Le siège du consulat de France, situé dans un quartier résidentiel à Hydra, à Alger, est souvent pris d'assaut par des centaines d'Algériens en quête d'un document précieux : le visa. Entouré de barbelés et bien gardé par une escouade de policiers, ce quartier général des services consulaires est une forteresse « imprenable ». Tout au long du mur de clôture, une file interminable s'étend au fil des heures. Qu'il pleuve, qu'il fasse 40 degrés, ils sont là, hommes, femmes, vieux et jeunes, à attendre debout jusqu'à épuisement. Certains y viennent aux premières heures de la matinée. Il y a quelques années, on dormait aux portes même du consulat. D'autres occupaient des places la veille pour les céder le lendemain moyennant quelques sous ! Le temps et la patience se vendaient bien ! Les bousculades, les coups de matraque et les insultes y étaient monnaie courante. Cependant, ces derniers mois, la file est visiblement bien organisée. Pourquoi ? Le nombre de demandeurs de visa a sensiblement baissé. A titre d'exemple, le consulat a traité, en 2001, pas moins de 800 000 demandes. En 2005, les mêmes services n'ont reçu que 250 000 dossiers, dont 150 000 approuvés. Tedjad Kada, étudiant d'une vingtaine d'années, est venu de Mostaganem. Il a passé une nuit dans un hôtel à Alger pour se présenter le lendemain à l'aube devant le consulat. « Je suis là pour récupérer le visa de mon père. Il est bien chanceux, le vieux », a-t-il dit. N'est-il pas, lui-même, intéressé par un visa pour la France ? A notre question, Kada esquisse un sourire presque narquois. « J'en ai ras-le-bol. Cette file que vous voyez m'a fait pousser des cheveux blancs », fulmine-t-il. Il a fallu dix minutes de discussion pour comprendre son calvaire. Harassé et complètement dépité, Kada jure de ne plus courir derrière un visa. Surtout pas pour la France. « J'ai déposé plusieurs dossiers, ils se sont tous soldés par des avis défavorables. Parfois, on ne me le signifie même pas », se plaint-il. Dans le torrent de ses ambitions, l'enfant de Mostaganem a perdu ses bourses universitaires et ses petites économies, fruits de son travail saisonnier. Il voulait décrocher le « jackpot » à tout prix. Son rêve était de poursuivre ses études universitaires à Paris. « Ma première demande remonte au mois de mars 2002. J'étais confiant quant à l'aboutissement de mon dossier. J'ai attendu plus de trois mois pour, au bout du compte, essuyer un refus sans aucune explication ». En effet, même les avis défavorables sont parfois sélectifs. Le consulat signifie une fin de non-recevoir, par écrit, à tel demandeur et ne le fait pas pour tel autre. Des refus motivés et d'autres demeurent incompréhensibles. Kada, comme tous les Algériens qui ont subi le même sort, se sentait blessé, humilié. Sa demande de visa d'étude étant refusée, il a sollicité, plusieurs fois, un visa touristique de court séjour. Comme les mêmes démarches aboutissent aux mêmes résultats, la réponse est encore une fois : niet ! Au fil des dossiers, ses rêves s'effondraient, l'un après l'autre. A l'heure actuelle, Kada a abandonné son projet de voyage. Pourtant, ce fut son unique planche de salut. Il voulait s'installer en France quels que soient les moyens et la procédure à suivre. Comme disait l'humoriste Mohamed Fellag, « donnez-moi un visa d'un jour et je vais me débrouiller une fois là-bas ! ». Le « risque migratoire » Ahcène, un jeune du même âge que Kada, devisait tranquillement avec ses compagnons d'un jour quand nous l'avons interrogé. Ce technicien en informatique habitant Tizi Ouzou a déposé, en l'espace d'une année, deux dossiers. Le premier est rejeté et le second reste sans réponse. Ahcène est venu s'enquérir de l'état de sa demande. « Quand on ne me répond pas, je considère que le verdict est en ma défaveur. D'ailleurs, je veux juste le confirmer », affirme-t-il avec une note d'indifférence. A côté de Ahcène, Djamel lit tranquillement son journal. Tout comme la plupart, il a un cauchemar à raconter : « Quand je dépose une demande de visa, j'ai l'impression que je joue au poker. En l'espace d'une année, j'ai déposé deux dossiers et j'ai essuyé deux refus. Du coup, j'ai perdu plus de 10 000 DA sans compter les frais de mes déplacements de Chlef à Alger », a-t-il souligné. La mort dans l'âme, Djamel est venu déposer son troisième dossier. « Avant de changer de direction, je vais tenter ma dernière chance », affirme-t-il. En fait, quels sont les (vrais) critères pour obtenir ce fameux visa ? Personne n'est en mesure de les connaître, du moins avec précision. A défaut de savoir ce que pensent les responsables des services consulaires français, contentons-nous de certaines probabilités. L'issue de la demande pourrait dépendre parfois de l'âge, du sexe et de la profession du postulant. Les jeunes candidats et les femmes célibataires, à des exceptions près, ne seraient souvent pas admis. Cette catégorie d'âge et de personnes, aux yeux des autorités consulaires, présenterait un « risque migratoire », autrement dit des « clandestins potentiels ». Les personnes trop âgées ne seraient pas également admises. On ne sait jamais, à cet âge, on risque de coûter cher à la France ! Le « flair » et « l'humeur » de l'agent chargé de traiter la demande devraient être pour quelque chose dans le résultat final. Ceci dit, le dossier présenté par le demandeur, aussi douteux soit-il, n'entraîne pas nécessairement un refus. En revanche, un dossier consistant ne garantit pas forcément un avis favorable. Ainsi, en plus des lenteurs et des retards dans le traitement des dossiers, on ressent un manque de transparence dans l'étude des demandes. Il est dès lors légitime que les Algériens ressentent cela comme un mépris à leur égard.