C'est sur la problématique du temps que repose toute la stratégie du pouvoir, qui ne veut pas entendre parler de l'application de l'article 88 de la Constitution portant sur l'impeachment. Le président Abdelaziz Bouteflika est rentré avant-hier, après 82 jours d'absence, sur une chaise roulante. Sa maladie est finalement plus grave que le laissaient entendre ses collaborateurs. Les images de la Télévision algérienne prises dans le salon d'honneur montraient un Président à la santé chancelante, très amoindri physiquement, au point où des médecins déplorent qu'on n'ait pas respecté l'intimité du malade. Un communiqué de la Présidence publié le même jour souligne que le chef de l'Etat poursuivra une période (indéterminée) de repos et de rééducation. Une certitude donc : le président de la République ne va pas reprendre ses fonctions présidentielles dans l'immédiat. Il n'en serait pas capable ! Deux interrogations : jusqu'à quand ? Qui dirigera le pays entre temps ? Pour la première question autant que pour la deuxième, la communication officielle reste muette. A défaut de la disponibilité d'un bulletin de santé détaillé du chef de l'Etat, nul ne peut savoir, ne serait-ce qu'approximativement, le délai que prendra la période de repos et de rééducation du président Bouteflika. Le secret est bien tenu depuis le premier jour de son évacuation, le 27 avril dernier, à l'hôpital militaire parisien de Val-de-Grâce puisque tout le monde sait que c'est sur la problématique du temps que repose toute la stratégie du pouvoir, qui ne veut pas entendre parler de l'application de l'article 88 de la Constitution portant sur l'impeachment. Tout porte à croire en effet que cette mesure sera évitée pour ne pas s'embourber dans les tracas d'une transition assurée par un intérimaire. Même avec un Président malade et sérieusement incapable de gérer le pays, l'essentiel est de finir dans les normes le temps qui reste au troisième mandat et tenir l'élection présidentielle dans les délais. Qui dirigera le pays d'ici là et comment ? Le Premier ministre, Abdelmalek Sellal ? Totale opacité La nouvelle configuration constitutionnelle induite par la révision de la Loi fondamentale ne l'y autorise pas. Il n'est en fait qu'un coordinateur de l'action gouvernementale, le Président ayant centralisé tous les pouvoirs entre ses mains. L'on se demande d'ailleurs comment des décrets présidentiels ont été promulgués ces derniers jours pendant l'absence du Président ? Selon la constitutionnaliste Fatiha Benabou, «le sceau de l'Algérie ne doit pas quitter le territoire national, c'est une question de souveraineté». Mieux, les pouvoirs du premier magistrat sont exclusifs et ne peuvent être délégués. L'Algérie est un pays bloqué. L'Etat va-t-il alors continuer à fonctionner de cette manière, dans une totale opacité, en maintenant une situation de flou et surtout de «non-gouvernance» ? Le Conseil des ministres ne s'est pas réuni depuis des lustres, aucun texte de loi n'a été promulgué, la loi de finances complémentaire attend toujours, le mouvement diplomatique n'a pas encore eu lieu et les nominations aux hautes fonctions de l'Etat sont en stand-by. Tout dépend des pouvoirs du président Bouteflika dont la santé, comme tout le monde l'a constaté, est sévèrement atteinte. La seule issue qui puisse dans l'immédiat redonner une nouvelle dynamique au pays serait un sursaut d'orgueil du chef de l'Etat qui, se sachant très mal, situation pénalisante pour la gestion des affaires publiques, déciderait d'organiser une élection présidentielle anticipée. C'est un scénario qui ferait d'abord l'économie d'une période de transition et donnerait des institutions capables d'assumer leur rôle en toute légalité. Cette option est-elle plausible ? Certains disent qu'elle est possible ; d'autres l'écartent complètement à cause des enjeux de pouvoir que revêt la prochaine présidentielle. Mais ce qui transparaît après les premières heures de l'atterrissage de l'avion présidentiel sur la piste de l'aéroport militaire de Boufarik, est que le retour de Bouteflika aidera à liquider les affaires courantes et tuer le temps avec le bricolage dans la gestion de l'Etat jusqu'à la fin de l'année et la tenue de la présidentielle, en avril 2014.