Les révoltes dans le monde arabe contre les dictatures ont laissé une trace claire dans la pièce Iftiradh ma hadha failen. Petite bouffée d'oxygène, lundi soir, à la salle du Théâtre national Mahieddine Bachtarzi à Alger. La pièce Iftiradh ma hadha failen (Hypothèse de ce qui est réellement arrivé) du Théâtre régional d'Oum El Bouaghi a été suivie d'un tonnerre d'applaudissements par le public du 7e Festival national du théâtre professionnel (FNTP) qui se déroule jusqu'au 27 septembre 2012. Mise en scène par Lotfi Ben Sbaâ à partir d'un texte de l'Irakien Ali Abdelnabi Al Zaydi, la pièce se détache par une saisissante expression contemporaine et par une tonalité rafraîchissante. Cela se passe à l'intérieur d'un asile de fous. Là où la vie atteint son troisième parallèle. Le Maréchal, parfaitement interprété par le jeune Hicham Guergah, et son conseiller joué par Seif Eddine Berkani, montent ce qui ressemble à un jeu : chercher la dépouille du «soldat inconnu». Mais, cette fameuse dépouille n'existe pas. Comment faire pour la trouver ? Plan A : trouver un soldat vivant, bien portant, pour l'enterrer et en faire «un inconnu». «Je refuse ! Je veux être soldat sur terre pas sous terre», crie-t-il. «Tu seras condamné pour haute trahison !», réplique le Maréchal, qui, parfois, se prend pour un chien aboyant et léchant son conseiller. «La patrie qui m'accuse de trahison ne mérite pas que je la serve», reprend le soldat suscitant une petite réaction dans la salle. On passe au plan B : la guerre. Mais, là, il faut bien inventer un conflit, choisir au hasard un «pays», lui livrer bataille. Le but ? Avoir un cadavre pour en faire… un soldat inconnu. Les pensionnaires de l'asile se prennent pour les maîtres du monde et le Maréchal qui se réveille chaque fois sous les crachats mène sa troupe comme pour maintenir «un certain» ordre. Ceux qui nous gouvernent sont-ils tous fous ? La guerre est-elle le jeu favori des désaxés ? Très physique, la pièce est bâtie sur le principe du théâtre pauvre du dramaturge polonais, Jerzy Grotowski. Les comédiens, grâce à des habits souples et des draps, font et refont le décor par leur corps : là un lit, ici un fauteuil, là-bas une porte, une muraille. Aïssa Chouat semble avoir bien travaillé l'expression corporelle des comédiens alors que le scénographe, Rezig Ben Nacib, s'est contenté du minimum avec une scène dépouillée, plongé parfois dans de la lumière rouge avec au fond un corps désarticulé paraissant figé dans un saut périlleux. Le bassin de ce corps a disparu comme pour suggérer que l'impuissance est le véritable «moteur» des tyrans, de tous ceux qui se prennent les rois de l'univers. Production actuelle Durant tout le spectacle, bien servi musicalement par Rafik Belaïdi, avec des touches bluesy, les huit comédiens n'ont pas quitté la scène, faisant preuve d'un dynamisme régulier pendant 70 minutes. Au-delà de l'aspect comique, parfois burlesque, la pièce Iftiradh ma hadha failen permet plusieurs lectures sur la situation du monde d'aujourd'hui, sur la région arabe, sur les dégâts de la mondialisation… Mais aussi sur l'ordre militaire, sur l'aveuglement des gens du pouvoir et leurs supports, sur l'entêtement de ceux qui ne prévoient pas l'arrivée des tempêtes. A l'origine, Ali Abdelnabi Al Zaydi voulait évoquer, à sa manière, la situation dramatique de l'Irak durant la dictature de Saddam Hussein et après l'occupation occidentale. Ali Abdelnabi Al Zaydi est un nom connu dans la scène théâtrale arabe. Il est célèbre par des pièces telles que Aoudatou al rajoul aladhi lam yaghib (Retour de l'homme qui ne s'est pas absenté) et Thamin ayam al ousbou (Le huitième jour de la semaine). Il a décroché plusieurs prix au Yémen, en Irak, aux Emirats arabes unis, au Koweit et en Egypte. «J'ai réfléchi pendant deux ans au texte de Al Zaydi. J'allais le monter à Batna, mais comme j'ai été désigné directeur au niveau de Oum El Bouaghi, j'ai donc décidé de le mettre en scène au niveau de ce théâtre. Avec un peu de sémiologie et de sémiotique, j'ai donné une dimension arabe au texte. Il s'agit d'un géant qui n'arrive pas à se lever. Le texte offrait beaucoup de souplesse, de portes et de possibilités à une mise en scène que je voulais», a expliqué Lotfi Ben Sbaa après le spectacle. Le metteur en scène a travaillé avec ses comédiens pour bien concevoir la pièce et élaborer l'expression scénique. «Cela nous a pris deux mois de travail soutenu. Avant les événements du monde arabe, j'aurais peut être laissé la pièce dans le contexte irakien. Mais, là, avec l'évolution de la situation dans le monde arabe, la pièce a pris une autre dimension», a-t-il soutenu. La formation est pour Lotfi Ben Sbaa une priorité. Des stages ont été organisés à Oum El Bouaghi sur les arts dramatiques pour animer la scène théâtrale de la ragion. «Nous allons organiser des stages sur la mise en scène, la scénographie et la critique théâtrale en collaboration avec l'université», a-t-il noté. La pièce Iftiradh ma hadha failen sera bientôt présentée à Bordj Ménaïel, Koléa et Bouira.
Pour plus d'informations sur le Théâtre régional d'Oum El Bouaghi Tel: 032477198 Fax: 032476200 Site : www.troeb.com