Depuis quelques jours, sa présence dans l'espace médiatique est considérée comme un peu trop envahissante, au point que certains dans les milieux politiques et diplomatiques pensent que s'il s'est avisé de s'exprimer de manière aussi pointue, surtout depuis la maladie de Bouteflika, pour mettre à nu le régime actuel et ceux qui nous gouvernent, c'est qu'il a été bel et bien chargé d'une mission précise. Lui, c'est Chafik Mesbah, ancien colonel des services à la retraite, qui passe aujourd'hui pour être l'analyste de référence qui veut faire autorité pour discréditer et rendre lisibles avec force arguments les graves dérives de la gouvernance boutéflikienne, mais qui se défend de vouloir, par ses pertinentes interventions dans la presse écrite, entrer dans le jeu d'un quelconque clan du pouvoir, radicalement opposé à celui qui sévit à partir d'El Mouradia. Il se plaît d'ailleurs à répéter qu'il n'a été mandaté par personne et que sa seule ambition est d'éclairer l'opinion de son pays. Une profession de foi qui, si elle ne manque pas de sincérité de la part de son auteur, a quand même du mal à passer, compte tenu des idées-programmes véhiculées par ses commentaires trempés dans de l'acide qui n'ont souvent pas besoin d'être décodées pour comprendre les messages. Mais bon… à l'heure où les grandes manœuvres ont déjà commencé pour finaliser le (ou les) scénario(s) de substitution le plus probant à l'épreuve de vérité qui nous attend au tournant, on est bien obligés de faire face à la reculade manifeste de la sphère officielle qui nous plonge dans l'incertitude la plus totale. Mesbah qui, donc, comble un vide en s'imposant comme une interface incontournable pour démêler l'écheveau d'une perspective plutôt ombrageuse, n'est en fait pas un inconnu du grand public tombé du ciel. L'ex-agent des services de renseignements, qui est devenu par la force des choses un redoutable politologue, connaît parfaitement de l'intérieur le fonctionnement de l'establishment politico-militaire mis ces derniers jours à rude contribution pour penser et éventuellement préparer dans la plus grande opacité la succession du Président convalescent, dont on dit qu'il ne pourrait, en raison de son état de santé, terminer son troisième mandat. Si on lui reconnaît une fidélité incontestable à ses convictions politiques qui ont maintenu le cap malgré des conjonctures difficiles — il a toujours été très critique envers le système et les dirigeants qui l'entretiennent — la virulence de ses propos pour décrire l'état d'incurie laissé par le clan Bouteflika a de quoi surprendre pour quelqu'un qui nous a habitués à plus de mesure et de condescendance dans ses analyses. En effet, Mesbah ne prend aucun gant pour rendre l'actuel Président et sa fratrie responsables de la situation économique et sociale déplorable dans laquelle se trouve l'Algérie malgré ses richesses et son potentiel humain. Au forum de Liberté, il a été très offensif quant aux critiques adressées au locataire d'El Mouradia, notamment concernant la prolifération des affaires de corruption, entre autres, celle dans laquelle est impliqué directement Chakib Khellil. Il parle aussi des agissements de Saïd Bouteflika qui ont fini par exaspérer les officiers du DRS. Un «vice-roi», selon lui, qui, pour arriver à ses fins, est capable de mener une politique de la terre brûlée et provoquer une effusion de sang. En somme, un personnage dangereux qui a les pleins pouvoirs, profitant sans scrupules de la maladie de son frère en 2005. Bouteflika était au courant de tout, dit-il, le DRS l'informait de tout ce qui se passait d'anormal dans le pays. Mais peine perdue… les prédateurs ne sont jamais inquiétés, bien au contraire. «Le Président a laissé faire les prédateurs qui foisonnent à l'intérieur comme à l'extérieur du système», affirme-t-il. Que faut-il comprendre à travers ces attaques d'une violence inouïe, sinon que le cycle Bouteflika est vraiment arrivé à terme pour envisager aujourd'hui une autre projection pour le pays ? Si le politologue s'est acharné à démontrer que l'échec du Président convalescent dans tous les domaines de la vie publique est patent, c'est pour mieux préparer l'opinion à passer à autre chose, mais dans un esprit qu'il espère pacifique. Pour cela, il revient toujours avec une certaine insistance sur le rôle qu'a encore à jouer l'armée pour remettre le pays sur pieds. Les observateurs avertis retiendront ainsi que l'armée, qu'on croyait à jamais retournée dans les casernes pour ne plus s'occuper de politique, sera plus que jamais présente dans le processus de «réhabilitation» du pays qui passe forcément par une reprise en main musclée des affaires de gestion et d'administration. La spécificité de la démocratisation de la société algérienne est ici évoquée en pointillé à travers les schémas éculés auxquels on fait référence et qui nous ramènent toujours en arrière. Le fait, par exemple, que d'une part ce sont toujours «les décideurs» qui pensent à l'avenir constitutionnel et institutionnel de l'Algérie, et que, d'autre part, ce sont ces mêmes décideurs qui interviennent sur le choix de l'homme (providentiel comme toujours) qui convient à la situation sans consulter la grande masse des Algériens, prouve qu'au lieu de nous projeter vers les rives d'un vrai changement de régime (ou de système), salutaire et indispensable, compte tenu de la forte dégradation du pays, la maladie du Président, au contraire, semble vouloir renvoyer nos espérances aux calendes grecques. Lorsqu'on pense ramener un Zeroual au pouvoir sous prétexte du devoir national, alors qu'il correspond au profil du consensus dit démocratique qui arrange avant tout les décideurs en képi, on est enclins à croire que notre pays n'est pas encore prêt pour sortir du pétrin. Pour Mesbah, miser sur l'armée est sûrement la meilleure voie à suivre face au vide sidéral politique que nous vivons, mais la question est de savoir si celle-ci avec son élite est en mesure d'assumer ces lourdes responsabilités. On espère simplement que les thèses prospectives du politologue ne relèvent pas de la fiction.