Dans "Le remonteur d'horloge", un récit satirique paru récemment aux éditions Barzakh, l'écrivain algérien Habib Ayyoub explore le rapport entre les habitants et les autorités locales d'une commune de l'intérieur de l'Algérie. L'histoire se déroule à la fin des années quatre vingt, la veille de la visite d'un officiel. A la mairie de Sidi Bentayeb, les préparatifs de la visite du troisième secrétaire à la sous-préfecture sont chamboulés à cause de l'horloge de la mairie, monument datant de l'époque coloniale, tombée en panne. La situation sert de prétexte à l'auteur pour dépeindre, d'une manière caricaturale et burlesque, des portraits d'élus locaux, de fonctionnaires et d'habitants. Dans une effervescence qui va remettre en cause l'ordre établi, les personnages sont en proie à des rivalités et des passions révélées lors des différentes tentatives pour réparer l'horloge menées d'abord par Si Kaddour qui "travaillait vingt-cinq années plus tôt, au temps des Français, au nettoyage et, accessoirement, à l'entretien de l'horloge...". Devant l'échec de ce dernier, le maire décide de l'envoyer en France chercher l'ancien horloger, Monsieur Georges, lequel va abuser les habitants et le maire en réparant momentanément l'horloge, en contrepartie de leurs économies et alors même qu'il avait été accueilli en grande pompe. Ce dernier personnage développera lors de sa visite un discours glorifiant la colonisation, dont l'horloge, symbole de la technologie occidentale qu'il est le seul à pouvoir réparer, sert de justification. Après le départ de Monsieur Georges, "l'horloge se remet à faire des siennes", et devant l'imminence de la visite officielle, un dernier subterfuge est trouvé par le fils du secrétaire général de la mairie, un océanographe au chômage technique, en raison de l'éloignement de Sidi Bentayeb de la mer. Bien que la visite officielle se soit bien déroulée, la population de Sidi Bentayeb ne "croit plus au miracle, échaudée par tant de déceptions" et se trouve "décidée à accomplir ses noirs desseins", autrement dit, à exiger par la force le départ du maire. "Le lecteur rit beaucoup mais la surenchère dans le burlesque finit par susciter quelque malaise : l'horloge du village n'était-elle pas le symbole d'un Temps qui se serait arrêté ?" s'interrogent les éditeurs dans la quatrième de couverture. En effet, en mettant en scène un village de l'arrière-pays qui n'a pas réussi à trouver le chemin du développement à cause de responsables locaux manquant de clairvoyance, ignorants et plus préoccupés de leur carrière et de leurs privilèges, ainsi qu'il les dépeint dans de nombreux passages du livre, Habib Ayyoub livre une métaphore de la situation de l'Algérie à la fin des années quatre-vingt et des prémices des évènements d'octobre 88. Le lecteur relèvera le clin d'œil à cette époque marquante de l'histoire récente de l'Algérie, puisque une émeute finira par éclater à Sidi Bentayeb après la visite officielle tant attendue. Par ailleurs, en sous titrant son récit "ou le manuscrit de Sidi Bentayeb (découvert en l'an de grâce 2050, par la section archéologique du ministère des Finances et de l'Histoire intelligente), Habib Ayyoub insiste sur la dimension historique de son récit et donne au lecteur une indication supplémentaire pour l'interprétation de ce dernier. Né en 1947 à Takdempt (Boumerdès), Habib Ayyoub, de son vrai nom Abdelaziz Benmahdjoub, entreprend des études de sociologie, puis de cinéma en Belgique avant d'exercer le métier de journaliste. Lauréat du prix littéraire Mohammed Dib en 2003 pour son recueil de nouvelle "C'était la guerre", Habib Ayyoub est l'auteur d'un roman, le "Palestinien" (2003) ainsi que d'autres recueils de nouvelles.