La Banque d'Algérie a sommé les institutions financières de surveiller les clients étrangers qui ont la qualité de «personnalité politiquement exposée». Une nouvelle réglementation imposée par les engagements de l'Algérie à lutter contre le blanchiment d'argent, la corruption et le financement du terrorisme. La Banque d'Algérie a adressé récemment aux banques, établissements financiers et services d'Algérie Poste une nouvelle disposition consacrée aux personnalités politiquement exposées qui doivent être minutieusement surveillées. Une disposition que l'on retrouve d'ailleurs dans l'article 7 du règlement n°12-03 daté de novembre 2012, relatif à la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, diffusé par la Banque d'Algérie. Larticle 7 du réglement précise : «Les banques, les établissements financiers et les services financiers d'Algérie Poste doivent, à la discrétion de leur direction générale, obtenir avant l'entrée en relation avec tout nouveau client, personne politiquement exposée telle que définie par la loi n°05-01, suffisamment de renseignements sur l'origine des capitaux et prendre les dispositions permettant d'assurer une surveillance renforcée et permanente de la relation d'affaires.» Mais qui considère-t-on comme une personnalité politiquement exposée ? Pourquoi celle-ci est-elle devenue suspecte et surtout pourquoi l'Algérie a-t-elle mis en garde les établissements financiers contre cette catégorie de clients ? Des questions auxquelles nous avons tenté d'apporter des réponses auprès des spécialistes du droit et de la finance. Pour nos sources, il s'agit d'une série de textes de lois relatifs au contrôle des transactions financières qui transitent par le système bancaire. Ils citent, entre autres, le règlement 12-03 de novembre 2012, qui dans ses articles 10 et 11, il est fait obligation aux «banques, aux établissements financiers et aux services financiers d'Algérie Poste de disposer de systèmes de surveillance des transactions permettant, pour tous les comptes, de déceler les activités ayant un caractère inhabituel ou suspect». Les opérations qui doivent faire l'objet d'une attention particulière sont celles «qui ne semblent avoir aucune justification économique ou commerciale perceptible, qui présentent des mouvements de capitaux démesurés par rapport au solde du compte, qui portent sur des montants, notamment en liquide, sans relation avec les transactions habituelles ou concevables du client, qui sont d'une complexité inhabituelle ou injustifiée, qui ne paraissent pas avoir d'objet licite et enfin celles qui dépassent, le cas échéant, le seuil fixé par la réglementation en vigueur. Pour ces opérations, les banques, les établissements financiers et les services financiers d'Algérie Poste sont tenus de se renseigner sur l'origine et la destination des capitaux ainsi que sur l'objet de l'opération et l'identité des intervenants et prendre les mesures appropriées à l'effet de se prémunir contre le risque d'usage à des fins de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme des technologies nouvelles ou en développement, en lien avec des produits, pratiques commerciales ou mécanismes de distribution». Mais pour comprendre comment ces textes ont été mis en place, il faut revenir en arrière. «Depuis quelques années, l'Algérie, étant membre observateur du Groupe d'action financière (Gafi), aspire à être un bon élève en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux. Elle ne veut pas avoir la réputation de pays où circule l'argent sale. Depuis 2005, une batterie de textes a été mise en vigueur, qui chaque année est évaluée par les structures du Gafi, dont les recommandations sont prises en compte», révèle une source judiciaire. C'est dans ce cadre, rappelle-t-elle, qu'une loi relative à la prévention et à la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme a été promulguée le 6 février 2005, suivie une année plus tard d'un autre texte (06-01) consacré à la prévention et la lutte contre la corruption, et quelques années par la création de la Cellule du traitement du renseignement financier (CTRF) et l'organe de prévention et de lutte contre la corruption. L'Algérie sommée de corriger ses défaillances réglementaires «Examinée et analysée par le Gafi, cette réglementation est qualifiée d'insuffisante», explique notre source, qui ajoute que le Gafi a mis en avant le lien entre la corruption et le blanchiment d'argent, et exhorté les Etats, notamment l'Algérie, à renforcer leur arsenal juridique pour lutter contre ces fléaux. «Dans son rapport pour l'année 2011, le Gafi lie la corruption au blanchiment d'argent en précisant que les deux sont généralement engagés avec le but d'obtenir des gains financiers. De ce fait, il a estimé que les mesures de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme sont des outils puissants qui peuvent être efficaces dans la lutte contre la corruption. Il s'est engagé à travailler sur ce sujet afin de déterminer si des types spécifiques de relations d'affaires, de clients et de produits sont plus exposés au risque de blanchiment de capitaux associé à la corruption. Dans un autre rapport, il a présenté les facteurs de risque spécifiques relatifs au blanchiment des produits de la corruption», révèle un expert du ministère de la Justice. Lors de la réunion d'octobre 2011, le Gafi, après avoir analysé le rapport sur le dispositif réglementaire algérien, a fait état de «défaillances stratégiques persistantes» en matière de lutte contre le blanchiment, la corruption et le financement du terrorisme. Il a appelé l'Algérie à apporter des corrections «en incriminant de manière satisfaisante le financement du terrorisme, en établissant et en mettant en œuvre un cadre juridique satisfaisant d'identification, de dépistage et de gel des actifs terroristes, en améliorant et en élargissant le champ des obligations de vigilance relatives à la clientèle et en s'assurant qu'elles s'appliquent à toutes les institutions financières, en assurant le fonctionnement pleinement opérationnel et efficace de la cellule de renseignements financiers, en adoptant et en mettant en œuvre une législation appropriée en matière d'entraide judiciaire». Par la voix du ministre des Finances, l'Algérie s'est engagée à corriger «les défaillances» en travaillant avec le Gafi, et le groupe d'action de la région Ména. «En février 2012, elle adopte de nouvelles recommandations qui imposent l'application de mesures complémentaires à des clients et activités spécifiques. C'est parmi ces recommandations qu'il y a eu l'obligation d'installer des systèmes de gestion des risques appropriés afin de déterminer si un client ou un bénéficiaire effectif est une personne politiquement exposée. En fait, ce rapport permet au secteur financier de mieux comprendre et identifier les facteurs de risque qui peuvent révéler le blanchiment de produits de la corruption», explique notre interlocuteur, précisant «que le Gafi a en réalité révisé les normes qu'il avait instaurées pour renforcer les mesures de protection du système financier, en dotant les gouvernements d'outils plus robustes pour sanctionner les infractions graves». Parmi les mesures instaurées, il y a la vigilance à l'égard de clients et d'activités spécifiques, dont les personnalités politiquement exposées. Durant cette même période, (février 2012) la loi 05-01 de février 2005 de prévention et de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme est amendée, par une ordonnance présidentielle. Le texte définit le terrorisme, les actes terroristes, le blanchiment, le transfert, entreprise et profession non financière, etc., mais aussi la qualité de personnalité politiquement exposée qui, selon la nouvelle loi, est «tout étranger nommé ou élu, qui exerce ou a exercé en Algérie ou à l'étranger, d'importantes fonctions législatives, exécutives, administratives ou judiciaires». Ce texte reprend en réalité toutes les recommandations du Gafi, en matière d'autorité de contrôle, mais aussi de renseignement financier, ainsi que l'introduction d'une manière explicite de la notion du risque induit par la personnalité politiquement exposée. Le cas Natixis Luxembourg est à méditer Les Algériens, faut-il le préciser, ont eu à connaître une grande affaire, celle d'Algérie Télécom, dont l'un des accusés, un ancien conseiller du ministre des Télécommunications, percevait des fonds dans deux comptes offshore ouverts à Natixis du Luxembourg, versés par des sociétés chinoises qui venaient d'obtenir des marchés en Algérie dans le domaine des télécommunications. La banque a failli en domiciliant les comptes d'un client ayant la qualité de personnalité politiquement exposée. Lors du procès de cette affaire, la défense de Mejdoub Chani, l'homme d'affaires qui a la charge d'ouvrir des comptes on et offshore, s'est longuement attaquée à la banque accusée de n'avoir pas pris les mesures nécessaires pour empêcher cette affaire de blanchiment. Une plainte, a-t-elle indiqué, a été déposée contre Natixis au Luxembourg. L'affaire a fait tache d'huile, d'autant qu'elle a éclaté à la suite d'informations révélées par la justice luxembourgeoise, dans le cadre d'une commission rogatoire délivrée par le juge du tribunal de Sidi M'hamed, qui instruit le dossier de l'autoroute Est-Ouest dans lequel Chani Mejdoub est cité. Si des ressortissants algériens sont épinglés ailleurs pour blanchiment d'argent, il n'y a pas de raison pour que la réciprocité ne soit pas de mise. Les accusations portées à son encontre par certains milieux, selon lesquelles une partie de la fortune de la famille El Gueddafi est domiciliée en Algérie, ont donné à réfléchir aux plus hautes autorités. Après deux réunions du Conseil de la monnaie et du crédit, tenues en novembre 2012, la Banque d'Algérie rend publique la nouvelle réglementation (règlement 12-03) dans laquelle il est fait obligation aux banques, établissements financiers et aux services financiers d'Algérie Poste d'«obtenir avant l'entrée en relation avec tout nouveau client, personne politiquement exposée telle que définie par la loi n°05-01, suffisamment de renseignements sur l'origine des capitaux et prendre les dispositions permettant d'assurer une surveillance renforcée et permanente de la relation d'affaires». Ce règlement appelle à «faire preuve de vigilance» et il est fait obligation de «disposer d'un programme écrit de prévention, de détection et de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme des procédures, des contrôles, une méthodologie de diligence en ce qui concerne la connaissance de la clientèle, des formations appropriées à l'attention de leur personnel, un dispositif de relations (correspondant et déclarations de soupçon) avec la cellule de traitement du renseignement financier (CTRF)». Une batterie de mesures visant à renforcer la protection du système financier et à déceler et réprimer toute action de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme et qui abrogent une bonne partie des dispositions de la loi de 2005. Son dernier article précise : «La Commission bancaire et la Banque d'Algérie émettront, en cas de besoin, des lignes directrices et assureront un retour d'information pour l'application des mesures nationales.» Cette note, cependant, n'a été adressée aux institutions financières concernées qu'en ce mois de février. Pourquoi ce retard ? On n'en sait rien. Certaines sources l'expliquent ainsi : «La Banque d'Algérie ne pouvait pas le diffuser sans qu'il ne soit publié au Journal officiel.»