Toujours partant, jamais placé, Abdelmalek Sellal vient de se voir offrir pour ses 64 ans (il est né un 1er août), une belle consécration politique. La récompense pour un parcours sans faute pour un profil atypique. “Liberté" a eu le nez creux en l'invitant à son forum la veille de l'annonce de sa nomination au poste de Premier ministre. En arrivant au siège du journal, Sellal, alors double ministre, flanqué des secteurs des ressources en eau et des transports, n'a pas dérogé à la règle du personnage : blagueur, décontracté, charmeur et amical avec tout le monde, sans exception. En prenant son café assez amer, il exigea du sucre avec cette remarque à la secrétaire : “Ne vous en faites pas, je ne suis pas diabétique." Sellal faisait du Sellal, avec cette bonhommie qui le caractérise et qui fait de lui, dans le monde de la presse, selon le jargon : “Un bon client." Un ministre qui sait mettre son interlocuteur à l'aise, qui ose la blague facile et qui vous donne cette impression que vous le connaissez depuis longtemps. Un type sympa en somme. Ceci pour le côté relations publiques. Nombreux ceux qui se sont arrêtés à cette image, cultivée à travers les ans, façonnée par les rencontres et les déplacements, jusqu'à devenir une seconde nature. Car Abdelmalek Sellal est bien plus que ça. Davantage qu'une caricature d'un officiel qui passe son temps à tenter d'insuffler de la bonne humeur autour de lui. Ce serait mal le connaître et mal apprécier son parcours politique qui a été loin d‘être facile et aisé pour atteindre la chefferie du gouvernement. Polyvalence et discrétion D'abord, Sellal est un “enfant du système". Comprenez par là qu'il en maîtrise les rouages, les subtilités, les clivages claniques et autres turpitudes. Il a une connaissance des hommes assez exceptionnelle, forgée à travers ses différents postes et une écoute qui est loin d'être distraite. Sa polyvalence lui a permis d'être à tous les postes possibles et imaginables pour se faire une idée assez précise sur le fonctionnement de la pieuvre administrative et politique qu'est le système algérien. Administrateur, conseiller technique au ministère (poste de CES actuellement), chef de daïra à Tamanrasset, wali de Boumerdès, Oran ou Laghouat, chef de cabinet aux AE, ambassadeur et, enfin, ministre de plusieurs secteurs dont celui de l'Intérieur, qu'il connaît parfaitement, dans le gouvernement de Hamdani où il a été chargé d'accompagner les premières mesures sur la réconciliation nationale et sortir, progressivement, du tout-sécuritaire. Ensuite, Abdelmalek Sellal est un profil qui, dans les luttes partisanes, possède la particularité de n'avoir aucune chapelle politique. Du moins, pas en public. Apprécié par les différents courants qui composent le gouvernement, chacun d'eux étant persuadé qu'il penche pour le FLN, le RND et même le MSP. Les nationalistes le trouvent moderniste, les islamistes le trouvent nationaliste, les modernistes le trouvent pragmatique et ceux qui n'ont pas d'avis, comme Ghlamallah, tentent de lui offrir une omra. Car Sellal n'a pas de parti politique. Il n'a de carte de militant nulle part, prenant un soin obsessionnel à ne pas être récupéré par un parti, fut-il dominant. C'est cette qualité qui l'a rendu, peu à peu, original, puis iconoclaste et finalement indispensable dans l'équation politique. Un OVNI dans un gouvernement connu pour son clientélisme. La proximité avec Bouteflika C'est vers lui que le président Bouteflika s'est tourné en 2004 pour organiser sa campagne électorale et effacer le lourd héritage d'Ali Benflis, son ancien protégé. C'est vers lui qu'il s'est encore une fois adressé pour l'accompagner dans la campagne présidentielle de 2009 pour fédérer les rangs. Bouteflika pouvait choisir qui il voulait, mais c'est vers cet énarque discret, diplômé à Paris, sachant tenir les secrets du Palais présidentiel, apprécié même par ses adversaires, qu'il a tenu à confier les clés de la campagne, au même rang que son frère Saïd qui ne semblait pas gêné par ce commis de l'Etat qui savait se mettre au rythme présidentiel. Ce faux bavard allait partager le silence. Enfin, Abdelmalek Sellal c'est aussi et surtout 2014 en point de mire. C'est le choix de la conjoncture et même l'intéressé en est conscient. Sans bruit, sans fureur, cet homme du compromis a su attendre son heure, patiemment dans les canalisations du pouvoir, pour prendre un poste qui lui était depuis longtemps promis malgré ceux qui lui ont fait barrage. Ceux qui connaissent l'homme politique, le gestionnaire, savent qu'il sait organiser les ministères où il est passé, s'implique avec passion pour son job et possède des qualités de manager. Beaucoup s'étonnent de ne pas voir son bureau encombré de dossiers car il ne laisse rien traîner, convoque ses collaborateurs quand il le faut et prend sa voiture pour aller discuter avec un ingénieur sur le terrain et ne s'arrête que quand le problème est résolu. Mais être Premier ministre est autre chose. C'est faire les équilibres entre des ministres qu'on ne choisit pas forcément, répondre aux attentes insondables des citoyens et gérer l'irrationnel. Car le choix de Bouteflika est loin d'être fortuit. Sachant qu'on n'est qu'à 20 mois de la présidentielle de 2014, sachant que “le printemps arabe" est une saison qui peut arriver n'importe quand. Sachant que les menaces sont extrêmes et sachant que faute d'un consensus politique, il faut opter pour une solution intermédiaire viable et crédible, le choix de Sellal a sa cohérence. Reste que beaucoup attendront au tournant ce Constantinois dont la silhouette aussi visible que la “Gantra de Sidi Rached" et le verbe populiste ne seront pas de trop pour calmer le front social et la classe politique. Il le fera avec son style, à l'opposé de celui d'Ouyahia, car avec l'inertie ambiante, le pays a besoin d'un peu de sérieux et de rigueur. Et sur ce point, blague à part, Sellal va en surprendre plus d'un. Mounir b.