Une horloge capricieuse qui faillit réveiller les consciences. Habib Ayyoub signe, ici, une authentique petite fable politique*. Une perle du genre. A travers le récit des péripéties ubuesques de tout un village, l'auteur dresse un portrait grinçant de notre société, mais aussi de sa précarité intellectuelle, que n'aura eu de cesse – après l'avoir élevée à son image – d'infantiliser et de confondre un système castrateur pétri de grossière démagogie et de roublardise. Un «vaudeville» local à l'algérienne – que l'auteur situe, judicieusement, à la veille des événements d'octobre 1988 – qui nous transporte vers des vérités autrement plus nationales, établies et récurrentes… La plume est superbement cinglante, drôle ; le style délicieusement décalé ; quant aux personnages et dialogues – sans oublier l'horloge ! –, caricaturaux et métaphoriques à souhait, ils incarnent à eux seuls tout ce que semble vouloir dénoncer l'auteur. Au cœur de l'Algérie profonde post-1988, dans le petit village perdu de Sidi Ben Tayeb, c'est le branle-bas de combat ! Monsieur le Maire, son Secrétaire Général et leurs administrés, les Sidibentayébiens, vaquent aux préparatifs de l'imminente visite officielle du troisième secrétaire à la sous-préfecture. Et tout doit être parfait ! C'est de l'honneur de toute la petite bourgade dont-il s'agit. Pour Monsieur le Maire et ses sbires ; mais aussi pour les crédules Sidibentayébiens qui caressent secrètement l'espoir que cette visite «au sommet» amène, avec elle, tout ce qui pourrait améliorer leurs petites vies si étroites, sans éclat, trop longtemps sevrées des avatars de la civilisation et du progrès… fantasmés et élucubrés dans une démesure dont seuls ceux qui n'y ont pas goûté, mais en ont eu vent sont capables… Mais voilà ! Si les préparatifs vont bon train et augurent un accueil des plus prestigieux, un «bémol» vient ébranler nos protagonistes : l'horloge du village, vestige colonial, a la fâcheuse tendance à accumuler des couacs depuis quelque temps : elle ne sonne jamais à la bonne heure ! Or, Sidi Ben Tayeb ne peut décemment pas recevoir son visiteur avec une horloge devenue complètement folle et erratique ! S'ensuivent alors conciliabules effrénés pour réparer la relique souffreteuse. L'on convoque le taleb du village dont les incantations, improbables, échouent. L'on pense alors à Monsieur Kadour qui s'occupait du nettoyage de l'objet du temps de l'occupation. L'on s'en va le chercher dans sa campagne où il coule ses misérables jours de vieillard oublié de tous et du système. Et on le met à l'ouvrage… En vain ! Mais l'octogénaire a de la suite dans les idées : il y aurait bien une autre solution qu'il se ferait un plaisir de révéler… Mais non sans contrepartie : la réouverture sur le champ de son dossier de retraite, relégué aux Dossiers à l'étude depuis perpète, qu'on la lui accorde enfin et qu'on l'en lui règle tous les rappels ! Affaire entendue : l'enjeu est trop important ! Mais le vieux renard évoque alors Monsieur Georges, le responsable spécialiste de l'horloge, qui doit bien être quelque part en France. Petite excursion dans les archives moyenâgeuses de la mairie, et voilà Si Kadour parti pour la France, investi de «la haute mission» de ramener l'ex-colon horloger. Qu'il ramène finalement à bon port et qui réussit là où tous ont échoué : la vieille horloge se remet à sonner à l'heure ! Mais pour quelques heures seulement. Las ! Les Sidibentayébiens s'insurgent, exigent la destitution sur le champ de Monsieur le Maire. Le fils du Secrétaire Général a alors une idée lumineuse, subterfuge qui pourrait, peut-être bien, calmer un temps la foule en ébullition. Echaudée, celle-ci ne se laisse pas abuser, bien décidée à accomplir ses noirs desseins… Mais voilà que l'horloge sonne – à l'heure – trois «ding» ! Il est quinze heures et le cortège de l'illustre visiteur est aux portes de la mairie ! Prestige de façade, discours et trémolos officiels «patriotiques et révolutionnaires», relents festifs de la Zorna et du t'bal, etc. finissent alors par avoir raison de la colère des villageois. Les noirs desseins à accomplir ? On n'y pense presque plus, voire même plus ! Le lecteur ou la lectrice referme le livre avec un sentiment mitigé, entre hilarité et malaise. L'on se dit aussi ceci : «si l'humour a des bienfaits thérapeutiques, il peut en avoir de bien didactiques…». Deux vertus qui ne font pas défaut à ce récit-pastiche qu'est Le Remonteur d'horloge. Habib Ayyoub, «Le Remonteur d'horloge», roman. Editions Barzakh, Alger, 2012. 120 pages.