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Mohamed-Chafik Mesbah au forum de “Liberté"
“Le DRS avait prévenu Bouteflika"
Publié dans Liberté le 04 - 06 - 2013

“L'Etat algérien présente de graves signes de défaillance. Je suis inquiet pour mon pays, sa cohésion, son intégrité et son existence même." D'après Chafik Mesbah, l'état d'esprit qui prévaut au DRS est à l'exaspération contre l'actuel mode de gouvernance.
Les affaires de corruption, les activités délictueuses imputées à Chakib Khelil et les agissements de Saïd Bouteflika ont fini, semble-t-il, par faire sortir de leurs gonds les officiers de l'ex-sécurité militaire. “Il n'y a pas un acte répréhensible commis par l'ancien ministre de l'Energie et des Mines ou même de son entourage qui n'ait pas été communiqué à la présidence de la République par les services du DRS. Au début, Bouteflika convoquait le ministre pour lui faire des remontrances. Mais depuis sa maladie en 2005, les choses ont évolué et c'est son frère Saïd et Réda Hemche qui ont pris les choses en main." En outre, d'après Chafik Mesbah, les procédures judiciaires concernant Chakib Khelil et consorts ont été longtemps mises sous le coude de l'ancien ministre de la Justice, Tayeb Belaïz, qui recevait, à cet effet, “des instructions express". Par ailleurs, pour Chafik Mesbah, le choix porté sur ce même Belaïz à la tête du Conseil constitutionnel n'est certainement pas fortuit. “On peut reprocher à Bouteflika son manque d'aptitude en matière de stratégie, mais c'est un tacticien redoutable." Selon l'ancien officier du DRS, Bouteflika aurait voulu, là aussi, tout prévoir. Mais pour l'invité du Forum de Liberté, les hommes en kaki n'avaient plus aucune alternative. Avec une corruption tournant à plein régime, le mal s'est vite étendu à l'ensemble du pays. Qui oserait encore prétendre, en effet, à la suite de ces affaires, que pour réussir dans ce pays, il faille des efforts et des qualités intrinsèques ? Qui se soucie encore de la chose publique ? De l'intérêt national ? Qui a encore le goût de l'effort ? Quoi qu'il en soit, pour Chafik Mesbah, ces affaires de corruption rendent tristes les Algériens et viennent détruire leurs dernières espérances. “L'Algérie vit un moment critique. Je souhaite un dénouement pacifique pour le plus grand bien du pays." Devant le vide politique, l'armée et les services de renseignement sont, selon lui, incontournables. D'après lui, l'armée devra à son corps défendant se mêler, une fois encore, de politique. “De nombreux chefs militaires actuels ont mené une carrière exemplaire et disposent d'un niveau d'instruction appréciable. La plupart ne veulent pas céder aux démons de la politique. Très à l'écoute de la population, ils ont compris que l'ère des coups d'Etat est désormais révolue." Il reconnaît que sous l'ère de Bouteflika, l'armée a connu une certaine évolution, notamment par le rajeunissement de ses cadres et un découplage de l'état-major avec le DRS qui, selon Mesbah, n'a plus qu'un “rôle résiduel". Il rappelle, néanmoins, que l'Armée algérienne a dans ses rangs quatre hauts gradés dont l'âge suscite l'hilarité, notamment dans les chancelleries. D'après certaines sources, l'Armée algérienne se distinguerait par cette singularité de compter dans ses troupes “le plus vieux soldat au monde". Une situation qu'on ne retrouve ni en Chine ni même en Corée du Nord. L'Algérie, un grand pays de miracles et de superlatifs. “La biologie va faire son œuvre", souligne-t-il toutefois.
Toufik, un homme honnête
Interrogé, par ailleurs, sur l'énigmatique chef du DRS, en l'occurrence Mohamed Mediène, dit “Toufik", Chafik Mesbah estime que lui aussi partira un jour. “Il a été longtemps mon chef. Je me suis souvent opposé à lui mais je n'ai jamais eu à le prendre à défaut sur son intégrité. Il est d'ailleurs très exigeant vis-à-vis des membres de sa famille au sujet de cette question." Il souhaite, ainsi, que son ancien chef quitte le pouvoir par la grande porte, à l'image d'un Youri Andropov, ancien patron du KGB qui sera plus tard à l'origine de la “perestroïka". S'agissant de ses démêlés avec son ancien chef et sa démission des services, il révélera que le DRS perçoit davantage l'intellectuel comme un “auxiliaire" et non pas comme un “partenaire". C'est sur ce point précis de “l'apport des élites nationales" qu'il était en désaccord avec Toufik. “J'étais plus ambitieux et plus audacieux que lui dans ce domaine. Il m'a certes reproché d'être ingérable, mais il n'a jamais porté de jugement négatif sur moi." Concernant le bilan de Bouteflika, Chafik Mesbah adressera plusieurs mises au point. D'abord, pour lui, on ne peut pas inscrire l'accalmie sur le front sécuritaire sur le compte du président Bouteflika. “Il a hérité d'une situation dont les ressorts ont été dessinés bien avant lui par le corps des services de sécurité et les Patriotes qui en ont payé le prix." Il rappellera que depuis l'arrivée de Bouteflika, “l'appareil de l'Etat évolue dans une société virtuelle". Le taux d'abstention est, selon lui, un très bon indicateur de cette situation de fait. Les Algériens boudent les urnes. Ils ne votent plus, par lassitude ou par dépit, sûrs que le scrutin serait truqué à l'avantage des tenants du pouvoir et des coalitions de l'argent sale, la fameuse “chkara" dont on n'avait jamais entendu parler jusqu'à alors. Les élections, quand il y en a, ne servent finalement qu'à consacrer, sous des étiquettes politiques variées des “notabilités" qui n'en ont jamais espéré tant. “La moyenne de participation aux différents scrutins ne dépasse guère 20%. Non seulement, c'est dramatique mais cela pose un grave problème de légitimité !" martèle-t-il. “Par ailleurs, comment se fait-il que le Mali voisin soit à feu et à sang et l'Algérie absente ?" s'interroge ChafiK Mesbah, tout en suggérant la réponse : “Sur le plan diplomatique, depuis 1999, le vrai ministre des Affaires étrangères est monsieur Abdelaziz Bouteflika lui-même." Il semble qu'après avoir dépouillé nombre d'institutions de leurs prérogatives qu'il s'est attribué, le bilan de l'actuel locataire d'El-Mouradia sera encore plus lourd. L'orateur évoque notamment à ce sujet une véritable débâcle de la diplomatie algérienne qui fonctionne aujourd'hui, selon lui, comme un appareil administratif. “J'ai parmi mes amis des diplomates chevronnés mais je sais malheureusement qu'ils ont les mains liées." Certains considèrent, ainsi, que l'actuel Président algérien aurait mis le pays sous tutelle de puissances étrangères et d'avoir même poussé dans le sens de la destruction de l'Etat. Il serait ainsi à l'origine de tant de reniements que l'on ne sait plus quelle cause il sert en réalité. Cette situation qui fait que l'Algérie, impuissante, n'arrive plus à faire valoir ses positions sur des processus qui se déroulent à ses frontières est tout à fait inédite. “Boumediene était, certes, autoritaire mais, en son temps, il y avait un consensus. Lui, il n'aurait jamais été pris au dépourvu par la crise libyenne ou malienne. Le président défunt adoptait toujours une position conforme aux intérêts du pays." Sur le plan économique, il évoque d'emblée l'indigence managériale de nos dirigeants. “Malgré l'embellie financière due à la manne énergétique, le choix des projets s'est opéré de manière administrative. Les plans de relance ne sont exécutés qu'à un taux de réalisation d'à peine 40%. Nos ressources financières ont, ainsi, été dépensées en pure perte. Les sismologues estiment qu'un tremblement de terre de 5 ou de 6 degrés sur l'échelle de Richter pourrait tout faire tomber. La distribution anarchique de la rente n'est donc pas adossée à une logique économique." Chafik Mesbah évoque également une régression sociale : “L'illusion de progrès social due en partie au salariat pluriel est battue en brèche par des manifestations récurrentes et les actes d'immolation qui ne font pas bouger les pouvoirs publics. C'est révoltant !" Au-delà de ce constat désastreux, pour l'orateur, l'Algérie a les potentialités économiques et les ressources humaines nécessaires pour s'arrimer au monde moderne.
“Un danger nommé Saïd Bouteflika"
À en croire l'ex-colonel des services algériens, le spectacle qu'offre le pays n'a rien d'amusant et il faut vite refermer cette parenthèse. Mais par quel modus-operandi ? Chafik Mesbah reconnaît que compte tenu du champ politique fermé et de la gouvernance passée, il est quasiment impossible d'organiser, à l'heure actuelle, un scrutin transparent. D'après lui, l'entourage du Président va sûrement vouloir contrarier ce processus. “Saïd Bouteflika va vouloir interférer avec la candidature éventuelle de Sellal. Pour arriver à ses fins, il pourra faire appel à ses baltaguias économiques et mener une politique de terre brûlée. Il est capable, d'après moi, de provoquer une effusion de sang." Une accusation très grave qui fait craindre le pire. Il rappellera, dans cet ordre d'idées, que l'actuel Premier ministre, Abdelmalek Sellal, avait été ramené par le cercle présidentiel dans l'hypothèse d'un 4e mandat pour Bouteflika. “S'il était en pleine possession de ses moyens, Bouteflika, beaucoup plus politique que son frère cadet, aurait opté très certainement pour Belkhadem. Mais aujourd'hui : Dieu en a voulu autrement." Quant à l'état de santé de Bouteflika qui relève, selon lui, du secret médical et de son intimité, “l'affaire est entendue : avec tout le respect que je dois à la personne et mon souhait qu'il guérisse, tout le monde s'accorde à dire — et notamment en France — que l'actuel Président algérien n'est plus en mesure de reprendre ses fonctions".
Bouteflika ne reprendra pas ses fonctions
En effet, d'après les échos qui parviennent de Paris, “des informations crédibles et qui résument l'état d'esprit des autorités françaises suggèrent que la convalescence de Bouteflika va demander un bon bout de temps". D'ailleurs, Chafik Mesbah perçoit dans les récents propos du président français, François Hollande, “beaucoup de gêne". “D'un côté, ils ne veulent pas rompre avec Bouteflika et de l'autre, ils ne peuvent ignorer les intérêts de la France quant à la suite des évènements. Ils ont un pied ici et un pied là-bas..." Quant aux institutions fortes dont disposerait l'Algérie, à en croire Hollande, il ne s'agit ni plus ni moins que du DRS et de l'ANP. D'après Chafik Mesbah, il ne s'agit sûrement pas de l'APN, a-t-il ironisé. Il faut souligner, par ailleurs, que le politologue invité au Forum de Liberté n'est pas venu les mains vides.
Liamine Zeroual, l'homme de la situation
Il a confectionné pour l'occasion un tableau d'une dizaine de candidats déclarés ou potentiels avec un certain nombre de paramètres et de coefficient de pondération. Il ressort de ce document, “l'élection" ; Lamine Zeroual, considéré par l'orateur comme “l'homme de la situation". Et d'expliquer que “dans la confection de ce document de travail, j'ai fait preuve de retenue et de distance afin d'éviter tout biais subjectif. Je ne suis mandaté par personne. Je veux juste éclairer l'opinion de mon pays. Et malgré l'affection que je porte à Liamine Zeroual, je ne me suis pas départi de mon statut d'analyste. Mes sentiments n'ont jamais gagné dans mon approche. J'ai donc proposé la candidature de Liamine Zeroual par choix rationnel et mûri. Selon moi, il est capable dans un délai de deux ans d'organiser une nouvelle élection présidentielle ou de mettre en place une assemblée constituante". Quid des autres candidats ? “Je ne mets pas en doute les capacités des autres candidats. Des gens comme Ahmed Benbitour, Mouloud Hamrouche ou encore Ali Benflis sont, pour moi, aptes à diriger ce pays. Ils devraient d'ailleurs se donner la main avec d'autres personnalités pour faire partie de la solution." Un journaliste rappellera qu'en 2009, Zeroual avait lui-même fait un communiqué dans lequel il disait qu'il ne croyait pas à l'homme providentiel et qu'il avait définitivement renoncé au pouvoir. “Zeroual est un personnage réservé et difficile. Il a une conscience troublée et éveillée. Mais Zeroual reste un soldat. Si l'appel du devoir vient sonner à sa porte, je suis certain qu'il rempilera." Pour l'invité de Liberté, l'avantage avec Zeroual est que “personne ne pourra jouer et qu'il mettra vite l'armée au pas". En somme, Chafik Mesbah propose aujourd'hui un “aggiornamento dans un cadre démocratique et pacifique" mais il n'estime pas moins nécessaire que ceux qui ont dilapidé les richesses nationales rendent des comptes.
M C L
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