Le courant islamiste algérien est sans conteste le grand perdant des législatives du 10 mai, élection placée pour la première fois sous la supervision d'observateurs européens et d'organisations non gouvernementales internationales. Au grand dam des spécialistes qui prédisaient, il y a peu de temps encore, une déferlante islamiste en Algérie, un peu à l'image de celle qui s'est abattue sur la Tunisie, le Maroc et l'Egypte au lendemain du Printemps arabe, les élections législatives de jeudi n'ont fait que confirmer le Front de libération nationale (FLN) dans le statut de première force politique du pays. Et au regard justement des résultats de ce scrutin surveillé comme du lait sur le feu, l'Algérie apparaît être la digue qui a pu stopper les prétentions hégémoniques de l'islamisme politique dans le Monde arabe. Du moins pour le moment. La question est de savoir combien de temps encore résistera cette digue. Ni l'Alliance de l'Algérie verte (AAV), qui regroupe le Mouvement de la société pour la paix (MSP), Ennahda et El Islah, ni le Parti pour la justice et développement (PJD) de Abdallah Djaballah et encore moins le Front du changement de Abdelmadjid Menasra qui n'a pourtant cessé de faire durant toute sa campagne les yeux doux à l'électorat de l'ex-FIS n'ont, en effet, réussi à tirer leur épingle du jeu lors de ces joutes électorales. En ne récoltant que 59 sièges sur les 462 que compte la nouvelle Assemblée populaire nationale (APN), ces cinq formations politiques réunies – et qui sont censées représenter l'islamisme politique en Algérie avec toutes ses nuances – n'auront finalement pas fait mieux que le Rassemblement national démocratique (RND) du Premier ministre Ahmed Ouyahia (68 sièges) qui, contre toute attente, a réussi à conserver son statut de seconde force politique. Malgré la bérézina vécue par ses candidats dans de nombreuses régions, l'Alliance de l'Algérie verte (AAV) peut toutefois se consoler de sa toute «petite» troisième place. Petite, car avec ses 48 députés, l'Alliance de l'Algérie verte n'aura pas le poids suffisant pour influer sur le cours des débats dans la future Assemblée dans la mesure où le FLN et le RND ont, à eux seuls, récolté la majorité des sièges mis en jeu. Le constat vaut également dans le cas où cette alliance islamiste s'allie avec le PJD de Abdallah Djaballah, personnalité réputée pour être la plus radicale du courant islamiste… Ce qui est le comble pour des islamistes qui ont toujours veillé à se rendre indispensables et à jouer le rôle de balancier dans le jeu politique national. Les islamistes se ringardisent Et contrairement donc à la Tunisie, au Maroc et à l'Egypte où les islamistes se sont, à la faveur du Printemps arabe, emparés haut à la main des rênes du pouvoir, les résultats du scrutin législatif communiqués hier par le ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales, Daho Ould Kablia, révèlent même un léger recul des partis islamistes algériens par rapport aux élections législatives de 2007. C'est le cas particulièrement du MSP de Bouguerra Soltani qui se retrouve aujourd'hui avec 48 députés alors qu'il avait obtenu 52 sièges lors de la précédente législature. Et encore, faut-il rappeler, que, jeudi, le MSP a été épaulé lors de ces élections par Ennahda et El Islah. Ces deux partis qui comptabilisaient 8 députés en 2007 auront finalement constitué un boulet de canon pour le MSP dans la mesure où ils n'ont finalement pas apporté le plus qui était attendu d'eux. Mais au-delà, la formation de Bouguerra Soltani, qui symbolise l'affairisme pour de nombreux Algériens (cela au même titre d'ailleurs que ses alliés politiques du moment), paraît aussi avoir été sanctionné par ses électeurs traditionnels pour sa politique d'entrisme, son discours à géométrie variable et son statut de faire-valoir au sein de l'Alliance présidentielle. Le choix de ce parti – qui recrute essentiellement parmi les entrepreneurs et la bourgeoisie islamiste – de miser durant sa campagne sur les réalisations de ses ministres au sein du gouvernement Ouyahia s'est avéré catastrophique et en complet déphasage avec les attentes d'une jeunesse et d'une classe moyenne en attente de changement. Le PJD de Abdallah Djaballah et le Front du changement de Abdelmadjid Menasra ont également fait un pari risqué en décidant de jouer sur la fibre islamiste pour conquérir les électeurs. Cela est d'autant plus vrai que ces deux acteurs ont complètement disparu de la circulation durant de nombreuses années pour ne réapparaître qu'à la faveur de ces législatives. Qu'à cela ne tienne, les résultats obtenus jeudi par chacun d'eux montrent qu'ils ont surestimé le poids de l'électorat islamiste et surtout qu'ils n'ont pas tenu compte du fait que la société algérienne – même si elle a été gagné par un sentiment de religiosité – reste toute de même échaudée par l'expérience tragique des années 1990 et qu'elle n'est pas du tout prête à accorder sa confiance à des islamistes. Surtout si ceux-ci n'ont rien à proposer de concret, si ce n'est de la replonger dans des luttes idéologiques dont elle se désintéresse complètement. En ce sens, les Djaballah et Menasra évoquent pour une majorité d'électeurs un mauvais souvenir qu'ils veulent absolument oublier. Cela sans oublier que le discours de ces deux anciens acteurs politiques s'est considérablement ringardisé, alors que l'opinion a considérablement changé en 20 ans. C'est là probablement l'une des grandes leçons du scrutin législatif de jeudi. Donc, il n'est pas interdit de penser qu'une grande partie de l'électorat islamiste a décidé, en fin de compte, de se rabattre sur le FLN de Abdelaziz Belkhadem, un parti qui, après tout, ne se trouve pas très loin de leurs convictions actuellement.