Ils sont inscrits sur les listes de la circonscription de Paris, Ahmed, Saïd, Kaci et bien d'autres sont concernés par le dispositif électoral aux côtés de 73 000 de leurs compatriotes pour la présidentielle du 9 avril prochain. Ils sont, à l'instar de beaucoup d'émigrés issus des première, deuxième ou troisième générations, confrontés aux nombreuses turpitudes d'une quotidienneté de plus en plus dure à vivre. Intégrés depuis bien longtemps, malgré eux, dans ce qui a constitué leur sphère sociale, ils ont, chacun à sa manière, maintenu des liens intenses avec leur pays et pu établir des passerelles. Entre eux d'abord, avec le pays d'accueil ensuite. Rencontré, au détour d'une virée dans le quartier populeux de Barbès, dans le XVIIIe arrondissement, Ahmed, la soixantaine, feuillette un journal à un kiosque. Il prend un à un les quotidiens de la presse algérienne, mis bien en évidence, juste à la sortie d'une bouche de métro, et passe en revue l'actualité sous le regard bienveillant et complice de son «ami», le propriétaire de ce commerce, chez lequel il s'informe sans avoir à débourser le moindre centime. L'activité est grouillante aux alentours, surtout à partir de 15 heures, heure à laquelle arrive la presse du jour. «Ils viennent de partout même de banlieue pour acheter des journaux algériens», lance le propriétaire du kiosque dans des propos à peine audibles, couverts par le brouhaha des vendeurs à la sauvette de cigarettes et autres objets de pacotille. Ahmed sait où il va voter. «Le bureau où je suis inscrit se trouve juste là», dit-il entre un clin d'oeil en direction de son «ami» et un regard intéressé sur un article, qui semble l'avoir bien accroché. La relation quasi-journalière qu'il entretient avec le paquet de journaux entreposés à l'entrée du kiosque le fait passer pour quelqu'un de «bien informé». Et il en donne la preuve : «Six candidats ont été retenus», dit-il, assuré d'avoir donné la bonne information. Juste à quelques mètres de là, Nacer, un jeune sans-papiers, vendeur de cigarettes, à la criée, qu'il propose à 3 euros le paquet, semble intéressé par cet échange de propos. Il tente une «réflexion» et croit savoir que «le vote est obligatoire». L'immixtion du jeune Nacer ne manquera pas de faire réagir Ahmed qui rectifie en le coupant net. «Il n'y a pas de oui ou de non pour cette fois-ci. Il y a, ajoute-t-il, un candidat à choisir parmi les six en lice». Poussé dans ses derniers retranchements, Nacer opine du chef et s'en va sillonner, comme il le fait depuis des mois, le long boulevard Magenta en continuant à proposer ses cigarettes aux passants, guettant le coup de sifflet d'Amine, Hakim ou Mourad, ses copains d'infortune, signifiant une descente policière lorsque les hommes en bleu se font visibles dans les rues de Barbès. Un peu plus haut, la mosquée Al Fath. Peu d'Algériens s' y rendent. Elle est fréquentée plutôt par des Maliens et autres Sénégalais, dit Fethi, jeune Tunisien qui vient d'accomplir la prière du Dohr. «Essayez de voir du côté de la mosquée de la rue Myra», à quelques pâtés de là, glisse Fethi à la question de savoir si des fidèles distribuent des prospectus sur les élections. La relation avec l'Algérie, bien au-delà des documents administratifs Saïd, est vendeur de chaussures à Paris où il est installé depuis plus de vingt ans. Il s'inquiète de ne pas recevoir son courrier pour les élections. Peut être a-t-il changé d'adresse et oublié de signaler la nouvelle au consulat ? «Non, rétorque-t-il, je viens de refaire mon passeport. Ils ont donc toutes mes coordonnées. Qu'a cela ne tienne, le scrutin se déroule sur six jours. Je trouverai un moment, entre le 4 et le 9 avril pour aller voter», s'empresse-t-il de répondre, affairé à satisfaire une clientèle, nombreuse dans ce quartier réputé pour pratiquer des prix accessibles aux petites bourses. Sa relation avec l'Algérie, il ne la conçoit pas seulement au travers de ses documents administratifs même s'il dit avoir, très jeune, connu les lieux du consulat. Il convoque sa mémoire pour évoquer des souvenirs éloignés dans le temps lorsque, jeune, il rendait visite à son oncle, alors fonctionnaire, «qui avait une bonne maîtrise de la langue française», dit-il avec un brin de fierté. Kaci, lui, est émigré de la deuxième génération. Restaurateur de son état, il est, depuis peu, au chômage. Il a rendez-vous avec le conseil des prud'hommes pour espérer des dédommagements car licencié sans préavis. «Les élections, je ne m'en occupe pas pour le moment. J'y penserai, une fois mes soucis réglés», confie-t-il. «J'irai m'inquiéter auprès du consulat, rue d'Argentine, dans le VIIIe arrondissement, locaux déjà occupés par les services consulaires, qui y reviennent après avoir été longtemps avenue Jaurès dans le XIXe», dit Kaci, comme pour prouver qu'il connaît les «dernières» du consulat. «Maisons Algérie», pour rester en contact avec le patrimoine national Des milliers comme Ahmed, Saïd, ou Kaci s'intéressent à ce qui se déroule dans leur pays et souhaitent, au-delà, d'une opération de vote, développer des relations fortes avec leur espace naturel, témoignent des responsables d'associations. Ils souhaitent avoir des cadres de rencontres, des «Maisons Algérie» pour demeurer en contact avec leur patrimoine. Ils espèrent une «meilleure» prise en charge de leurs préoccupations en plaidant pour de «nouveaux mécanismes, particulièrement en matière de rapatriement de corps et de transport pour se rendre au pays». Ils demandent que soient créées des annexes du Centre culturel algérien dans les différentes régions de France. Ils accueillent favorablement la création prochaine d'un conseil pour la communauté algérienne à l'étranger et se disent satisfaits du travail accompli par des responsables consulaires qui ont «tombé leur cravate pour aller au charbon». Conscients de la valeur ajoutée qu'ils peuvent apporter à leur pays, ils se disent «prêts» à mettre leur savoir-faire au «bénéfice de la dynamique économique de l'Algérie». «Les difficultés qu'ils rencontrent dans leur vie de tous les jours ne les ont pas détournés de leur attachement à leur pays». «Difficultés et sentiment de frustration nés du déséquilibre constaté par rapport aux autres communautés de moindre importance», expliquent des responsables d'associations. Ces difficultés sont vécues de manière plus aiguë par les sans-papiers «expulsés à tour de bras». «Et pour ajouter à leur drame, ils ne peuvent espérer une régularisation car exclus de la loi du 20 novembre 2007 qui permet de régulariser les travailleurs sur la base d'une présentation de fiche de paie ou de promesse d'embauche», notent ces responsables. Les Algériens en sont exclus car régis, pour la délivrance de permis de séjour, par l'accord de décembre 1968, précise-t-on. Pour les autres, indistinctement de la date de leur migration, «ils continuent, selon nombre d'associations, à faire l'objet d'incompréhension, de préjugés culturels et parfois d'exclusion, particulièrement ceux de la troisième génération, en quête de repères identitaires». «Ces générations d'émigrés veulent tout simplement être témoins des liens passés entre les deux pays et un pan qui compte ici et là-bas, peut être plus ici que là-bas parce qu'il s'agit, pour l'essentiel, ces dernières années, d'une migration de qualité au niveau intellectuel certain et une culture élevée», témoignent, enfin, des acteurs du mouvement associatif présent à Paris. APS