El Watan Week-end a demandé à ses lecteurs de raconter leur journée du 29 juin 1992. Témoignages. Ceux qui t'ont assassiné sont ceux qui ont détruit l'Algérie
Ce lundi 29 juin 1992 m'a marqué pour toujours. J'étais syndicaliste au complexe d'El Hadjar. La veille, un conseil syndical a eu lieu pour préparer et accueillir le président Boudiaf qui, pour la première fois, allait nous honorer de sa visite. Durant toute la nuit, avec l'autorisation de la direction, nous avons installé une tribune à partir de laquelle le président Boudiaf devait s'adresser aux travailleurs, ceux du complexe étaient enthousiastes. De bon matin, le secrétaire général et quelques membres du bureau syndical se sont rendus en ville pour assister à son meeting, au palais de la culture. Personnellement, j'étais chargé des vérifications de dernière minute. Par exemple, trouver une employée qui devait lui remettre un bouquet de fleurs, s'assurer du bon fonctionnement des micros, etc. C'est vers 11h15 que j'ai constaté un départ inopiné des gendarmes chargés de l'ordre au complexe El Hadjar. A ce moment, un agent des services de sécurité du complexe est venu vers moi, tout pâle et ému, m'annonçant tout de go : «On vient d'assassiner le président Boudiaf !» Je n'arrivais pas à réaliser ce qui se passait. Avec mon véhicule, je me suis rendu directement au siège du syndicat, où un groupe de travailleurs me posa des questions. Alors, j'ai appelé le secrétaire général du syndicat par téléphone pour m'assurer de l'information. Les larmes aux yeux et la gorge serrée, je me suis adressé aux travailleurs en leur annonçant que le président Boudiaf ne visitera pas notre complexe, car il venait d'être lâchement assassiné. Depuis, cette journée à 11h est pieusement commémorée au palais de la culture par quelques fidèles à sa mémoire. Boudiaf, repose en paix, car ceux qui t'ont assassiné sont ceux-là mêmes qui ont massacré plus de 250 000 Algériens et en même temps détruit l'Algérie, mais ils n'ont pas réussi à t'effacer de notre mémoire. Allah yarahmek.
Ali Bouloudini, ancien syndicaliste : un message à ceux qui essaient de s'ingérer dans «leurs» affaires
Le 29 juin 1992 est l'une des journées les plus marquantes de ma vie. A partir de ce jour, j'ai vraiment compris que ce système qui nous gouverne ne changera jamais. Les gens au pouvoir ne lâcheront jamais leur place et ne laisseront personne les déranger, quitte à éliminer quiconque ose leur demander des comptes. Le message envoyé à la nation et au monde cette journée, à travers la télévision, est très important. En assassinant un président de la République en direct à la télévision, ils voulaient dire : «Voilà ce qui arrive à celui qui essaie de s'ingérer dans nos affaires.»
Ali Mansour : j'ai appris la nouvelle dans le bus
Je me trouvais ce jour-là dans un bus en direction de l'aéroport d'Alger pour accueillir mon beau-père en provenance de l'étranger, lorsqu'on annonça à la Chaîne I cette terrible nouvelle. Au début, il n'y eut aucune réaction parmi les passagers, même moi. Je pensais avoir mal compris. Puis soudainement, tout le monde a pris conscience de la gravité de l'information. Je ressentis, à ce moment précis, des frissons parcourir tout mon corps. J'étais comme figé ! Au même moment, mon regard suivait un homme d'âge moyen, barbu, vêtu d'une djellaba claire, assis devant moi. Il souriait, parvenant mal à cacher un sentiment de satisfaction qu'il avait du mal à retenir. J'en fus offusqué et sentis une grande colère m'envelopper sans pouvoir l'exprimer ouvertement, sans doute par peur d'une quelconque mauvaise réaction des autres occupants du bus.
Hacène Kebbas : un mauvais polar
Nous revenions avec ma mère (aujourd'hui décédée) de la ville où nous avions acheté un parasol. Les vacances s'annonçaient bonnes, pleines de projets ludiques et la joie se lisait sur nos visages. La famille était réunie pour l'été. Durant le trajet d'une quarantaine de minutes, la radio était déconnectée, et nous aussi... Arrivés devant chez nous, nous avons trouvé un petit groupuscule sur la placette près de notre maison. Des gens que nous connaissions, à la mine défaite. La stupeur se lisait sur leur visage et cela nous a instantanément inquiétés. Je me doutais que quelque chose se passait. La terrible nouvelle nous a été annoncée quand mon petit frère nous ouvrit la porte. Nous avions l'impression de vivre un mauvais polar. Je n'en revenais pas, je ne pouvais réaliser ce qui se passait. Le président Boudiaf assassiné devant les caméras par son garde du corps ! C'était la consternation, et puis la recherche de repères et de nouveaux espoirs... Mohamed Boudiaf incarnait pour beaucoup d'Algériens, après son retour au pays en pleine crise politique en 1992, l'espoir, l'homme du renouveau, l'homme courageux et intègre qui a osé lancer une délicate opération mains propres que beaucoup souhaitaient tout bas... Cela lui a été fatal, il y a des pays où le chirurgien ne peut amputer pour cause de gangrène... Le mal, identifié et d'origine politico-financière, a eu raison de lui et de notre pays. Dieu aura raison de lui. C'était notre sentiment, notre espoir. Un aveu de petitesse devant ceux qui se croient grands.
Un Algérien de Montréal, qui aurait tant voulu rester au pays si... : J'en ressens encore aujourd'hui ce goût amer de déception
Je suis un citoyen marocain et j'ai aussi vécu de Casablanca le meurtre de Mohamed Boudiaf. J'avais à peine 6 ans, mais j'en garde des bribes de souvenirs. Le premier est l'ambiance d'ouverture qui embaumait nos deux pays depuis quelques années. Les cousins lointains d'Algérie venaient nous voir. Certains camarades d'école partaient à Alger pour revenir nous dire que la ville ressemblait aux villes françaises. Ce dont je me souviens est que le nom de Boudiaf avait curieusement remplacé le nom de Abderrahim Bouabid, leader du parti de gauche USFP, et grand zaïm marocain, mort en janvier 1992. Son poster collé par mon père après son décès apparaissait dans ma mémoire visuelle comme étant celui de ce Boudiaf. Peut-être parce que mon père parlait de Boudiaf avec autant d'ardeur qu'il parlait de Bouabid. Ou peut-être le décès de Bouabid est intervenu au moment du départ de Boudiaf du Maroc vers l'Algérie. Peut-être les deux. Bref, le décès de Boudiaf, j'en garde l'idée d'un choc, d'une deuxième mort, après celle de Bouabid. J'en ressens encore aujourd'hui ce goût amer de déception que nos profs, nos parents nos familles éprouvaient. Comme si les grands devaient tous mourir tôt, les uns après les autres. Le drapeau d'Algérie avait tout son sens ces jours-là. Bien sûr au côté de notre drapeau national marocain.
Abdelhafid Boutaleb : c'est alors que j'ai pris la décision d'émigrer
Ce vieil homme pratiquement inconnu du public a gagné le cœur des Algériens. En six mois, on avait retrouvé le sourire et l'entrain, le goût de la vie et un espoir aussi grand que les 2,3 millions de kilomètres carrés de l'Algérie, notre patrie. Hélas, mille fois hélas, nous n'avons rêvé qu'un court instant. L'homme de l'espoir est parti, emporté par des monstres, des traîtres, des sangsues, des cannibales. Ils paieront leur lâche forfait. L'histoire se souviendra. Oui et comment ! Je me rappelle de cette tragédie nationale. A la maison, j'ai pleuré ; ma fille, âgée alors de 10 ans, me répétait sans cesse : «Papa, pourquoi on l'a tué ?» et pleurait à chaudes larmes aussi, sa tête sur mes genoux. C'est alors que j'ai pris la décision d'émigrer. Le meurtre en direct de Boudiaf, Si Tayeb, vingt ans après, n'est pas encore élucidé. Mais le jour viendra où tous les assassins, détracteurs... tous ceux qui ont fait du tort à ce brave peuple et à ce très beau pays paieront inch'Allah. Gloire à nos martyrs. Vive l'Algérie.
Abdelkader de Montréal. PS : une pensée pieuse pour le défunt Amirat, mort le lendemain. : les fils doivent-ils tuer le père pour prendre sa place ?
Ce 30 juin 1992, à la veille des 30 ans de l'indépendance, nous étions réunis dans un local du consulat à Paris – un groupe de Français militants ayant soutenu ceux qu'on appelait les frères au cours de cette guerre d'indépendance. Avec l'accord de mes camarades, j'ai rédigé en notre nom cette lettre adressée à Ali Haroun, représentant des droits de l'homme. Voici le texte : «Cher frère et ami, Les Algériens ont tué leur père ! Ils ont transgressé, sont allés au-delà de l'impossible. Comment décrire le choc de cette annonce et de ces images insupportables et retransmises par la télé et qui ne sont pas sans rappeler d'autres tragédies du même genre : Anouar Al Sadate par exemple (…). Les droits de l'homme en prennent vraiment un coup. 30 ans ! Fallait-il une victime en holocauste pour célébrer de façon si douloureuse l'accession de l'Algérie à l'indépendance ? Les fils doivent-ils tuer le père pour prendre sa place ?»
Anne Leduc (Anna Berbéra) : dieu ne voulait pas qu'il meure
Le voisin, comme toutes les matinées, jouait du piano. Nous étions regroupés dans la chambre de ma cousine, des jouets partout. Une véritable caverne d'Ali Baba pour enfants, la maison de ma tante. Il faisait chaud en ce lundi 29 juin 1992. Le quartier était trop calme. Etrangement, en fin de matinée, le piano s'est tu. Il a été remplacé par des versets du Coran. C'était la télévision nationale. Chez mes cousins, on ne regardait pas l'ENTV. Ma tante regardait d'ailleurs une chaîne française quand soudain, elle poussa un cri. Elle a lu en bas de l'écran un flash spécial : «Le président algérien, Mohamed Boudiaf, a été assassiné à Annaba.» Nous nous précipitâmes tous dans le salon, ma tante debout, la main sur la tête. Ma mère prit la télécommande et chercha l'ENTV longtemps. On est tous debout. A la télévision publique : le Coran, comme chez le voisin. On s'est tous rendu compte que Boudiaf était mort. J'avais 11 ans. J'ai pleuré. Je me suis aussi souvenu que, le 16 janvier 1992, lorsqu'il rentra en Algérie pour présider le Haut-Comité d'Etat et quand il nous tendit sa main, nous étions aussi chez ma tante, dans ce même appartement de Dahlia à La Vigerie. Le soir, mon père est venu nous chercher. A 20h, l'ENTV diffusa la scène de l'attentat. On a regardé. Le président Boudiaf prononce son discours, il entend un bruit, interrompt son propos, se retourne, une explosion, puis une rafale, la caméra n'est plus sur lui, on voit le public s'engouffrer sous les sièges. Coup de ciseau, montage. Un homme à la tribune, assis à la gauche du siège du Président, sa veste recouvre le corps qui doit être là. Coup de ciseau, montage. Puis la silhouette d'un grand bonhomme étendu sur une civière, du sang sur sa poitrine, un drapeau national pour le couvrir. Coup de ciseau, c'est dans la boîte. Le public ne verra jamais la totalité de la séquence. Encore une autre preuve qu'on dissimule. Boudiaf ne succombera à l'explosion de la grenade et aux dizaines de balles qu'il reçoit que six heures plus tard, à l'hôpital militaire d'Alger. Dieu ne voulait pas qu'il meure. Boudiaf fut arrêté, interné dans un camp du Sud puis condamné à mort par le duo Boumediène-Ben Bella en 1964. Le 29 juin 1992, c'est cette sentence qui fut exécutée.
Hillel : j'étais dans la salle Le 28 juin 1992, je reçois un coup de téléphone de la wilaya par lequel on me somme de récupérer une invitation pour une réunion à Annaba dirigée par le président du Haut-Conseil d'Etat. J'assurais ce jour l'intérim du directeur, en mission à Alger. Malgré mon insistance pour ne pas partir, arguant du fait que, s'agissant d'un poste stratégique et me référant à ma hiérarchie, le SG de wilaya me signifie que je suis sur la liste protocolaire et que je ne peux refuser la mission. Arrivé à Annaba le 29 juin 1992 à 9h du matin, il m'était impossible d'imaginer un instant que j'allais assister à la mort en direct d'un chef d'Etat, qui plus est, un historique de la révolution algérienne. La ville de Annaba était parée de ses plus beaux atours. J'emprunte le Cours de la révolution où des policiers étaient de faction tous les dix mètres. Après avoir eu toutes les peines du monde à stationner le véhicule de service, j'accède au palais de la culture qui porte depuis le nom Mohamed Boudiaf. Après plusieurs fouilles au corps, je me dirige vers le chargé du protocole de la wilaya de Constantine qui me remit un badge qui permet l'accès à la salle. 9h30. La salle était archicomble. J'ai été interpellé par des amis de Constantine pour m'asseoir à leurs côtés. Je scrute la salle et j'aperçois des directeurs d'entreprise de l'Est algérien et il y avait, et c'était la première fois, beaucoup de jeunes et des associations de jeunes. Un message on ne peut plus clair sur la nouvelle politique du pays. On assiste à un ballet incessant des responsables de la sécurité qui vérifiaient tous les coins et recoins de la salle, même les pots de fleurs qui ornaient la tribune ont été inspectés par le chef de sûreté de wilaya de Annaba qui est un ancien camarade de classe. 10h45. L'arrivée du Président se fait le plus simplement. Vêtu d'un costume marron, il accède à la tribune. Et la surprise était de taille : il n'y avait que le wali de Annaba, le reste était composé de jeunes. La délégation qui l'accompagnait s'est installée dans la salle au premier rang. Après deux interventions très courtes du wali et d'un représentant des jeunes, M. Boudiaf intervient, et le discours préparé pour la circonstance a été carrément négligé par le raïs d'un revers de la main (rires dans la salle). Il a parlé spontanément sur la politique du pays et axé son intervention sur le devenir de la jeunesse, un message fort qui se devait de donner l'espoir justement à cette jeunesse qui représente plus de 70% de la population et le reste du discours sur la mafia politico-financière qui gangrène le pays (et qui continue à ce jour) et n'a cessé également de parler de la tendance islamisante du pays. 11h20. Alors qu'il était en train de conclure son intervention, un coup de feu retentit derrière le rideau. M. Boudiaf s'est même retourné tout en continuant à parler et quelques secondes après, le rideau s'ouvre et toute la salle remarque un policier de la garde rapprochée, l'arme au poing, sortir et instantanément ouvrir le feu d'abord dans la salle (qui a fait plonger les présents sous les sièges), puis nous entendîmes une explosion suivie de tirs nourris de mitraillette. Une fois le calme revenu, on constate impuissant les dégâts. Le Président, le crâne fracassé, et des blessés qui hurlaient. Puis commence une panique indescriptible. Un homme a recouvert M. Boudiaf de sa veste et attendait les secours (plus tard, nous sûmes que c'était le beau-frère du Président). Certains ont fui carrément les lieux. Les blessés étaient acheminés vers les hôpitaux et le reste des invités a été obligé de rester dans l'enceinte du palais de la culture en attendant les ordres. L'attente dure six heures. On a assisté à des scènes d'hystérie. Je vous assure que les femmes présentes étaient plus courageuses que certains hommes, y compris ceux chargés de l'organisation qui, quelques instants auparavant, se pavanaient dans la salle avec lunettes noires. Et par manque d'informations, on pensait à tout, y compris au coup d'Etat ; suppositions et commentaires allaient bon train. Et dès qu'on nous a appris la mort éventuelle de l'assassin, nous avons commencé à imaginer des scénarios dignes des films hollywoodiens, y compris une analogie avec la mort de Kennedy. Mon sentiment personnel quant à l'acte de Boumaârafi : après une l'intervention percutante du discours de feu Boudiaf, la thèse de l'acte isolé est la plus plausible. Pour cela, il faut visionner le discours en entier pour juger, parce que la télévision n'a montré que des bribes. Le Président, comme je l'ai signalé plus haut, n'a pas mâché ses mots et a été on ne peut plus clair sur la crise qui secoue le pays : maffia politico-financière, crise au sein du gouvernement, comportement des citoyens (pas de roujla pour protéger les femmes), et surtout il s'est attaqué à plusieurs reprises aux pseudos chouyoukh qui ont ramené un islam que nous ne connaissons pas (d'où rires dans la salle à plusieurs reprises). Ce n'est que vers 17h, après que quelques directeurs de Annaba se soient portés volontaires pour l'audition par la Gendarmerie nationale afin d'éviter cela à 800 personnes présentes ce jour-là, que nous fûmes relâchés. Au sortir du palais, c'était une ambiance de coup d'Etat. On était encadré par des blindés de la gendarmerie. J'étais obligé de prendre avec moi dans le véhicule deux directeurs dont les chauffeurs ont disparu. Cela reste bien entendu mon avis personnel sur la mort de cet homme valeureux qui, en l'espace de quelques mois, a conquis une estime et une confiance totales chez les jeunes.
Salim Serradj : un crime contre les forces vives de l'humanité
Il m'est impossible, comme tous les nobles citoyens de ce cher pays, d'exprimer nos sentiments profonds et l'onde de choc indescriptible qui a secoué nos coeurs à l'annonce de cet assassinat cruel. C'était un crime contre les forces vives de l'humanité. Si Tayeb El Watani était appelé une seconde fois pour accomplir son devoir sacré envers la mère patrie, mais cette fois-ci non pas pour combattre la France coloniale, mais pour mener le combat de l'édification d'une Algérie républicaine et démocratique, un Etat de droit et de liberté dans lequel toute la jeunesse algérienne aspirait avoir une place. Malheureusement, les mêmes forces du mal qui ont confisqué l'indépendance de notre pays avec la complicité des intégristes religieux ont ôté la vie au combattant de la première heure.
Rachid Nacri : j'ai vu mourir le président Boudiaf devant mes yeux
Ce jour-là, j'étais à l'intérieur de la salle, presque au milieu, en tant que représentant de l'emploi de jeunes de la wilaya d'Oum El Bouaghi. J'ai vu mourir le président Boudiaf devant mes yeux, tué à bout portant par Boumaârafi. Oui, c'était lui, hamiha haramiha, le summum de la trahison. Il portait une tenue de la police d'intervention et avait les manches retroussées jusqu'aux coudes. Il ne portait pas de casquette. Après l'assassinat, j'ai réussi difficilement à atteindre le premier étage où tout le monde s'était enfui dans la panique. Puis les forces de sécurité commençaient à nous tirer dessus de l'extérieur comme si on était les assassins. Je n'avais même pas 20 ans. Ce jour-là, le cauchemar a commencé pour mon pays et pour mes années de jeunesse, comme tous ceux qui avaient le même âge que moi. Des milliers d'Algériens sont morts, mais l'Algérie est toujours en vie. Avec plusieurs blessures, mais elle a besoin de nous.
Ouchène Mohamed Larbi : on a vécu sa mort comme s'il était un membre de la famille
Comme la majorité des Algériens, je l'ai appris à la télévision. J'étais jeune, je ne comprenais pas, ça me paraissait flou. Je demandais à ma mère ce qui se passait, la télévision avait étouffé l'affaire jusqu'au soir. Au début, j'ai ressenti de la peur. C'était quand même un Président, un genre de messie. Bien que jeune, j'avais une certaine conscience politique grâce à mon père. C'était la personne qui était venue pour changer les choses et on attendait beaucoup de lui. On a vécu sa mort comme s'il était un membre de la famille. J'ai eu peur, puis j'ai ressenti du dégoût. Je me rappelle très bien de la colère de mon père et la stupeur de ma mère.
Abdelkader : le seul Président qui était courageux
Je m'appelle Lamine, étudiant en droit. Le 29 juin 1992, je n'avais que 6 ans, mais je me rappelle de l'assassinat du grand président de l'Etat algérien Mohamed Boudiaf, le seul Président qui était courageux pour attaquer le vrai problème du système politique de notre cher pays : la corruption. Après le succès de l'opération de Laghouat contre un réseau de contrebandiers dans le grand Sahara sans passer par l'autorisation de l'ANP, il est devenu un homme très dangereux pour le système. Un Président qui réagit selon le pouvoir donné par la Constitution n'est pas un président dit «normal», selon le système. Son dernier discours à Annaba, je l'ai suivi à la télé algérienne comme tous les Algériens, sauf qu'à l'époque, j'étais très jeune et je ne parlais pas l'arabe classique, mais j'étais politisé depuis mon très jeune âge grâce à mon père qui était cadre au ministère des Affaires étrangères. Le seul mot dont je me rappelle comme si c'était hier, c'était le mot «islam» avant d'être assassiné par un soi-disant fou. Bref, tout le monde connaît l'histoire. Allah yarahmou, c'était un grand homme, en tant que moujahid et tant que Président de notre patrie.
Témoignage de l'innocence d'un enfant
J'étais encore jeune adolescent et j'étais seul à la maison. Celle-là qu'on aimait retrouver dès les aurores de l'été. Je finissais de savourer mon déjeuner ensoleillé. Je comatais devant la télévision cubique, pas de choix, y avait que la djazairya ! Je cherchais de temps en temps à capter spania. Et en réalité, je ne sais même plus pourquoi ! Des dessins animés que je ne comprenais même pas ! La tendance était de se corrompre l'esprit d'Occident ! Me lassant du nombre de points noirs que me jetait la TV, je me suis résigné à me remettre sur l'Unique ! Quelques instants et juste avant de me décider à me bouger, le mot islam suivi du son de feux d'artifice m'interpella ! Je suis resté devant par curiosité puérile ! Et le temps me parut court avant d'entendre le mort être pleuré. Sans plus attendre, j'ai couru presque heureux de ce malheur. J'étais parmi les premiers à diffuser une information inédite qui concernait celui dont j'entendais tellement de bien. J'accourais à la plage pour annoncer notre effroyable destin. La tranquillité de la pêche de mon frère fut ébranlée et je percevais en lui une lueur grave et urgente. Comme s'il ne saurait plus comment pêcher désormais. Mais c'était pire et on était inconscient de ce qui nous attendait. De cette destruction massive de nos espoirs. De ce génocide de notre indépendance identitaire. De cette frappe chirurgicale dans les rêves de notre jeunesse. Je ne savais même pas pourquoi. Au nom de qui ? Au nom de quoi ? J'étais jeune et ne réalisais pas combien l'innocence de l'ignorance pouvait être coupable ! J'étais jeune et ne comprenais pas que l'intégrité pouvait s'effacer en direct devant mes yeux d'enfant ! J'étais jeune et n'avais pas de quoi répondre à sa fameuse question : où va l'Algérie ? J'ai survécu sans trop souffrir et je suis redevenu Algérien sans mensonge ni rejet, mais avec des bases d'un passé que je ne veux plus déguiser. J'ai compris que la réponse était dans l'intégrité de nos principes. J'ai compris que la réponse était dans la sincérité de nos convictions. J'ai compris que la réponse était dans l'endurance de nos engagements. L'Algérie n'ira que là où nous, les Algériens, l'emmènerons.