Mercredi, des sources officielles faisaient état de 525 morts en Egypte. Malgré ces victimes, les menaces de l'armée à l'encontre de nouveaux manifestants et les alarmes de la communauté internationale, les affrontements continuent. Jeudi 15 août. Au Caire, le trafic reprend doucement après une nuit de couvre-feu sans incident signalé. De la fumée s'échappe encore du campement de la place Rabaa Al Adawiya, principal lieu des affrontements d'hier, et quelques personnes tentent de sauver les derniers objets épargnés par les flammes. Une centaine de cadavres dans des linceuls sont alignés à même le sol dans la mosquée voisine d'Al Imane, tandis que des volontaires tentent d'établir la liste des victimes. Le bilan officiel fait état de 525 morts sur l'ensemble du territoire, parmi lesquels 482 civils. La mosquée Al Imane, au centre de la place Rabaa Al Adawiya où les Frères musulmans avaient établi leurs quartiers, a brûlé elle aussi. L'armée contrôle les places stratégiques du Caire, Rabaa Al Adawiya et Nahda, et a prévenu que les autorités intérimaires ne tolèreraient aucun sit-in ou nouvelle violence. Mais les pro-Morsi ne désarment pas. La veille, beaucoup se disaient «prêts à mourir», et les Frères musulmans appellent à des manifestations dans l'après-midi. AFFRONTEMENTS A Alexandrie, un cortège de Frères musulmans défile pour dénoncer un «génocide», mais des manifestations plus violentes ont lieu en Moyenne et Haute-Egypte. A Fayoum, Miniah et Sohag, provinces dominées par un mouvement extrémiste allié aux Frères musulmans, les manifestations tournent vite aux attaques contre les édifices publics, comme les tribunaux et les administrations. Deux policiers sont tués dans le Nord et le Centre. Des pro-Morsi incendient également le siège administratif de Gizeh. Au moins sept soldats sont également tués par des hommes armés dans le Nord-Sinaï. Mais la cible privilégiée reste les Chrétiens, nombreux en Moyenne et Haute-Egypte. Des églises, commerces et maisons coptes sont saccagés ou incendiés. Les Chrétiens, estimés à dix millions en Egypte, sont devenus le bouc émissaire des islamistes. Le Maspero Youth Union, mouvement copte de la jeunesse, dénonce une «guerre de représailles» parce que le pape copte Tawodros II avait soutenu l'armée lors de la destitution et l'arrestation de Mohamed Morsi. Les pro-Morsi cherchent également à embarrasser le gouvernement face à la majorité musulmane, en l'obligeant à défendre ceux qu'ils appellent «les adorateurs de la croix». BALLET DIPLOMATIQUE En réponse à ces affrontements, le ministère de l'Intérieur a donné l'instruction à ses forces d'utiliser des balles réelles pour contrer toutes les attaques contre des forces et des bâtiments gouvernementaux. Au matin, l'Egypte annonce la fermeture de son point de passage avec la bande de Ghaza pour une durée indéterminée. Navi Pillay, haut-commissaire de l'ONU en charge des droits de l'homme, réclame une enquête sur l'assaut des forces égyptiennes. Au cours de la journée, France, Allemagne et Grande-Bretagne convoquaient leurs l'ambassadeurs d'Egypte dans leur capitale. La Turquie, qui avait vivement condamné la répression des manifestants par l'armée mercredi, dénonce, elle, l'inactivité de la communauté internationale. «J'en appelle aux pays occidentaux : vous n'avez rien dit à Ghaza, en Palestine, en Syrie, où plus de 100 000 personnes ont été tuées (…) Vous n'avez rien dit et vous ne dites rien en Egypte. Comment alors pourrez-vous parler à ce stade de la démocratie, de la liberté et des droits de l'homme ?», lance le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan. La réaction très attendue de la Maison-Blanche est venue, elle aussi, dans l'après-midi. Les Etats-Unis qui soutiennent l'armée égyptienne avec une aide de 1,3 milliard de dollars par an et qui avaient prévu des manœuvres militaires communes condamnent, par la voix de Barack Obama, avec force les mesures prises par le gouvernement intérimaire égyptien et annulent les manœuvres qui étaient prévues. L'Algérie a aussi renouvelé, dans la soirée, sa «grande préoccupation», et considère que le «dialogue entre les Egyptiens constitue plus que jamais la seule voie pour bâtir un consensus permettant le retour à l'ordre et à la sécurité».