La chaîne de télévision Arte propose, pour le 5 mai prochain, une soirée entière consacrée à l'actrice. Lyon. De notre correspondant Très jeune, Isabelle Adjani se disait avoir la vocation d'être comédienne, elle qui se sentait possédée par les mots, par le beau langage. En même temps, elle se refuse depuis ses débuts à une définition du comédien comme mythe. Elle qui confie aujourd'hui que c'est un «métier qui peut mener à beaucoup de désarroi psychique», ceci lui a valu toutes les critiques et même un assaut de rumeurs dévastatrices. Voici, résumé hâtivement, le parcours d'Isabelle Adjani, dans un portrait qui seradiffusé prochainement sur la chaîne Arte. «Je voulais éviter l'écueil démagogique à la télévision qui consiste à s'adresser à tous pour être aimée de tous», dit-elle lucidement. «Surtout ne pas faire ‘‘ma vie mon œuvre'' en mode variétés, mais un bout de chemin avec moi-même». C'est réussi. Rarement vedette placée, malgré elle, sous les projecteurs de la célébrité, n'aura aussi finement montré sa force et ses faiblesses, son ombre et sa lumière, sans aucun voyeurisme. Le documentaire Isabelle Adjani, 2 ou 3 choses qu'on ne sait pas d'elle, est un de ces moments rares de télévision où la vérité apparaît soudainement sur un personnage qu'on croyait connaître. Depuis 40 ans, le visage toujours poupin de la star occupe, ou n'occupe pas, les écrans, au gré des choix esthétiques ou du vécu de la dame qui a donné ses heures de noblesse au cinéma français et mondial. Récemment, elle a décliné le rôle qu'elle avait précédemment accepté, dans le film qui va être tourné sur l'affaire de mœurs qui a entraîné dans sa chute l'ancien directeur du FMI, Dominique Strauss-Kahn. Elle devait y jouer le rôle de la journaliste Anne Sinclair, femme de l'ancien ministre. Cette décision, dont le documentaire ne parle pas, illustre bien le côté insaisissable d'Adjani. Mais que sait-on vraiment d'elle ? Qu'elle est une formidable comédienne qui a démarré de façon fulgurante au début des années ‘70, sans aucune formation, hormis son envie immodérée de jouer la comédie parce qu'elle avait ça dans la peau. Que son père, modeste, était d'origine algérienne et que sa mère venait d'Allemagne. De sa mère, à la fin du documentaire, elle exprime seulement le bonheur de l'accent lorsqu'elle lui parlait en français. Du père par contre, sur lequel elle s'est rarement exposée, elle dit des choses plus inexorables, avec la même tonalité de voix, à presque 58 ans, que celle qui était la sienne lorsqu'elle débutait au théâtre et au cinéma, en 1973, alors qu'Isabelle Yasmine avait 18 ans. Elle raconte la dureté paternelle lorsque, enfermée dans la salle de bain, seul «petit placard» où elle pouvait vivre son intimité, son père lui ordonnait de sortir : «Tu vas gâcher le miroir.» Et la comédienne de se confier sur sa beauté qui a traversé le temps : «Lorsqu'on me disait que j'étais belle, j'avais l'impression qu'on se moquait de moi.» Pourtant, c'est son caractère fonceur et ses yeux bleus qui lui valurent son premier rôle, alors qu'elle n'avait que 15 ans dans le film Le petit bougnat de Bernard Toblanc-Michel (1970). Elle avait plu au réalisateur, à cause de son regard azuré et elle avait dû se faire teindre en blonde par sa mère pour ce rôle où, déjà, elle explosait de vivacité. L'autre chose sur laquelle on est saisis d'émotion est le tournage du film Camille Claudel, avec son compagnon d'alors, Bruno Nuytten. Elle l'avait convaincu, lui qui était directeur de la photo, de se lancer avec elle dans la réalisation de ce film qu'elle produisait. Elle avait besoin de raconter la folie de l'artiste sculptrice, amante du sculpteur Rodin, qui finit enfermée à l'hôpital psychiatrique. Adjani en sortit revigorée, plus forte, alors que les années ‘80 furent pour elle très éprouvantes. D'abord avec cette rumeur la disant atteinte du sida et même morte. Elle vint à la télévision pour démentir. Avec le recul du temps, elle se rappelle que rien ne doit rien au hasard, en tout cas, elle place sur ce malaise des mots justes, fruits aussi de son introspection, doublée d'une psychanalyse. Elle se souvient qu'elle avait pris position contre le Front national qui prenait alors de l'importance sur le champ politique Elle avait surtout dévoilé qu'elle était née d'un père algérien et que cela comptait pour elle : «Je parlais pour la première fois de l'algérianité de mon père, qui était naturalisé français, mais je faisais valoir des racines, et cela avait provoqué une certaine surprise, car tout d'un coup, je n'étais plus un produit entièrement franco-français, il y avait cette notion de corps étranger, comme ça qui venait, comme le virus du sida, infecter un corps sain dans son identité, française. J'ai vécu pendant des mois du délire des autres.» A un journaliste qui lui demandait il y a quelques années ce qu'est l'insupportable, elle répondait : «C'est tout ce qui nuit à vous laisser vivre avec le sentiment d'être en vie.» C'est ce sentiment qui la pousse aujourd'hui encore à s'inscrire en faux contre le slogan «the show must go on» (le spectacle doit continuer). Pour elle, d'autres paramètres entrent en ligne, et d'abord celui de l'envie, et celui de l'impossibilité, parce que la vie n'est pas une comédie. Ainsi, elle continue, comme elle le dit si joliment, de se méfier du «concile de prédicateurs». * A voir sur Arte, dimanche 5 mai, à 19 h 50 (heure algérienne) : rediffusion du film «La journée de la jupe» et, à 21 h 10, documentaire «Isabelle Adjani, 2 ou 3 choses qu'on ne sait pas d'elle» (inédit) de Franck Dalmat, interview par Julien Collet-Vlaneck et musique de Barnabé Nuytten, fils d'Adjani.