La frontière séparant la Libye et le Niger est baptisée «morsure de serpent». Cette appellation a pris brusquement toute sa signification. Le 23 mai dernier, un double attentat-suicide a fait 35 morts au niveau de la garnison d'Agadez et du site de la Somaïr, à Arlit. Les coupables ? Des djihadistes en provenance de Libye. Quoi de plus évident depuis maintenant deux années que le Sud libyen est devenu un sanctuaire djihadiste et que l'arsenal d'El Gueddafi traverse allègrement les frontières d'un Sahel ouvert aux quatre vents. Le gouvernement nigérien, surpris par ces «visiteurs» explosifs, a tôt fait d'appeler la communauté internationale à «aider la Libye à se stabiliser». C'est un signal de détresse que le régime de Mahamadou Issoufou a lancé en direction des alliés occidentaux qui avaient certes brisé les reins du guide libyen, mais avaient aussi donné un second souffle à une faune d'islamistes djihadistes. Pas sûr que Washington, Londres, Paris et Doha puissent donner suite aux supplications du président nigérien. Son appel risque de se perdre dans les sables mouvants du Sahel. Hier, son homologue et néanmoins voisin tchadien, Idriss Déby, a lui aussi sonné le clairon. «La Libye risque de nous exploser à la figure», s'inquiétait-il dans un entretien au journal français Le Figaro. «La Libye est au bord de l'explosion. Je n'ai pas du tout la solution, mais on ne peut pas regarder cette situation, la laisser évoluer et nous exploser à la figure.» Le président du Tchad a certainement raison de dresser un constat aussi grave, mais ô combien juste. Mais qui va entendre sa plainte et celle de son homologue nigérien sonnant comme des SOS lancés à une «communauté internationale» qui agit à géométrie variable selon que les intérêts des puissants du monde ? Que la Libye post-El Gueddafi soit livrée seule aux milices armés et autres islamistes de tout poil est en soi un indice que le chaos est quelque part programmé. Près de deux ans après la chute et le meurtre sauvage de l'ex-guide, la Libye ressemble à cette femme séduite puis abandonnée à son triste sort. Les alliés occidentaux et leurs supplétifs arabes ont craché leur puissance de feu sur ce pays, l'ont détruit puis s'en sont allés, sans retour… La nature ayant horreur du vide, les djihadistes ayant servi de «rebelles» contre El Gueddafi ont subitement troqué leurs casquettes de soldats contre les chéchias de radicaux islamistes. Pis encore, ils ont hérité d'un arsenal de guerre leur permettant de s'ériger en redresseurs de torts et s'arroger la régence d'un pays sans institutions. Cette nébuleuse islamo-terroriste a entrepris également l'approvisionnement de tous ses maquis et toutes ses opérations terroristes dans la sous-région du Sahel. De Tiguentourine à Niamey en passant par le Tchad et la frontière tunisienne, la main des djihadistes libyens, ou tout au moins des armes libyennes, sont en pleine opération… Pendant ce temps, les alliés de l'OTAN, qui ont mis la Libye à genoux, semblent avoir la tête ailleurs. Le gouvernement de Ali Zeidan, lui, peine à assurer, y compris sa propre sécurité. Doit-on finalement regretter la chute d'El Gueddafi qui avait prédit l'embrasement de la région ?