Manifestement choqué par tout ce qui a été dit et écrit durant son séjour médical à l'hôpital Val-de-Grâce, Bouteflika a affiché hier, à son retour à Alger, cette mine catastrophique des mauvais jours. Pour longtemps, il ne faudra pas trop compter sur lui pour chanter les louanges de « l'amitié retrouvée » entre l'Algérie et la France. Il y avait pourtant bien cru, et longtemps, pensant qu'il lui suffisait pour cela d'entretenir de bonnes relations avec le président français. Un optimisme débordant au point de négliger la réalité qu'en France, un chef d'Etat, aussi puissant soit-il, est bien impuissant lorsqu'il s'agit de remuer l'histoire et la mémoire. Le pardon de l'Etat français aux juifs n'a été possible qu'un demi-siècle après, une fois réunies toutes les conditions politiques et psychologiques. Jacques Chirac a franchi le pas sans que nul n'ait à redire. La même démarche s'est avérée impossible avec l'Algérie. Peut-être qu'il n'y a pas eu chez le président français un trop grand enthousiasme pour ce dessein. Mais il faut dire qu'il a eu sur ce dossier à affronter d'incroyables résistances tant au sein de la société que de la classe politique. Sa propre famille politique a voté la loi sur le « rôle positif de la colonisation » et son ministre des Affaires étrangères - un des inspirateurs de cette loi scélérate - ne s'est pas gêné d'alimenter le discours des nostalgiques de l'Algérie française quitte à torpiller définitivement le projet de « traité d'amitié algéro-français » qui tient pourtant à cœur à son propre président. La question de la colonisation a brouillé les esprits, fait bouillir les passions et servi d'enjeu électoral. Si, par rapport à la droite, la gauche française a tenté de conserver une certaine mesure, elle n'a pas été porteuse d'un projet historique de rejet du passé colonial français et de repentance à l'égard des anciens colonisés. L'intelligentsia elle-même n'est pas arrivée à briser le consensus national sur « la bonne colonisation française ». Car il y a réellement consensus, les Français depuis plus d'un demi-siècle soumis au matraquage d'une seule pensée unique, celle de la glorification de la politique de la canonnière présentée comme civilisatrice : accès aux archives interdit, documents d'histoire distribués au compte-gouttes, programmes d'histoire orientés, chape de plomb des médias, tabous sur les méfaits de l'armée d'occupation, silence sur la torture et les exécutions sommaires et expéditives, etc., autant de leviers utilisés par les différents pouvoirs politiques français pour conditionner et manipuler leur propre opinion publique. En dehors d'une élite éclairée, celle-ci reste passive. Quand bien même elle chercherait à réagir, elle est privée des instruments de riposte. Les défenseurs de l'ordre colonial ont pris une sérieuse avance.