Mohamed Benchicou, qui vient de publier aux éditions Koukou La Parfumeuse, sur le parcours d'Emilie Busquant, la femme de Messali Hadj, a rencontré ses lecteurs au Salon du livre, aux côtés de… la fille de son héroïne. Djanina Messali. Fille de Messali Hadj : "on peut mettre les gens au placard, cela ne dure" qu'un temps
- Mohamed Benchicou vient de publier La parfumeuse. Il y évoque l'histoire de votre mère. Qu'en pensez-vous ?
J'ai d'abord été surprise par la rencontre de Mohamed Benchicou. C'était imprévu. On s'est déjà vu auparavant à Tlemcen, en septembre 2011. On s'est échangé nos coordonnées. Il a assisté à mon intervention en tant que présidente d'honneur d'un séminaire sur Messali Hadj. J'ai parlé d'Emilie Busquant, ma mère. Cela a fait réagir M. Benchicou, car il avait préparé un ouvrage évoquant ce sujet. Du coup, il s'est dit qu'un entretien avec moi lui serait d'une grande utilité. C'est à Alger que la rencontre a eu lieu pour échanger des idées sur cette femme à qui nous devons beaucoup. C'était une belle rencontre pour moi, car c'est un homme à la parole libre. Ce n'est pas courant. Il faut beaucoup de courage et de liberté pour exprimer toutes ses idées. - Mohamed Benchicou parle de vie occultée de Mme Messali…
A partir du moment où on vit dans une société qui a mis au secret son mari pour ne pas le nommer parce qu'il fait partie des noms maudits, il est évident que son épouse devait également être écartée de l'histoire. Avant le cinquantenaire, donc dès le centenaire de Messali Hadj, en 1998, le président de la République a compris qu'il était important d'ouvrir le débat sur l'histoire. Il a même délégué l'ambassadeur algérien à Paris pour la célébration du centenaire. J'imagine que c'est une idée qui trottait depuis longtemps dans la tête du Président. Cela fut confirmé par la suite quand le Président a rebaptisé l'aéroport de Tlemcen. - Mais depuis, Bouteflika n'a rien fait pour casser les tabous autour de Messali…
Je pense que ce n'est pas son rôle de réécrire l'histoire. Sinon on lui reprochera plus tard de l'avoir falsifiée. D'avoir levé un tabou sur ce problème-là, c'est tout à son honneur, mais ce n'est, normalement, pas son travail. Il est important pour l'Algérie aujourd'hui, confrontée à toutes sortes de fléaux, de revenir aux fondamentaux. Et là, Emilie Busquant, un symbole franco-algérien, ou Messali Hadj sont incontournables. - Mais que font les historiens, les universitaires pour faire avancer cette question, sortir du cercle des mensonges ?
Le président de la République le dit lui-même : on n'a jamais enseigné l'histoire dans ce pays. Ce n'est pas au président de la République de décider qu'on doit enseigner l'histoire. Les historiens ont-ils eu la liberté de le faire ? Il faut dénouer une situation compliquée. - Mohamed Benchicou a-t-il tout dit sur Emilie Busquant ?
J'ai été bouleversée par son livre. Parce qu'il a su faire revivre Emilie Busquant dans les années folles avec une liberté de langage que j'ai appréciée. C'est tout à son honneur. Il remet bien le personnage dans son contexte historique. Il montre qu'elle était une militante à part entière et qu'elle était respectée en tant que telle par son mari et tous les militants. Elle était leur alter ego. Elle a joué un vrai rôle. Son nom est lié à l'Algérie comme ce pays est lié à elle. Il y a des pays qui ont la chance, comme l'Italie, d'avoir de grands hommes qui ont réussi à faire l'unité de la nation. Des gens qui ont joué le rôle de guides pour leur société, qui ont eu une vision, qui ont été les premiers à passer au-dessus des notabilités en prenant possession de la parole. Et ça, les peuples en ont gardé la mémoire. Messali avait cette faculté au sein de son parti pour passer au-dessus de sa direction, en dérive réformiste, pour s'adresser à la base, s'adresser au peuple. Et le peuple a compris. Vous savez, on peut mettre les gens au secret ou au placard, cela ne dure qu'un temps. L'histoire est têtue et peut être subversive. Les clairvoyants se rendent compte qu'il est important pour la jeunesse de reconnaître ses symboles...
Mohamed Benchicou. Journaliste et romancier : "le système idéologique d'écriture de l'histoire a fait faillite"
- Dans La parfumeuse, s'agit-il d'une histoire romancée ou d'une vérité qui alimente le roman ?
C'est la vérité qui alimente le roman lorsqu'elle est vécue à la manière d'un roman. C'est le cas de cette femme qui – pour reprendre une parabole qui me sert de dédicace – nous a rendus hommes. C'est un retour sur notre histoire pour comprendre les grands questionnements du présent. Je ne suis pas historien et je me défends de l'être. Je laisse l'histoire à ce qui en font leur propre métier. J'essaye de voir dans l'histoire de mon pays tout ce qui est extraordinaire, occulté et qui pourrait être la substance d'un roman. Emilie Busquant a été l'une des pionnière du Mouvement national algérien aussi bien par la richesse de ce qu'elle a fait et apporté que par la violence de son occultation. C'est une occultation sans précédent dans l'histoire algérienne. Le nom d'Emilie Busquant a été effacé. On ne retient rien de cette femme qui avait joué un rôle décisif. Je n'exagère pas, il est probable que sans cette femme, bien des choses ne se seraient pas produites telles qu'elles l'ont été dans notre histoire. - Justement, pourquoi l'action d'Emilie Busquant, épouse de Messali Hadj, a été occultée, oubliée ?
C'est une grande question sur la manière avec laquelle nous retraçons notre histoire. L'histoire est écrite avec ses omissions, volontaires, de manière à ne pas révéler l'illégitimité du régime qui nous gouverne aujourd'hui. Ce qui a été effacé et perverti, c'est l'origine internationaliste du Mouvement national algérien. Un mouvement internationaliste né au milieu de la classe ouvrière française dans le prolongement de 1789 (Révolution française, ndlr). Cela a été enrichi par une revendication identitaire sur l'islam et la langue arabe que l'on retrouve dans le discours de 1927 à Bruxelles (prononcé par Messali Hadj le 10 février devant le Congrès anticolonial dans lequel il avait dénoncé le code de l'indigénat, ndlr) et dans le programme de l'Etoile nord- africaine. Le Mouvement national est devenu exclusiviste, renfermé sur lui-même, cessant d'accompagner la revendication d'indépendance de revendications démocratiques. D'où le fait que nous en soyons là, avec des régimes issus de cette perversion. La date durant laquelle Emilie Busquant a été effacée coïncide avec le grand virage pris par le Mouvement national. Je découvre, à travers toutes les omissions et les contrevérités, beaucoup de choses qui nous illuminent sur la situation actuelle - Cinquante ans après l'indépendance, n'est-il pas venu le moment d'ouvrir le débat sur ce qui a été omis, non dit, sur le messalisme…?
Absolument. C'est le moment. Tout le système idéologique d'enseignement et d'écriture de l'histoire a fait faillite. On ne peut pas expliquer, aujourd'hui, aux gens, que l'indépendance a été, cinquante ans après, une faillite du point de vue démocratique. Il y a nécessité de changer de discours et de chercher dans l'histoire les raisons de nos infortunes présentes…. Ceux qui avaient la charge de célébrer et expliquer cette indépendance sont ceux-là mêmes qui ont profité de la perversion du mouvement national. Aujourd'hui, replonger dans l'histoire avec ses véracités, c'est retracer et révéler l'illégitimité des pouvoirs qui se sont succédés depuis 1962. C'est pour cela qu'on ne célèbre pas le cinquantième anniversaire de l'indépendance. Je suis obsédé par les trous noirs de notre histoire. Je n'ai pas pour prétention d'éclairer. Je cherche dans les murs qui forment le brouillard présent une porte. Une porte qui pourrait s'ouvrir. C'est en retournant vers l'histoire que nous éclairerons les intrigues présentes.