Après les difficultés de la Compagnie nationale algérienne de navigation (CNAN) obligée présentement d'affréter des navires au prix fort pour se maintenir en vie, c'est au tour de l'Entreprise de réparation navale (Erenav) de faire l'objet d'une gestion douteuse. Le secteur maritime traverse une grave crise, en raison d'une gestion très controversée des différentes entités nationales qui constituaient les fleurons du transport maritime de marchandises, mais également de la réparation de la flotte. Lors d'une assemblée générale du conseil d'administration, tenue le 25 mai dernier, en absence du PDG, faisant état du recours au gré à gré dans l'octroi du marché de développement de l'Erenav, à un chantier italien, pour un montant de 24 milliards de dinars. Pourtant quelques années plus tôt, des discussions très avancées ont eu lieu entre l'entreprise et des chantiers spécialisés, notamment allemands, dont des représentants ont séjourné plus de quatre mois en Algérie, pour passer au peigne fin les points forts et faibles de l'Erenav et de se projeter dans une formule de partenariat qui l'aiderait à reprendre sa place de leader en matière de construction navale. A la surprise générale, la Société de gestion des portefeuilles de l'Etat (SGP) Gestramar, qui détient le portefeuille de l'Erenav, a décidé tout simplement d'octroyer le marché aux Italiens suscitant de lourdes interrogations et des inquiétudes, d'autant que l'entreprise traverse depuis quelques mois ses moments les plus difficiles, après avoir connu une période de relance d'activité. En effet, selon certains de ses cadres, «l'Erenav était sur le point de reprendre sa place sur le marché national, eu égard aux énormes progrès réalisés par une équipe de jeunes managers pour la faire sortir de la mise en faillite dans laquelle elle était en 2002. Il est important de signaler que le redressement de son développement a été réalisé en autofinancement sur fonds propres, sans aucun crédit bancaire et sans aucune aide de l'Etat (…). Des progrès qui ont été compromis par les décisions surprenantes de mise de fin de fonctions du PDG et de son adjoint, qui ont eu pour conséquence le départ de plusieurs autres cadres dirigeants, privant l'entreprise de sa matière grise. Depuis le début de l'année en cours, l'entreprise connaît une véritable chute libre». Selon nos sources, l'ancien PDG a été relevé de ses fonctions «alors que son bilan était positif». Certains de nos interlocuteurs n'hésitent pas à faire le parallèle avec la démission de l'ancien président de Gestramar, M. Regainia, en raison des lourdes pressions qu'il subissait de la part de sa hiérarchie lors de la gestion du contentieux avec le Saoudien Ghait Pharaon, qui avait obtenu en 2009 la filiale IBC de la CNAN, avec ses neuf navires. Avec quelques avocats et l'ancienne PDG de CNAN Group, le président de Gestramar, aidé par M. Aouabed, un des meilleurs cadres du secteur, avait réussi à gagner le procès intenté par Pharaon auprès du tribunal maritime de Londres pour obliger CNAN-Nord à payer des factures suspectes. Mais contre toute attente, dès la démission de Regainia, sa remplaçante a licencié M. Aouabed, dont elle connaissait les compétences, puis mis fin aux fonctions de la présidente de CNAN-Group. M. Aouabed sera rapidement repris par le PDG de l'Erenav, eu égard à ses capacités professionnelles. La décision n'a pas été sans réaction. Quelque temps plus tard, le PDG de l'Erenav a été remercié avant que M. Aouabed, dont le seul crime est d'avoir été un élément-clé dans le dossier d'arbitrage contre Pharaon, ne subisse le même sort. Durant cette même période, CNAN Group est déboutée de la manière la plus contestable par la Chambre de commerce internationale (CCI) de Paris, saisie par Pharaon. Des navires vendus à des prix dérisoires La facilité avec laquelle ce dernier a gagné son procès laisse croire que quelque part, en Algérie, il y avait une volonté de l'aider. Parallèlement, CNAN-Nord, la seule filiale avec un portefeuille étatique, connaît elle aussi un désastre. Juste après le passage de l'Inspection générale des finances (IGF) en 2012, dont le rapport a fait état de graves anomalies de gestion, le tout nouveau PDG avait lancé une opération de remise en route de la filiale dotée de quatre navires. Il exige un audit plus approfondi et met en place des mécanismes de contrôle, notamment des recettes à l'étranger, dont une grande partie a été recouverte. Ses actions vont être renforcées avec la recapitalisation de la filiale, d'un montant d'un milliard de dinars. Bizarrement, il connaîtra le même sort que celui des dirigeants de l'Erenav et de CNAN Group. Sans aucun grief professionnel et sans aucun bilan, le PDG est remercié. Depuis son départ, la situation va de mal en pis. Le Conseil de participation de l'Etat (CPE) a décidé de mettre en cession ses quatre navires alors qu'ils pouvaient être rénovés par l'Erenav, et continuer à naviguer. Mieux, la filiale a déjà puisé 50% de l'enveloppe de capitalisation pour affréter des navires à des prix assez élevés. L'Enita, qui est un navire connu pour sa consommation assez importante de combustible, a été affrété pour une durée de 3 mois, à raison de 6300 euros par jour. Le hic dans cette opération, c'est qu'il n'a pas été remis au port de débarquement comme le stipule la charte partie, mais plutôt à celui d'embarquement, à Anvers, avec tous les frais que cela suppose. L'ardoise laissée par ce navire est colossale. Mais la filiale a entrepris une autre opération d'affrètement pour une période de trois mois, du navire Skalva pour un montant de 4950 euros par jour, auprès du même courtier, auprès duquel l'Enita a été affrété. Français d'origine, ce dernier (courtier) rafle la majorité des opérations d'affrètement de CNAN-Nord et du CNAN Group. Il faut signaler que le Skalva a le même âge que les navires de CNAN-Nord ayant fait l'objet d'une résolution de cession adoptée par le CPE sur la base d'un rapport élaboré par Gestramar. Tout le monde sait également que parmi les nombreux navires de la CNAN, ayant été vendus à des prix dérisoires en raison, dit-on, de leur âge, continuent à sillonner les mers et les océans sans aucun problème. Comment peut-on expliquer cette logique qui veut que l'on enterre le pavillon national et la mise chômage des compétences formées au prix fort pour confier un secteur aussi névralgique que le transport maritime de marchandises à des étrangers ? Il est désolant de constater qu'après avoir pris part aux 46 éditions de la Foire internationale d'Alger, la CNAN a marqué son absence cette année des stands de la Safex. Elle a été remplacée par la filiale CNAN-Med, détenue majoritairement par un Italien. Une piètre image pour ce fleuron du transport maritime.