«Je viendrai, c'est sûr ! Le moment opportun, je viendrai», a déclaré hier le chanteur Idir au forum du quotidien national Liberté. «Laissez-moi un peu de temps pour me soigner. Je veux faire un spectacle qui soit à la hauteur de ce que mérite le public de notre pays. Un spectacle qui soit à la mesure des attentes de ce public, sans fioriture et avec beaucoup d'émotion», a-t-il promis. «Dans les années 1980, nous avons essayé de faire des spectacles. Il y a eu des réticences de la part des responsables. A chaque fois, il y a eu une fin de non-recevoir tacite», a-t-il rappelé. CHANTER EN ALGERIE : OUI, MAIS... Il a évoqué l'exemple d'un concert annulé à Tizi Ouzou, à cette époque. «A la fin, on comprend que les choses ne se font pas naturellement. Je suis parti en France. Après, il y a eu l'intégrisme. Je n'avais pas le cœur à venir chanter en Algérie. Aujourd'hui, il y a une nouvelle donne. Des gens m'invitent à venir. Cela doit faire plaisir à énormément de personnes. Sur le papier, c'est excellent, mais les conditions sont difficiles», a expliqué Idir. Mohamed Saadi, directeur de Berbère TV, a révélé que des tentatives ont été faites ces cinq dernières années pour organiser des concerts d'Idir en Algérie. «Le projet n'a pas réussi en raison de contraintes techniques. Au Maroc ou en Tunisie, les choses sont plus simples. Tout est dans les contrats avec les organisateurs de festivals. En Algérie, c'est très compliqué. Il n'y a pas d'argument politique. C'est plutôt une question de conditions matérielles. Il y a aussi un problème d'interlocuteurs», a-t-il dit. «Un artiste n'a pas à subir ‘sous l'égide' ou ‘sous le patronage'. Un artiste doit avoir la liberté absolue d'agir», a repris Idir. Présent lors de la conférence, le comédien Saïd Hilmi a fait un appel «au nom du public algérien» pour qu'Idir vienne chanter en Algérie. L'auteur de Avava Inouva est favorable à la traduction de ses chansons en arabe. «J'ai une trentaine de versions différentes de mes chansons dans d'autres langues, cela me fait plaisir. C'est ce qui peut arriver de mieux à un artiste, autrement dit toucher des gens à des milliers de kilomètres», a-t-il dit. Idir est revenu sur ses débuts en musique, lorsqu'il était lycéen à Alger. «Je n'avais pas l'intention de chanter. Je faisais des petites musiques qui, à l'époque, étaient des petits succès. Un jour, j'ai préparé une chanson pour Nouara. Elle était tombée malade alors qu'elle devait être présente dans une émission de radio. L'animateur avait réussi à me convaincre de la remplacer… Je pensais que c'était là l'aventure d'un soir. Je ne savais pas que je venais de mettre un doigt dans l'engrenage qui allait changer ma vie. Sur place, j'avais inventé le pseudonyme d'Idir car je ne voulais pas qu'en Kabylie, les gens découvrent que je chantais ! Le destin en avait décidé autrement», a-t-il confié. «QUANd JE N'AI RIEN À DIRE, JE ME TAIS» Il a expliqué sa discographie relativement réduite en plus de trente ans de carrière, par ce refus de chanter dès le départ. «Je préfère chanter des choses qui font partie de mon parcours. Quand je n'ai rien à dire je me tais (… ). C'est pour cela que je me suis penché sur le folklore en essayant de le travailler du mieux que je pouvais. Je crois qu'on peut élever la voix sans hausser le ton. Chacun a sa manière de le dire», a-t-il relevé, évoquant ses sources d'inspiration, sa Kabylie natale. «Aujourd'hui, les chanteurs se suivent et se ressemblent. Je n'ai pas vu beaucoup de créativité. Difficile déjà avec ce qui était produit dans les années 1970. Cela est valable en Algérie ou ailleurs. Il y a du mimétisme. On laisse la machine s'exprimer avec les boîtes à rythmes et les synthétiseurs qui font même des arrangements. On perçoit de moins en moins la main de l'homme. Cela me chagrine quelque peu», a-t-il regretté. Il a plaidé pour une inspiration plus large des élans rythmiques traditionnels pour les compositions et les arrangements. Les artistes doivent, selon lui, être proches des préoccupations des petites gens. «Ce qui blesse les gens me blesse aussi. Je me sens à l'aise en Algérie. Il faut que les gens qui ne sont pas berbérophones m'aident à revendiquer ces choses et ne pas créer de tabous. Il faut une reconnaissance mutuelle», a-t-il souligné. Pour Idir, tamazight doit être une langue officielle. «On me refuse dans mon algérianité de jouir de ma condition de Berbère. Mon problème n'est pas avec les Algériens. Nous avons un imaginaire collectif, des rêves que nous partageons. Je n'entrevois pas de solution s'il n'y a pas de reconnaissance de ma culture. Sinon, je ne serais qu'un morceau de cette Algérie… Il faut remonter pour voir d'où on vient», a-t-il noté, regrettant que l'idéologie ait pris le pas sur «l'émotion et la sincérité des gens». Idir, 64 ans, prépare un nouvel album qui contiendra des chansons écrites dans les parlers tamazight du Maghreb. Le prochain opus comportera aussi un duo avec le chanteur français Francis Cabrel. Idir prépare également des compositions pour accompagner des poèmes de Si Mohand, collectés et présentés par Mouloud Feraoun. «Notre tradition est orale. Donc le mot a sa valeur. Et c'est le mot qui nous mène vers la liberté. Le mot appelle l'échange et la reconnaissance», a-t-il souligné.