Pour le troisième jour de la compétition officielle de la 7e édition du Festival national du théâtre professionnel (Fntp), le public a eu droit à une délicieuse surprise, offerte par la troupe du théâtre régional d'Oum El Bouaghi. Présentée à 20h30, face à une salle archicomble, la pièce Supposition sur ce qui s'est réellement passé est une œuvre étonnante, autant sur le plan de la mise en scène que sur ceux du texte et de l'interprétation des comédiens.Ecrite par l'irakien Ali Abed Ennabi Ezzidi et mise en scène par le talentueux Lotfi Ben Sebâa, la pièce relate l'histoire d'un groupe de fous qui se prête à un jeu de rôles. S'autoproclamant maréchal, un d'entre eux, parodiant la dictature militaire, décide d'ériger une stèle en l'honneur du soldat inconnu tombé en martyr en défendant la nation. Mais un problème surgit. Le groupe de fous n'a pas la dépouille de ce soldat inconnu. Fou de rage, le maréchal fou ordonne à son subordonné de trouver ce soldat et de le ramener. «L'honneur de la nation en dépend», déclare l'officier supérieur. N'ayant pu trouver cette dépouille, le subordonné ramène un soldat inconnu mais vivant, et propose qu'on le tue. Le maréchal tente alors de convaincre le soldat de la nécessité de se sacrifier pour la nation et d'accepter d'être enterré vif. Pas si fou que ça le fou ! Il refuse. Le chef décide alors d'employer les gros moyens. Pour avoir une dépouille de soldat, le seul moyen est de mener une guerre contre un pays. Il en choisit un au hasard, après un tirage au sort ! La bataille est engagée, mais elle se termine par une grande victoire pour notre maréchal qui n'a perdu aucun homme. Ses soldats trouvent la solution : prendre la dépouille d'un soldat adverse. Le maréchal accepte, car, expliquera-t-il, une fois enterré, personne n'ira chercher l'identité du mort. C'est, après tout, le soldat inconnu ! Aussi, ordonnera-t-il la mise en terre de la dépouille et l'inauguration en grandes pompes de la stèle commémorative. Coup de théâtre, le mort se réveille et se révolte. Il refuse d'être enterré dans la terre de ses ennemis.Surprenante parodie de l'autoritarisme, la manipulation, la falsification de l'histoire et l'aliénation du monde dans lequel nous vivons, le texte de la pièce est fin mais bien corsé. Quant à la mise en scène et la direction des artistes, Lotfi Ben Sebâa a imposé à ses comédiens un rythme soutenu et les a fait suer sur scène. Ces derniers ont été très réalistes dans leurs interprétations des rôles d'aliénés et ont parfaitement rendu leurs tics et mimes, ce qui a fait bonne impression sur le public, qui a bien perçu le malaise du monde que la pièce voulait rendre, mais tout en nourrissant de la sympathie pour ce groupe de fous et leur maréchal, qui, finalement, ne sont pas plus fous que tous ces va-t-en guerre. On aurait presque eu de l'affection pour ce tyran si vériste et loufoque à la fois. Jouée en arabe classique, le texte est plus percutant et réaliste. Pour la scénographie le metteur en scène a utilisé des draps blancs, que portaient les comédiens qui, voilés, se transformaient tantôt en chaise, tantôt en table ou en mur. En mettant le monde entre les mains d'un groupe de fous, l'auteur de la pièce a tout simplement dit que la réalité n'est pas tellement différente de la fiction et que notre monde est effectivement dirigé par des fous, sauf qu'au lieu d'être dans des asiles, ils sont à la tête d'Etats, de groupes industriels, banques, armées… Et ils sont bien plus dangereux que ceux qui sont derrière les barreaux. Ne dit-on pas qu'un fou, c'est quelqu'un qui a tout perdu sauf la raison ? W. S.