Nous commençons notre parcours de campagne par une commune trônant sur les hauteurs : El Mouradia. Le Golf si vous préférez, siège du palais présidentiel. Nous sommes à La Redoute, le quartier de Didouche Mourad et d'El Badji. Dans un coin près d'un marché couvert, un petit local fait office de permanence électorale. Une permanence FFS. Les posters d'Aït Ahmed sont sur tous les murs, avec ce slogan : « Penser et agir autrement ». Le chiffre 5 est arboré comme une « khamsa », une main de Fatma. Pas pour dire « Cinq dans les yeux de Zerhouni ! » mais parce que c'est le chiffre que l'administration du même Zerhouni a imparti au parti. « Ici, c'est El Mouradia versant populaire », lance Hakim Addad, tête de liste FFS pour la course à l'APW. On le connaît surtout pour être le remuant leader du Rassemblement action jeunesse (RAJ). La liste FFS d'El Mouradia compte seize candidats. Le parti avait boycotté, rappelle-t-on, les législatives du 17 mai dernier. Estimant que les locales donnent plus de considération au peuple, le « plus vieux parti d'opposition » participe donc au rendez-vous de demain. N'y a-t-il pas risque de confusion sémantique, dans l'esprit de certains, entre l'ex-démarche « boycottiste » et la démarche participationniste ? « Si nous participons aux locales, c'est parce que le FFS est un parti de terrain qui a toujours été proche du peuple. Nous n'avons jamais dérogé à nos principes depuis 1963 », dit Salah Benna, candidat (58 ans, directeur d'unité dans une entreprise publique). Dans l'APC sortante, le FFS avait deux sièges sur 11. Jouant à fond l'ouverture, le FFS a intégré des gens qui n'ont pas de carte de militant. Question jeunesse, ils sont bien représentés avec un candidat de 32 ans. « La première question que nous posent les jeunes c'est : "Est-ce que vous allez nous donner un logement ?" », confie Linda Ouacel, candidate (41 ans, décoratrice de profession) qui ajoute que de plus en plus de femmes s'intéressent à l'actualité électorale. « Ce sont principalement des femmes d'un certain âge ainsi que des femmes-cadres », dit Mlle Ouacel. Hakim Addad (44 ans, chargé de communication auprès de la directrice générale d'Algérie-Poste) était déjà candidat, rappelle-t-on, aux législatives de 1997 sous les couleurs du FFS. Expliquant sa présence sur cette liste, il dira : « Il arrive un moment dans la vie d'un militant où il lui faut assumer certaines responsabilités. La politique ne se fait pas toujours dans le camp de l'opposition. Aller se confronter aux problèmes de la gestion est aussi une bonne expérience à prendre pour mieux faire avancer les choses. » Le secrétaire général de RAJ se dit séduit par la dynamique politique lancée par le « triumvir » Hocine Aït Ahmed, Mouloud Hamrouche et Abdelhamid Mehri, et dont le rapprochement s'est encore vérifié à l'occasion du dernier congrès du FFS (6-7 septembre 2007). « L'idée, c'est de construire une alternative crédible », souligne-t-il, avant de marteler : « Quand vous entendez un jeune vous dire : "Je préfère être un poteau dans un sens interdit de l'autre côté qu'un être humain ici", cela vous glace le dos. Et vous mesurez la lourdeur d'une telle responsabilité. » Pour lui, il faut un rajeunissement des élites pour répondre à une demande juvénile frustrée. « Les jeunes ne croient plus à la chose politique, c'est un fait. Mais c'est en s'impliquant qu'on peut améliorer sa condition. Si on arrive à empêcher un jeune sur cent de monter dans une barque, c'est déjà ça de gagné. Cela fait quinze ans que le RAJ le dit. Si tu te plains de ton époque, demande-toi ce que tu as fait pour la rendre meilleure. En attendant de prendre le large, retrousse les manches. » Et d'entonner : « Je dis aux jeunes : Votez 5 comme 5 octobre ! » Partie de billard entre les ruines Belcourt. Des jeunes jouent au billard devant une kasma FLN tandis que d'autres sont adossés nonchalamment à des affiches électorales déchiquetées. Belcourt donne l'impression d'un quartier qui se réveille d'un séisme, tournant le dos complètement au show politique du moment. Un peu partout, des immeubles démolis, d'autres lézardés et sur le point de s'écrouler. « Nous avons toujours des camions de la Protection civile qui rôdent dans le quartier pour intervenir en cas d'effondrement », lance un jeune. Ne lui parlez pas de l'urne. Le thème de la malvie, le chômage, les flics qui jouent à cache-cache avec les vendeurs à la sauvette prennent vite le dessus sur le débat électoral. « Insistez sur le visa pour l'amour du vieux », lâche un garnement. « Ma n'votich ! Makan walou ! Krahna ! », mitraille un autre. Un troisième insiste sur l'état de la chaussée dans certaines rues d'Alger : « Si tu veux vendre ta voiture, on te dit tout de suite : montre l'état de la suspension ! Celle-ci est forcément bousillée à cause des nids-de-poule. Regardez ces trottoirs : du carrelage piégé. Et le maire qui vient, tu lui dis c'est quoi ton programme ? "N'aâwad tritoir" (refaire le trottoir). C'est pas sérieux chriki ! » Virée à la kasma du FLN de Belouizdad. Une large banderole aux couleurs du CRB, détournée pour une opération électorale fait face à la kasma. « C'est un type du FNA », nous dit-on. A l'intérieur de la bâtisse, des candidates et des candidats discutent dans une salle de réunion. Amamra Mohamed, candidat (41 ans, cadre dans un centre culturel), nous déclare d'emblée : « On veut assurer la continuité puisque le maire sortant était FLN. » Question animation de la campagne, le FLN brasse large : « Les hommes vont dans les cafés, dans les marchés, dans les quartiers, à la rencontre des citoyens, tandis que les femmes vont dans les maisons, dans les salons de coiffure et les hammams… », dit notre interlocuteur qui insiste sur le travail de sensibilisation fait par le FLN pour amener les gens à s'inscrire dans les listes électorales. « Le travail d'un parti commence à ce niveau-là : pousser les gens à s'inscrire. Nous travaillons déjà pour 2012 », dit-il. En guise de programme, M. Amamra s'attarde sur une formule aujourd'hui à la mode : « Démocratie participative ». « Nous comptons créer partout des comités de quartier. Nous proposons que les délégués des comités de quartier participent aux plénières lors des délibérations. » La commune compte environ 65 000 habitants. « 70 à 80% sont au niveau du seuil de pauvreté », affirme M. Amamra. Tayeb Abdallah, autre candidat, vice-président chargé de l'urbanisme dans l'APC sortante, donne des chiffres effarants sur l'état de vétusté du quartier, un des problèmes majeurs de la commune : « Le bâti occupe 70% du territoire de la commune. Sur ces 70%, 55% c'est du vieux bâti. Nous avons 1886 bâtisses touchées par le séisme du 21 mai 2003. Suite à une expertise du CTC qui a porté sur 860 bâtisses jugées urgentes, 120 étaient classées rouge. 510 bâtisses ont fait l'objet d'une réhabilitation dont 326 étaient classées orange 4. L'opération de réhabilitation qui a mobilisé 32 bureaux d'études et 229 entreprises comporte de nombreux défauts. » Aujourd'hui, il reste 1000 bâtisses à prendre en charge, soit 1944 familles, quasiment en danger de mort, et dont 800 seulement ont été relogées. « Tbezniss électoral » Commune de Sidi M'hamed. D'une officine FLN fuse une chanson composée spécialement pour Mokhtar Bourouina, le maire FLN sortant. Halte dans un local aux couleurs du parti Nahda. L'on voit tout de suite le cachet « zawali » d'une formation qui n'a pas les moyens des grosses cylindrées. Des slogans sur du papier A4 sont placardés un peu partout. Sur l'un d'eux, on peut lire : « Votez 6 contre t'bezniss ». L'appel du 1er Novembre, le texte de Qassaman et une table basse qu'un candidat a ramenée de chez lui forment l'essentiel du décor. Abdelhak Boumansour, tête de liste (50 ans, sous-chef de gare à la SNTF), anime seul la permanence. « Ce local appartient à un photographe du quartier. Il a bien voulu me le louer pour 50 000 DA », dit-il. « On finance la campagne de notre poche. C'est à grand-peine que nous avons réuni 15 000 DA pour payer 1000 affiches alors que d'autres s'offrent une campagne à milliards », dénonce-t-il avant de s'interroger sur l'origine de ces deniers. « Ils se permettent même du papier glacé. On dirait l'affiche du Titanic. D'où ramènent-ils tout cet argent ? Il faut croire qu'il y a des gens qui font du business avec cette élection. Nous, on est le parti des pauvres. Nous n'avons ni entrepreneur ni affairiste avec nous », tonne-t-il. Dans la panoplie des idées faisant office de programme, M. Boumansour a une proposition toute simple : investir dans le talent footballistique des Algérois. « Pourquoi ne pas faire comme le Brésil et exporter des joueurs ? », suggère-t-il. Pour lui, si les Algérois ont boudé l'urne le 17 mai, c'est parce qu'on a voulu leur imposer des candidats venus d'ailleurs. Place du 1er mai. Incursion dans une permanence MSP. Une large banderole sur la rue Hassiba : « Intakhibouna wa hassibouna » (Votez pour nous et demandez-nous des comptes). A l'intérieur, une faune d'affichettes et de fanions. Nasreddine Mansouri (41 ans, responsable à l'office des œuvres universitaires) est tête de liste pour la commune de Sidi M'hamed. Comme partout ailleurs, on assure là aussi que la liste ne compte que des gars du quartier, tous « ouled familya » bien sûr. Profil familial garanti. Nasreddine Mansouri est le seul candidat qui dit franco que le taux de participation promet d'être faible. « L'intérêt du citoyen pour cette élection est faible. Le niveau de participation sera à peine meilleur que lors des législatives du 17 mai », prophétise-t-il. Pour lui, le pouvoir porte la plus grande responsabilité dans cette désaffection de l'électorat, une attitude qu'il impute à un cynisme féroce du régime. « Une participation massive des Algériens impliquerait le choix de gens honnêtes et crédibles, ce qui n'arrange pas les calculs du régime », analyse le candidat du MSP. Et d'enfoncer le clou en déclarant que « le pouvoir n'a rien fait pour rétablir la confiance entre l'Etat et le citoyen. Pis encore, il a décrédibilisé la classe politique ». C'est pour le moins un discours surprenant venant d'un cadre du MSP, un parti qui, jusqu'à preuve du contraire, est toujours membre de l'Alliance présidentielle. Comment dissiper ce « brouillage » ? « La participation du MSP au gouvernement est un choix stratégique », argue-t-il. « Nous, on n'est pas au pouvoir (de décision), on est au gouvernement. On est des "salariés", pas des "propriétaires". » Le plus grand challenge, selon notre interlocuteur, c'est d'enlever de la tête des citoyens que « élu = registre de commerce » ou, comme le dit Ayoub : « Sarl APC. » Question campagne, le MSP mise beaucoup sur les femmes. « Nous avons ciblé aussi les femmes au foyer. 55% de la masse électorale c'est les femmes. Le 17 mai, c'est cette tranche qui a favorisé l'abstention », dit-il. Café Les Capucines devenu Le Brussels. Depuis le début de la campagne, il est surtout devenu l'une des vitrines du RND à Alger-Centre. Un choix judicieux en tenant compte de la situation de ce café branché, attenant à la fac centrale et prisé par les jeunes. L'effigie de Zitouni, le maire RND sortant de la commune d'Alger-Centre, est omniprésente, au point d'éclipser celle d'Ahmed Ouyahia. A l'intérieur du local, l'accent est mis sur les grands projets urbanistiques dont le P/APC sortant a fait son cheval de bataille pour rafler un troisième mandat. Les projets dont les maquettes ornent les permanences du parti se proposent d'apporter une réponse architecturale aux espaces libérés par les immeubles vétustes qui seront amenés à disparaître. Un préposé à l'accueil, Belhadj Akli, un militant de base, nous fournit quelques détails sur la campagne du RND à Alger-Centre. Il affirme que le café a été mis au profit du parti à titre gracieux par son propriétaire. La liste compte 23 candidats pour 15 sièges à pourvoir. Parmi eux, l'artiste-peintre et professeur à l'Ecole supérieure des beaux-arts, Abderrahmane Aïdoud. « Mon souhait est de créer des ateliers de peinture et de théâtre et parvenir ainsi à faire injecter un peu de culture dans la ville, faire contaminer les politiques par du culturel », dit-il sur le ton de la confidence en nous assurant qu'il expose toujours. Il nous donne rendez-vous le 8 décembre pour un vernissage à la Bibliothèque nationale. « Le vote du 3e âge » Bab El Oued. Vaste commune de 89 000 habitants. Une permanence RCD se profile un peu plus haut que les Trois Horloges. Un large drapeau est déployé entre deux portraits du docteur Saïd Sadi. Le bureau est encadré par un homme et une femme. La liste compte 23 noms, un cocktail de cadres, de fonctionnaires et de professions libérales. « Votez 7 », harangue un flyer. Et ce slogan : « Tadukli Tbennu » « Ensemble pour une gestion solidaire ». Hakim Mechkour, le candidat « de garde » (41 ans, cadre supérieur à l'ONDA), axe sa campagne, dit-il, autour d'un mot-clé : le changement. « Ne pas voter signifie que le statu quo va s'installer durablement », dit-il. « Aux jeunes, moi je dis : on ne vous promet pas le luxe. Ce qu'on vous promet, c'est la transparence. » Pour lui, il est évident que, seuls, les élus ne pourront rien. Mission impossible. « Aujourd'hui, le SG d'une commune a plus de pouvoir qu'un élu. On espère que le nouveau code communal donnera plus de prérogatives au maire », dit M. Mechkour. Face au spectre de la « hamla » (déluge) du 10 novembre 2001 qui revient à la moindre averse, difficile à la « hamla » (campagne) électorale de prendre. Pour M. Mechkour, « l'urgence à Bab El Oued, c'est l'insalubrité ». Notre hôte conteste le chiffre 7 attribué à son parti : « Pourquoi cet arbitraire dans l'attribution des numéros ? Pourquoi c'est Zerhouni qui décide d'attribuer au FLN le numéro 1 ? Avant, c'était au tirage au sort. L'expérience montre que ce sont, en gros, les vieux qui votent, et la plupart ne savent pas lire. Quand ils voient le 1 pour le FLN et le 2 pour le RND, ils se voient déjà conditionnés pour voter en faveur de ces deux partis. La fraude est donc installée dès le départ », dénonce-t-il. Sur les hauteurs de Bab Jdid, dans la Haute Casbah, nous voici dans une petite échoppe FNA (Front national algérien). Un fatras d'affiches et de programmes sont jetés çà et là. « Votez 9 », tonne une affiche. Et ce slogan qui ressemble aux 999 slogans bateau précédents : « Votez pour le changement ». Lekmar Amar, un candidat en survêt, nous explique les grandes lignes de la formation de Moussa Touati. Une liste de 15 candidats conduite par Tadjer H'ssissen, ancien receveur des PTT, promet ce qu'elle peut à des Casbaouis désabusés. « Il a promis de recevoir les gens et d'être plus disponible s'il est élu », dit M. Lekmar. Du reste, c'est l'un des thèmes forts de cette campagne et de toutes les campagnes électorales depuis que ce « spot » existe. « Recevoir ». Un mot à 10 000 voix tant les citoyens « basiques », qui ne sont pas « bancables », peinent à se faire recevoir. « El mir mastakbelnich » (le maire n'a pas voulu me recevoir), cette plainte revient d'ailleurs en boucle chez les gens. La cote du maire se mesure décidément à l'aune du temps qu'il consacre aux audiences citoyennes. Au-delà de ce débat, le vrai problème, le grand problème, c'est l'interminable chantier de la Casbah et ses douirate qui s'effritent (lire encadré). L'ambiance est morose. C'est mort. Les gens s'intéressent plutôt au classico du jour, le sommet MCA-USMA au 5 Juillet. Tout ce mal donc pour rien ? Les candidats prient pour que demain, il ne fasse pas trop « laid ». La moindre averse et les urnes, déjà impopulaires, risqueraient de passer le week-end tristement seules…