Des salles vides, des militants qui attendent et des bouteilles de gazouz posées sur des tables. Les permanences des partis ressemblent à la campagne électorale. On s'y ennuie. Sauf pour l'Alliance verte qui mène une féroce campagne de proximité grâce à des militants très organisés. Des prospectus posés sur un bureau. Des affiches qui tapissent les murs. Deux rangées de chaises vides. Et une femme qui semble s'ennuyer. Au 145, Bd Krim Belkacem, le Front El Moustakbal a installé sa permanence électorale dans… un ancien débit de boissons. Les connaisseurs du lieu découvrent, dépités, la transformation du magasin, sans trop chercher à en savoir plus sur le nouveau locataire des lieux, ni sur ses éventuelles promesses électorales. Pourtant, l'affiche placardée en plusieurs exemplaires sur la devanture du local, de Rachid Ifour, le deuxième sur la liste du parti à Alger, fait beaucoup parler d'elle. Avec ses grosses lunettes noires, le candidat du Front El Moustakbal a fait l'objet de plusieurs commentaires de la part des Algérois. Les rumeurs les plus folles ont couru sur son compte. Certains le soupçonnant d'avoir eu recours à une photo montage. «J'ai été surpris par cette polémique, avoue, déçu, Rachid Ifour. Lors d'un reportage télé, un passant a proposé de me payer 100 000 DA si j'enlevais mes lunettes. J'ai appelé la télé pour protester. Si je porte ces lunettes, c'est parce que je suis aveugle !» Depuis l'incident, Rachid Ifour reçoit dans sa permanence le soutien des habitants du quartier du Telemly. Ravi de cette notoriété soudaine, il tente d'en profiter pour faire passer son message. «La permanence est là pour qu'un contact direct s'établisse avec les électeurs. C'est pour cela que je trouvais essentiel d'ouvrir un bureau, explique-t-il. Le problème qui se pose n'est pas d'ordre esthétique. Ça n'a pas d'importance que la permanence soit si peu pourvue. Ce qui compte, c'est la disponibilité des candidats. J'avoue que je ne suis pas toujours présent, parce qu'il faut que je gère tout.» Klaxons Pour les partis politiques nouvellement agréés, la permanence électorale permet, au mieux, un semblant de visibilité, auprès des électeurs. Elle peut aussi servir de lieu de rencontre pour les candidats. Et, sans beaucoup de moyens, permet d'offrir aux rares électeurs, qui s'enhardissent à venir se renseigner sur le parti, des prospectus que distribue un personnel non formé, rarement en mesure d'apporter des réponses aux questions qui lui sont posées et qui se contente de répéter les quelques arguments avancés par tous les partis politiques. Rue Rabah Noël, Lakhdar Menacer, tête de liste du Front national des indépendants pour la concorde (FNIC) a fait appel à des amis pour prendre en charge le loyer de sa permanence. Lui qui a pendant vingt-six ans milité dans les rangs du FLN et bénéficié de la puissance du parti se retrouve aujourd'hui contraint d'accueillir les gens dans un local exigu dont la devanture donne directement sur la rue, l'obligeant souvent à s'interrompre lors d'une discussion, dès que les klaxons des véhicules se font trop bruyants. «Le local est important pour un parti comme le nôtre, juge-t-il. Il n'est pas immense, mais il permet de marquer notre présence. Cela permet au moins d'expliquer notre projet aux Algériens. Nous sommes obligés de faire avec ce que nous pouvons nous offrir. J'aurais bien voulu donner un coup de peinture au local avant l'inauguration ou offrir des sièges plus confortables, mais tout cela coûte de l'argent. Nous n'avons pas la force financière de certains partis. On est obligés de faire appel à tous ceux qui veulent bien nous donner un coup de main !» Dominos Madjid, la trentaine, père de deux enfants, chômeur, est devenu bénévole au parti sans en connaître l'existence. A partir de 15h, il s'installe au siège en compagnie de ses enfants et se charge de l'intendance : réception des paquets de prospectus, distribution dans la rue, service de gazouz aux invités. Il lui arrive même d'essayer de convaincre les visiteurs pour qu'ils votent pour le FNIC, même s'il avoue à demi-mot qu'il ne connaît pas le programme du parti et qu'il se contente de répéter… les arguments des autres formations politiques entendus à la télévision. «C'est kif-kif, se justifie-t-il. Ils disent tous la même chose.» Au niveau de la kassma FLN de Sidi M'hamed, l'immense local est vide. Les joueurs de dominos, qui avaient l'habitude de squatter le lieu, ont été priés de partir. Sur les murs, quelques affiches de la liste du parti sont collées. Au fond de la salle, des chaises ont été posées sur des tables. Seul le gardien est présent en se début d'après-midi. «Il faut revenir à 17h pour rencontrer les responsables, annonce-t-il. Ils sont au siège du parti.» Cet amateurisme contraste avec les moyens et les méthodes utilisés par la liste de l'Alliance verte — MSP, Ennahda et El Islah — conduite par Amar Ghoul. Rue Hassiba Ben Bouali, l'ancien restaurant d'un sympathisant a été transformé en permanence électorale. Ce sont les militants qui ont mis la main à la poche pour s'offrir le local. «Le parti où les candidats peuvent contribuer si les sommes sont trop importantes, explique un militant. Mais cette fois-ci, il n'a pas eu besoin, parce que le propriétaire nous a fait un prix d'ami.» écran géant La grande salle a été divisée en deux : d'un côté les hommes, et de l'autre séparé par un drap, les femmes. Ici, on met en pratique les méthodes développées lors des précédents scrutins. Rien n'est laissé au hasard. De 10h à 21h, une armée de bénévoles se charge de quadriller le quartier. Chaque bénévole se voit remettre une «liste de proximité» sur laquelle sont inscrits les noms et adresses de cinquante habitants du quartier. Objectif : un par un, les amener à voter pour l'Alliance. Pour obtenir les noms des administrés, le parti a recours à ses élus au sein des APC. Afin d'avoir réponse à toutes les préoccupations des électeurs, un briefing est organisé tous les matins pour mettre en place l'argumentaire du jour. «Nous sommes tous issus du quartier, que nous connaissons parfaitement, affirme Kamel, un militant du MSP. La permanence permet de maintenir un lien avec les habitants. Ils savent que nous sommes à leur écoute.» Et pour entretenir les relations, l'Alliance a recours aux retransmissions des matchs de football. Lors des deux demi-finales de la Champions League, les jeunes du quartier s'y sont ainsi retrouvés pour supporter leur équipe devant un écran géant. Au MSP, le véritable gérant du lieu, la permanence sert aussi à renseigner la tête de liste lors de son déplacement dans le quartier sur les endroits à éviter. Les militants de la permanence soumettent le parcours qu'emprunteront les candidats. «La grande différence avec les autres formations politiques, c'est que nous sommes des acteurs de l'élection. Nous ne sommes pas juste chargés d'offrir des prospectus aux gens», souligne Mohamed Mohssine, chargé de la jeunesse et des mouvements associatifs pour le MSP au bureau de wilaya. Le MSP a décidé de continuer d'occuper le local, même après les législatives. Il prépare déjà les élections communales.