L'Algérie est en lévitation politique. Hors champ d'attraction. Elle vient de se doter d'un Premier ministre de 64 ans, dont personne n'a jamais entendu l'expression d'une conviction. De celles qui font la conjoncture, donnent un cap, mobilisent des contre et des pour. Dans un scénario institutionnel normal, les organisations patronales, les syndicats, les associations, les investisseurs, les analystes réagiraient à l'arrivée de Abdelmalek Sellal au poste de Premier ministre. Impossible. Le moteur de recherche Google ne livre pas d'antécédents en trois D sur le personnage. Après les années LFC et crédits documentaires de Ahmed Ouyahia, exécutant une partition présidentielle, le clivage économique est pourtant net. D'un côté, les partisans d'une poursuite du retour au tout Etat (UGTA, PT, une faction du FLN et du RND…) pour protéger le pays du démembrement mondialiste, de l'autre les anxieux de l'après-pétrole, partisans de l'émergence rapide d'une vraie économie hors coup de pouce de la fiscalité pétrolière. Un clivage droite-gauche biaisé. Car la droite politique est dans les deux camps. Comment se situe Abdelmalek Sellal dans ce clivage ? Comme un objet stellaire. Il ne se situe pas. Tout pourtant autour de lui pousse à assumer quelques repères. Dans l'Europe du sud qui s'affaisse tous les jours un peu plus, le moindre mot d'un chef d'exécutif fait varier le coût de l'emprunt public, la cotation boursière, et la parité euro-dollar. Bien sûr, l'Algérie n'est pas en récession et Abdelmalek Sellal n'est pas dans la position de Mariano Rajoy, le président du gouvernement espagnol, qui doit dire depuis plusieurs semaines qu'il a besoin d'une «aide globale» de l'UE, sans jamais le dire vraiment. De peur de voir s'envoler le taux d'intérêt sur la dette espagnole de long terme au-delà des déjà bien ruineux 6% actuels. Abdelmalek Sellal n'est donc pas dos au mur. Il pourrait communiquer tranquillement un peu sur ses «penchants économiques». Histoire d'orienter les acteurs de marché. Dire ce qu'il pense du niveau actuel du budget de fonctionnement, des amendements fiscaux à la loi sur les hydrocarbures, du bilan du 51%-49% et du droit de préemption qui va avec. Mais pourquoi modifier une recette gagnante ? Ne rien montrer de ses convictions pour arriver au poste de Premier ministre. Et y demeurer. Personne, pourtant, n'irait jusqu'à imaginer que le gouvernement algérien est dirigé par un personnage sans opinion sur tout. Même Mokdad Sifi, le plus lisse des technocrates dans cette fonction si politique, proposait entre avril 1994 et décembre 1995 plus de relief que l'insondable Sellal. Le fait est que tactiquement, la gouvernance économique algérienne se conduit de manière identique en période d'hyper crise comme en période de grands excédents. Sifi a géré sans jamais arbitrer la feuille de route du FMI, Sellal est chargé de la même transition en contexte d'opulence. En attente de présidentielle. Evoquer le mot changement devient dans ce cas blasphématoire. La nomination de Abdelmalek Sellal au poste de premier ministre ne donne rien à lire à la conjoncture. Le centre de décision restera plus que jamais présidentiel. Et donc plus que jamais paralysé. Un peu plus sans doute avec le spectre planant d'une rechute de l'état de santé du président Bouteflika. Grands travaux, Crédits documentaires, gaz de schiste, acquisitions des entreprises algériennes à l'étranger, législation du travail, organisation de l'industrie du son et de l'image… le pays va disserter en gravitation. Avec un ersatz de vide. Le changement est un engagement annoncé. En France, le ministre de l'Economie, Pierre Moscovici, a affirmé le jeudi que le président Hollande ne renoncerait pas à sa promesse électorale de prélever 75% d'impôts sur la tranche supérieure des hauts revenus. Le vendredi, Bernard Arnault, le richissime patron de LVMH annonçait qu'il demandait la nationalité belge, le voisin du nord étant déjà une terre d'asile fiscal pour nombre de ses compatriotes. En Algérie, personne ne dit rien. Ni Sellal ni un autre. Mais jamais le square Port Saïd n'a prospéré avec un différentiel aussi élevé entre le taux officiel du dinar et le taux parallèle. L'évasion du capital bat son plein. Tant mieux pour l'Europe en crise de liquidités.