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«La confiance entre candidats partis et électeurs atteinte par les slogans usés» Aïssa Merah. Docteur en sciences de l'information et de la communication
Aïssa Merah est docteur en sciences de l'information et de la communication et maître de conférences à l'université de Béjaïa. Dans cet entretien, il analyse la sémiologie des affiches électorales placardées dans nos villes, mais qui ne parlent à personne. Et il semblerait que, dans cette campagne, il s'agit plus de figuration que de transmission d'un message. - Quelle analyse et lecture sémiologique peut-on faire des différentes affiches électorales des partis engagés dans la course aux législatives ? Sans vouloir viser aucun parti, je pense que les affiches ont été conçues et imprimées avec beaucoup de précipitation et d'improvisation. En les comparant à celles des élections précédentes, c'est curieux de constater une manifeste régression : les affiches ne répondent pas aux exigences iconographiques et sémiologiques. Les agencements des éléments de l'affiche (candidats, président de parti, identité, slogan, géométrie…) ne fournissent aucune forme ou figuration significative ni en connotation ni en dénotation. Les icônes, les codes et les lignes directrices du sujet suggérant un message et un sens se déconstruisent avant de le dégager, alors qu'ils doivent en découler. Le croisement de ces éléments de sens, qui devaient présenter les points forts de l'affiche, se dégrade pour s'effacer sans rien dire. La conception, si elle existe, ne permet pas une perception significative, claire et marquée. La forte présence de plusieurs éléments hétérogènes voire opposés complique la lecture. Le mélange de symboles et des couleurs est marqué sur les affiches des petits partis. Réunir le carré, le cercle et le triangle est aberrant. Pour les couleurs, l'identité politique n'est pas respectée, mis à part pour le FLN et le RND où le vert militaire est présent en arrière-plan. Pour le FFS, l'innovation «tactique» est à la fois intelligente et patente, mais sans garantie, voire risquée. Le FFS a laissé le bleu et blanc pour des couleurs tristes et sombres (rupture/révision de ligne), et absence curieuse de l'effigie du zaïm (relève, autonomie de décision). Le plan américain (individualistes centrés) des premiers candidats est choquant surtout pour un parti de gauche perçu comme serein et sage. Le vert est la couleur de plusieurs listes. Si pour les partis islamistes (de l'Algérie verte), le vert signifie l'islam et pour lesdits nationalistes (FLN et RND) signifie le drapeau et l'armée, pour d'autres, et je pense au MPA, c'est curieux. Certes, cet usage peut être interprété par l'imitation, mais peut aussi être une manière de contester le monopole de l'islam et du nationalisme.
- Qu'en est-il des slogans ? Je pense que les slogans sont toujours les mêmes : les partis majoritaires parlent de continuation et de consolidation des réalisations et des acquis, mais sans reconnaître les problèmes posés. Le pronom «nous» renvoie aux partis en tant qu'acteurs «monopolisateurs et accapareurs» des réalisations de la révolution et de l'indépendance. En évoquant les insuffisances, l'indéfini est frappant : fatalité, distanciation et «la faute de l'autre». C'est stratégique et en harmonie avec leur discours triomphaliste et dominant. La redondance alourdie au FLN et au PST est flagrante au point de l'étouffement, surtout avec les sigles et les couleurs. L'affiche doit contenir un court slogan à message découlant clair pour les électeurs, mais chargé et suggestif pour les acteurs. La promesse et l'engagement des candidats sont minorés par les discours dominants des partis. - Quelles sont, pour l'heure, les affiches qui ont le plus marqué l'expert en communication que vous êtes ? J'ai été choqué par la présentation caricaturée des discours sur l'implication de la femme et des jeunes en politique. Deux exemples «anecdotiques» l'illustrent suffisamment. Pour la gent féminine, sur les cases et cercles réservés aux femmes candidates, on ne peut voir qu'une schématisation «à la dessins animés» d'une silhouette de femme voilée sans visage. Ou encore, l'on peut lire le mot «femme» à l'indéfini sans nom, ni âge, ni fonction et surtout sans photographie. Quant aux jeunes, l'affiche permet de comprendre qu'ils ont complété la liste et servi d'arrière-plan. Les photographies affichées, je pense que ce sont celles des dossiers administratifs, permettent de découvrir des traits dévalorisants : regard évasif, air menaçant, look peu soigné, tenue peu décente. Je pense que la confiance, déjà fragilisée, devant s'instaurer entre candidats/partis et électeurs est vraiment atteinte, car le changement dans la douceur promis est contrarié par les slogans usés et consommés. - Certains candidats, notamment des membres du gouvernement, ont mis en avant dans leurs affiches leurs «réalisations». Comment peut-on analyser ces images et leur impact hypothétiques sur l'électeur ? L'amalgame entre l'action gouvernementale et l'activité partisane est traditionnel, surtout au FLN qui investit dans la continuité. Mais l'affiche du ministre Amar Ghoul est une innovation intelligente. Un ministre qui assume son projet principal est ingénieux, mais la belle autoroute de l'affiche réceptionnée était non opérationnelle. La conception est réussie en matière de cadre, de couleur, un portrait imposant et dynamique d'un acteur jouissant d'une image d'un docteur «de terrain» et d'homme d'Etat plus que ministre du MSP. L'affiche peut avoir l'écho escompté sur les militants islamistes connus par leur discipline et l'entrisme qui arrange les jeunes diplômés. Mais attention, les électeurs sont imprévisibles et peuvent lire et interpréter l'affiche différemment : il est comme les autres ministres au gouvernement depuis 1995. - Vous travaillez aussi sur la «cyberpolitique». Quelle place occupe internet dans cette campagne ? La vraie campagne dans le sens du débat, même fragmenté, se déroule sur internet, même si rien n'est garanti comme impact, car le vote est déterminé par d'autres paramètres non maîtrisables. Les options offertes par internet, qui sont la décentralisation de l'émission, l'expression, la discussion, l'interactivité, l'anonymat, la visibilité des idées et des acteurs, font de ce dispositif une arène publique délibérative. Cet intérêt est surtout expliqué par la fermeture et le contrôle des espaces publics traditionnels qui demeurent le monopole de certains acteurs et discours. La cyberpolitique ou cyberactivisme est aussi fort présent sur les réseaux sociaux : l'affiche électorale la plus «regardée et commentée» est la liste de «la pomme de terre et du chômage» circulant sur facebook. L'observation de certains blogs, commentaires d'articles de journaux sur le net suffit pour comprendre que le refuge est sur le net. Je pense que les partisans du boycott, surtout du RCD, sont fort présents : groupes et pages, commentaires, photos, vidéos, articles balancés et partagés. Les islamistes sont très actifs, ceux de l'Alliance verte surtout avec toujours le candidat omniprésent Amar Ghoul qui jouit apparemment d'une grande notoriété. Les islamistes hostiles au vote sont aussi dynamiques et développent leur discours avec le même extrémisme surtout animé par des activistes installés à l'étranger. Quant aux sites des partis traditionnels, ils sont statiques et seulement une version «vitrine» des documents institutionnels ne permettant ni interactivité ni discussion. La nouveauté se situe au niveau des activités du chef de parti et les slogans de la campagne.