«Si ce n'était cette histoire d'horloge, on ne se serait sûrement jamais aventuré dans les souterrains de notre histoire!» fera remarquer l'un des personnages de l'auteur. Le Remonteur d'horloge paru aux éditions Barzakh, nous fait voyager dans un monde burlesque où les habitants d'un village de l'arrière-pays, s'éveillent face aux gestions désastreuses des autorités locales à quatre jours de la visite d'un officiel. Ce sont les années 1980 et l'horloge de la mairie de la commune de Sidi Bentayeb ne fonctionne plus... Dernier bijou littéraire de l'auteur algérien Habib Ayyoub, qui nous raconte avec son bien-nommé trait d'ironie, l'histoire de la bourgade de Sidi Bentayeb. Un récit sous-titré «ou le manuscrit de Sidi Bentayeb (découvert en l'an de grâce 2050, par la section archéologique du ministère des Finances et de l'Histoire intelligente)» qui nous annonce d'emblée le ton avec lequel sera servie la dimension historique et les métaphores de sa fiction. C'est un village perdu au beau milieu du pays, loin du développement et subissant toute la machinerie bureaucratique, à cause d'élus locaux ignorants et plus préoccupés par leurs privilèges. Des personnages décrits de façon caricaturale et clownesque en compagnie de portraits gratinés de fonctionnaires, et responsables, rappelant Carnaval fi dechra. En somme, d'étranges habitants, comme on l'en rencontre probablement dans ces lieux oubliés par l'Histoire, où règnent la paix, la lenteur et les autorités mafieuses qui la gouvernent. Les «Sidibentayébins» font preuve d'enthousiasme et s'organisent en vue d'accueillir un secrétaire à la sous-préfecture, mais par malheur, l'horloge (datant de l'époque coloniale) censée donner le temps pour prévoir l'arrivée de l'officiel déraille, ce qui chamboule tous les événements et les préparatifs des festivités. Les citoyens plus décontenancés que jamais, et ne sachant l'heure qu'il est, commencent à s'agiter. Nous assistons alors à l'ébullition des citoyens qui se concertent sur la situation. Ces derniers faisant appel au taleb du village, n'ont pas pu bénéficier d'un résultat malgré le généreux salaire attribué, étant donné le combat inégal qui opposait la machine stoïque contre des incantations désespérées. D'autres tentatives plus cocasses pour réparer l'horloge, notamment celles, hardiment menées par le personnage Si Kaddour et ses fameuses Ray-Ban qu'il ne porte que par pure coquetterie et qui «travaillait, 25 années plus tôt, au nettoyage et, accessoirement, à l'entretien de l'horloge....» Mais, Si Kaddour échouera aussi devant un délirant remue-ménage, opposant deux adversaires, notamment le maire et le SG. Les rivaux finissent par se mettre d'accord pour décider d'envoyer Si Kaddour en France afin de ramener à coups de galettes et de dattes, l'ancien horloger, M.Georges, et ce à l'aide de la vieille camionnette du boulanger. Ce dernier est reçu en fanfare au son des bendirs, et cependant, il n'hésitera pas à exiger l'équivalent de toutes les économies des «Sidibentayébins» à défaut de faire correctement son travail, puisqu'il arrivera même à berner les habitants et le maire en faisant mine de réparer l'horloge. En plus de les avoir trompés, M.Georges tiendra, lors de sa visite, tout un discours glorifiant l'apport technologique de l'Occident et de la colonisation, à l'exemple de l'horloge qu'il est le seul à pouvoir réparer. Aussitôt parti, «l'horloge se remet à faire des siennes». L'agacement se fait entendre face à l'imminence de la visite officielle. Les «Sidibentayébins» tentent de trouver des solutions et c'est le fils du secrétaire général de la mairie, un océanographe «en plein désert» qui parviendra à proposer une idée en dépit de l'hostilité du maire envers lui. «Si ce n'était cette histoire d'horloge, on ne se serait sûrement jamais aventuré dans les souterrains de notre histoire» fait remarquer Si Kaddour. La visite officielle se déroule de façon plus ou moins bien, mais les récents incidents laissent un arrière goût à une population de Sidi Bentayeb souvent mise à l'écart et déçue, et se retrouve décidée à exiger par la force le départ du maire et les frais de réparations. C'est alors qu'une émeute vengeresse dans un village connu pour être «d'ordinaire si paisible», finira par éclater. Le livre s'achève sur une lettre que les nouveaux responsables de la mairie de Sidi Bentayeb ont rédigée à l'attention du président de la République afin de lui exposer les problèmes permanents que connaît leur commune. Le lecteur avisé saura décrypter peut-être une métaphore sur les prémices des événements d'Octobre 1988? L'auteur en esquisse du moins les raisons dans une Algérie profonde, et effleure brillamment, grâce à un humour grinçant, les aspects d'une absurdité innommable partagée entre le sarcasme et la tragédie, de la condition des hommes simples.