait que c'est généralement (pas toujours, contre-exemple Béjaïa ou Blida) une structure de mathématiques qui prend en charge la recherche opérationnelle. NB.4. Je voudrais citer également Xavier Guyon, invité aux journées de statistiques et qui, lors du débat final, disait : «On parle de mathématiques ‘‘pures'', comme s'il existait des mathématiques ‘‘impures'' !)». Sans commentaires !
(*) Nous pouvons rappeler que les grandes écoles d'ingénieurs (à l'image de celles qui existent en France (polytechnique, travaux publiques…), étaient accessibles à l'issue d'un concours (les participants étant ceux des classes préparatoires, de l'EMP (Ecole militaire polytechnique), ex-ENITA (Ecole des ingénieurs et techniciens d'Algérie), mais également tous les diplômés de DES (équivalent de maîtrise) en mathématiques, physique et chimie.