Expert industriel et président de l'Association des chefs d'entreprise de la wilaya de Tlemcen (ACET), Lotfli Halfaoui revient dans cet entretien sur le programme de réalisation de nouveaux parcs industriels. Un programme qu'il juge insuffisant pour résorber la demande en assiettes foncières et pour créer de l'emploi. Selon l'expert, il faudrait au minimum 12 000 m2 par an en parc industriel et tertiaire pour permettre la résorption partielle des nouveaux demandeurs d'emploi, et le stock de projets en instance. - La demande en foncier industriel est de plus en plus importante, mais l'offre reste restreinte et inadaptée aux normes modernes. Pourquoi ce retard à votre avis ?
L'explication est toute simple, parce que la volonté politique était absente. Pour réaliser un million de logements on a su trouver les assiettes foncières, mais pour développer l'économie productive nationale, les gouvernements successifs n'ont pas répondu aux attentes et vœux des investisseurs publics et privés en mettant à la disposition des parcs industriels disposant des commodités nécessaires à même de booster la création de milliers d'emplois pérennes. Actuellement l'environnement d'affaires est exécrable, dénoncé et connu par toute la sphère économique et malgré tout cela, les opérateurs privés ambitionnent d'investir dans l'industrie et le tertiaire. Beaucoup est fait mais cela reste insuffisant. Notre ministre de l'Industrie, de la PME et de la Promotion de l'investissement est conscient des défis qualifiés de «Renaissance de l'industrie» de «construction de l'immunité économique », d'exigence de «thérapie de choc», mais le rythme impulsé à «cette révolution industrielle» n'est pas à la hauteur des espérances. Hélas, ce n'est pas la quarantaine de zones industrielles de modestes surfaces qui vont changer les choses. Pour ce qui est de l'inadaptation de ces zones aux normes modernes et s'agissant des zones existantes, anciennes, tous les pays au monde ont eu affaire à ce problème. Leur mise à niveau doit être du ressort des gestionnaires EPIC, c'est-à-dire de l'état. Il appartient à la puissance publique de financer tous les facteurs essentiels à une bonne marche des industries au sein de ces parcs, notamment les équipements hors site, comme l'électricité, le gaz, l'eau, le téléphone. Il n'est pas raisonnable, de vouloir faire participer financièrement les entreprises à ce que nous pouvons appeler «un naufrage de gestion» pour réhabiliter ces parcs. C'est une initiative qui va à l'encontre des objectifs visés par le plan d'industrialisation. Il appartiendra aux institutions, aussi, de déloger les indus occupants, et de recentrer les activités purement industrielles dans ces zones. Par contre, il appartiendra aux usagers de ces parcs existants, de participer à des investissements collectifs, si le besoin était exprimé en matière de restauration, de services bancaires, autres services administratifs, ateliers de maintenance, business centers, stations services, etc. Pour les nouveaux parcs industriels, par contre, il faudrait discerner entre un parc industriel, un parc d'activités tertiaires, un parc dédié exclusivement à l'exportation, une technopole, une zone franche, un parc d'affaires. Chaque aire aménagée a ses particularités, ses opérateurs spécifiques, des besoins différents, et, bien entendu, une conception adaptée. - Pensez-vous que toutes les conditions sont assurées pour réaliser le programme de l'Aniref ?
Nous devons industrialiser tout un pays, pour offrir un emploi à notre jeunesse qui arrive par vagues de 400 000 prétendants sur le marché du travail chaque année. Ce n'est évidemment pas avec un tel programme que nous allons réussir l'adéquation formation-emplois. Il faudrait 100 fois plus de zones industrielles pour résorber le stock de projets d'investissement en instance. L'Ile de France, par exemple, dispose de plus de 1 200 zones d'activités conséquentes totalisant plus de 20 000 hectares. Malgré ce niveau de disponibilité jamais atteint depuis plus de 25 ans, et ce dans un contexte de quasi stagnation du PIB de la région, 20 à 25 zones d'activités se créent chaque année. Au Maroc plus d'une soixantaine de zones industrielles, totalisant plus de 12 300 lots. En Tunisie, il existe environ 122 zones industrielles pour une superficie de 4 000 hectares. Donc, le programme est une bouffée d'oxygène, mais ne répondra pas au défi que notre pays doit relever. - Ce programme sera-t-il au rendez-vous annoncé selon vous ?
Il me semble que les institutions n'ont pas pris la mesure de tout ce qu'il faudrait faire. Nous sommes face à un scénario de «sursaut» à mettre en œuvre et ce qui est prévu n'est point représentatif. La création d'emplois directs attendue au sein et autour de ces zones aménagées est de 150 à 285 emplois par hectare. En Algérie, il nous faudrait au minimum 12 000 m² par an en parc industriel et tertiaire pour permettre la résorption partielle des nouveaux demandeurs d'emplois, sans compter le stock de projets en instance d'assiettes foncières qui peut s'évaluer à plusieurs milliers d'hectares au nord du pays. Il me semble que le programme n'a pas réuni les conditions de succès de sa réalisation, si l'objectif qui lui est assigné est de satisfaire la demande en foncier des promoteurs. D'autre part, l'acte d'investir est conditionné par des mesures d'encouragement de l'Etat. Beaucoup a été fait dans ce sens, mais pas assez pour faciliter l'entrepreneuriat. Les coûts d'aménagement et de viabilisation des nouveaux parcs budgétisés en Algérie par l'Aniref représentent à peu près neuf millions de dinars par hectare. Ce coût est de cinq à six millions de dinars l'hectare au Maroc pour des infrastructures totalement prêtes avec toutes les commodités voulues, dans des espaces agréables et respectueux de l'environnement. Le Maroc dispose d'un stock de 4000 à 5000 lots en permanence disponibles pour de futurs promoteurs. Il y a, aussi, tout l'environnement d'affaires en amont à assainir (pour amener plus de promoteurs à investir, c'est-à-dire à prendre des risques calculés afin de créer le plus d'emplois et substituer les importations à une production locale de qualité. Il me semble que bien qu'encourageant, l'effort de mettre à disposition des zones aménagées labellisées au rythme actuel n'est pas suffisant. Cela veut dire que nous allons droit vers une accumulation des retards dans l'industrialisation de notre économie qui induira malheureusement une accumulation du chômage des jeunes à l'avenir.
- Quel modèle de gestion faudrait-il suivre pour les futures installations ?
Actuellement, les plate-formes industrielles intégrées sont les plus recherchées. La plate-forme de Tlelat (Oran) dédiée à la construction automobile, avec comme partenaire Renault, sera une excellente occasion pilote à même de drainer un tissu de sous-traitants nationaux et internationaux de renom. La gestion d'une zone d'activités induit une réflexion pluridisciplinaire intégrant les paramètres économiques, techniques, immatériels, matériels, dans l'espace et le temps. Le management de ces plate-formes doit inciter les promoteurs à développer leur démarche économique, sociale et environnementale. L'accueil et l'accompagnement par les gestionnaires de ces plate-formes doit anticiper des besoins et services pour favoriser la croissance et le fonctionnement des entreprises et faciliter l'implantation de nouvelles activités, améliorer la qualité de vie et trouver des solutions collectives aux différents besoins des usagers du parc : crèche, restauration, transport, sport, gestion des déchets, pépinières d'entreprises, ateliers relais, incubateurs, salles de réunion, services d'extinction d'incendie, gardiennage, service postal, restauration, hôtellerie, installations sportives et culturelles,… La gestion de ces services permettra de fédérer les entreprises, de développer des complémentarités entre elles et d'initier leur implication. - Quelles sont, selon vous, les leçons à retenir des différents accidents qui se sont produits ces dernières années dans certaines installations industrielles ?
Les installations industrielles, malgré une panoplie de textes réglementant les mesures de sécurité et de sûreté à prendre, génèrent encore des sinistres de grande ampleur. Il y a encore beaucoup à faire au niveau institutionnel, où le manque d'une entité centralisée forte de gestion des risques industriels et divers, dotée de pouvoir de contrôle se fait sentir. Cette segmentation de prérogatives entre divers ministères nuit à une baisse conséquente des sinistres. Il n'est pas normal, par exemple, que les assurances ne s'impliquent pas davantage dans la sensibilisation et l'évaluation des risques industriels, se contentant, pour les établissements classés, d'une «visite de risques» assez sommaire, bien loin des exigences d'étude et d'utilisation d'outils de simulation de sinistres. Bien entendu, la formation en matière de maîtrise des risques reste incontournable. Nous nous attelons à lancer dans les prochaines semaines notre institut d'hygiène sécurité et environnement, qui offrira une panoplie de formations à même de répondre à ce manque de compétences.I l faudra aussi soutenir la réalisation des études de danger de standard international en Algérie, les plans d'intervention interne (PII) initiés par le MIPMEPI et activer l'exigence du Plan particulier d'intervention spécifique aux parcs industriels.