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Entretien
IDIR AU SOIR D'ALG�RIE : "Je suis rest� le m�me qu'il y a trente ans" Entretien r�alis� par Arezki Metref
Publié dans Le Soir d'Algérie le 14 - 02 - 2008


Idir vrai
Idir est un homme tellement occup� qu�il n�est pas simple d�obtenir un rendez-vous avec lui. Nous avons l�habitude de nous croiser autour de l�Association de culture berb�re, � Paris et, � l�occasion, de discuter le coup comme on dit. D�s qu�il a cinq minutes, en effet, dans la noria de ses tourn�es et de ses enregistrements, il court humer un peu d�air de la montagne dans un de ces caf�s kabyles qu�il affectionne et qui sont souvent encore charg�s des souffrances de l�exil s�culaire et des enthousiasmes s�culiers.
Un caf� condens� entre zinc et tables o� souvent s�est �crite l�histoire des �migr�s et m�me de l��migration. Depuis longtemps, nous voulions, lui autant que moi, nous poser pour faire un peu le point de son parcours et �changer autour de cette perc�e fulgurante � l��chelle internationale de ce �jeune homme aux lunettes� parti d�A�t Lahc�ne, le village principal des Beni Yenni, pour conqu�rir, � son corps d�fendant, l�univers de la world musique. A son corps d�fendant ? Oh oui ! Lorsque, en 1973, il a �t� contraint d�enregistrer Avava Inouva, alors qu�il �tait encore lyc�en, adoptant le pseudonyme d�Idir, il pensait que c��tait pour une soir�e. Il ne se voyait pas en artiste. Sa propre m�re, f�rue de po�sie kabyle qu�elle disait et faisait, �tait loin de s�imaginer que ce jeune homme dont la voix commen�ait � �tre sur toutes les radios �tait son propre fils. Elle a cru � la fable selon laquelle l�interpr�te de Avava Inouva,que personne ne connaissait alors, �tait un condisciple de son fils Hamid au lyc�e. Elle disait m�me � son fils : �Invite-le � venir prendre un caf� � la maison�. Il a fallu neuf mois � la m�re pour d�busquer Hamid, son fils, derri�re l��nigmatique Idir dont les chansons sont d�ores et d�j� sur toutes les l�vres. Idir, n� Hamid Cheriet, est un homme r�serv�. C�est un artiste qui pratique une approche paisible et cultiv�e de la musique. Il n�a rien de l�artiste instinctif qui se compla�t dans la d�glingue comme esth�tique et mode de vie. Avec ses lunettes � la monture en m�tal, il a l�air d�un premier de la classe. Ce qu�il a d� �tre au lyc�e, puis � l�universit� d�Alger o� il fr�quentera les cours de g�ologie, ce qui lui octroiera la capacit� � relativiser les choses. Les g�ologues, on le sait, mesurent le temps en milliers d�ann�es. Ce qui le distinguera aussi comme l�un des rares chanteurs kabyles, voire alg�riens, � avoir un niveau d�instruction sup�rieur et la latitude d�avoir une r�flexion non seulement sur la musique, mais aussi sur la soci�t� et la politique. Artiste et intellectuel en m�me temps, Idir l�est. Une autre singularit�. Mais sa singularit� essentielle demeure son incroyable long�vit�. Depuis 1973 et Avava Inouva, bien qu�ayant peu produit en comparaison d�autres artistes kabyles qui mettent sur le march� un � deux albums par an, Idir demeure extr�mement populaire aupr�s du public kabyle tout en ayant �largi son public � plusieurs pays du monde. C�est un v�ritable ambassadeur de la chanson kabyle. C�est de tout cela que nous nous sommes entretenus. Une version plus copieuse de cet entretien para�t dans la revue de l�Association de culture berb�re. Nous voulions aussi en faire profiter les lecteurs du Soir d�Alg�rie.
A. M.

Un Kabyle � Paris
Le Soir d�Alg�rie : La France des couleurs d�fend les couleurs de la France, ton dernier album en date, est-il une fa�on de prendre position dans le d�bat fran�ais ?
Idir : C�est d�abord une fa�on de m�interroger sur ma position ici, qui est celle de beaucoup d�autres. C�est aussi une fa�on de comprendre et de d�finir cette France. Est-elle le reflet fid�le de celles et ceux qui la composent aujourd�hui ? Elle ne me para�t pas d�finissable actuellement sans ces couleurs.
Dans l�album, tu invites des rappeurs, des slameurs, des artistes qui incarnent une France exclue par l�extr�me droite�
La d�finition v�ritable de la France d�aujourd�hui, c�est un ensemble de gens qui ne font pas un peuple, mais une nation. Zidane, Poniatowski, Noah, �a ne forme pas un peuple. Par contre, il y a des citoyens, des nationaux qui sont unis par un m�me destin, et sous le coup d�un certain nombre de droits et de devoirs et de r�ves qui forment la soci�t� fran�aise. C�est loin des d�finitions que les gens du Front national donnent d�s lors qu�ils excluent tous ceux qui ne leur ressemblent pas. Disons que c�est une antith�se de ce que pr�ne le Front national.
Te sens-tu interpell� par le d�bat en France ?
J�y vis, forc�ment. M�me si je suis alg�rien de nationalit�, il y a des r�alit�s auxquelles je suis confront� parce que j�y travaille, j�y paie des imp�ts. Je suis donc redevable et on me doit des explications, des positions, des clarifications sur certaines choses, tout en observant un devoir de r�serve, parce que tenu, en temps qu��tranger, de ne pas m�immiscer dans les affaires internes de la France.
Ressens-tu des sympathies politiques ou humaines dans l��chiquier politique fran�ais ?
Nous vivons une �poque un peu bizarre o� la droite n�a plus le monopole de l�argent ni la gauche celui de l�humanisme. Nous assistons � la fin de cette gauche qui te demandait de brandir des petits drapeaux le dimanche, image qui nous rappelle les caricatures droiti�res. Au m�me moment, voil� un pr�sident de droite ratissant large � gauche, qui �voque Guy Moquet, L�on Blum ou Jean Jaur�s. A chaque fois qu�il y a une �lection pr�sidentielle en France, on a l�impression de voter moins pour une orientation politique que pour un homme. C�est toujours la valeur des hommes, leur hauteur, leur charisme, qui transcendent les partis auxquels ils appartiennent. Il n�en demeure pas moins deux projets de soci�t� qui sont bien distincts : celui du capitalisme effr�n� et le projet de ceux qui essaient de r�fl�chir � une redistribution des richesses en nivelant les choses par le haut.
Lequel de ces projets te para�t le plus proche ?
Id�alement, il n�y a pas mieux que la th�se communiste, mais cela reste seulement un id�al. La position la moins mauvaise possible, c�est d��tre ancr� � gauche.
La musique des couleurs
Revenons � la musique, � ton dernier album. Toi qui es un musicien puisant son inspiration � la source de la musique traditionnelle kabyle, comment le besoin s�est-il fait sentir d�aller � la rencontre d�autres musiques plus urbaines, telles que le rap, le slam, etc. ? Qu�est-ce qui motive artistiquement cette d�marche ?
C�est exactement ce qui motive ta propre d�marche, toi, de Beni Yenni, venu sur Alger pour rencontrer l�Autre. L�essentiel est de vous enrichir mutuellement � partir de vos diff�rences respectives. L�essentiel est aussi l�envie de d�couvrir d�autres horizons que ta propre culture ignore. Ton identit� se remet en question chaque matin que Dieu fait. Et chaque matin, tu es un homme nouveau, en qu�te d�autres choses. Tu as tes propres interrogations et, � partir de celles-ci, tu te forges une personnalit� artistique qui se d�marque de ta personnalit� d�origine. Au d�part, nous pensions que la culture du monde s�arr�tait � la porte de notre village. Il suffisait de sortir de celui-ci pour tomber sur les autres qui existent, qui ont le m�rite d�exister, qui ne sont n�s ni pires ni meilleurs. A partir de ce constat, tu fais des comparaisons et tu t�enrichis. Au fil des ann�es, tu as envie d�interpr�ter au plus juste le monde dans lequel tu vis.
Quand on voit ce que tu as produit ces derni�res ann�es, on comprend bien que tu es assez attir� par les musiques un peu marginales ou plus exactement marginalis�es. Je pense � ce que tu as fait avec des musiciens bretons, par exemple, et aussi avec les artistes de la nouvelle g�n�ration du rap. Cela ne traduit-il pas un r�flexe d�homme issu des �minorit�s� ?
C�est possible. Je suis toujours minoritaire, de toutes les fa�ons. Ici ou l�-bas, j�appartiens � une communaut� minoritaire. Ici, je suis en tant que Kabyle minor� dans une communaut� d�j� minoritaire. Je suis �galement un petit peu mis � l��cart tant au niveau de ma culture et de son expression dans mon propre pays. Je le suis par mes orientations politiques et pour un certain nombre d�autres raisons. Etant minoritaire, on ressent l�envie de sortir de cette minorit� et ainsi que celle d�exister avec nos diff�rences. Le seul moyen que j�ai trouv� pour m�en sortir, c�est de partager avec l�Autre, minoritaire ou pas. Pourquoi des Bretons, pourquoi des Ecossais ? Je sens que la notion d�origine et d�identit� est �galement tr�s forte chez eux. Ils ont encore les mains agripp�es � la terre � laquelle ils sont bien ancr�s. Cela me permet aussi de tenir ma position, de pouvoir la d�fendre. C�est une premi�re chose. Deuxi�mement, je le fais parce que je veux montrer que ma culture, mon identit� aussi minoritaire soit-elle, peut s�inscrire avec les autres � �galit�, et que, de l�autre c�t�, il y a une reconnaissance implicite de ce que je suis lorsque des gens plus proches de moi le font tr�s difficilement. C�est un besoin de vivre qui m�am�ne � partager et vivre avec les autres.
Si j�ai bien compris, tu as mis tr�s longtemps avant de vouloir chanter en fran�ais ! Il y avait un blocage dont je ne connais pas les raisons� Aujourd�hui, tu as l�air d�avoir compl�tement d�dramatis� ! Que s�est-il pass� ?
C��tait plus qu�un simple blocage, c��tait tout simplement un refus. Le fran�ais est une langue que j�ai acquise empiriquement. Ce n�est pas ma langue maternelle, je n�avais aucune raison de chanter en fran�ais. J��tais un Kabyle qui avait des revendications � exprimer dans sa langue maternelle, c��tait suffisant. J�aurais pu chanter Fatima ou A�cha pour ratisser large. Les gens de notre communaut�, surtout les jeunes, qui ne comprennent pas toujours la langue arabe ou berb�re, me demandent pourquoi je ne chante pas en fran�ais. Je n�avais pas de r�ponse. J�ai commenc� � accepter cette id�e le jour ou Jean-Jacques Goldman m�a convaincu de chanter Pourquoi cette pluie. Cette chanson fait le parall�le entre les intemp�ries et les larmes vers�es par rapport � tout ce qui se passait dans les pays du Maghreb. Je lui ai dit que je ne me sentais pas le courage de chanter en fran�ais, car je ne connaissais pas les m�triques et les mots sortent diff�remment de ma bouche quand je veux les faire swinguer. Il m�a r�pondu que c�est une chose qui faisait partie de mon parcours avec lui, ou avec d�autres. D�s lors, il importe peu de t�exprimer en arabe ou en fran�ais ou dans une autre langue, � condition que cette histoire te colle. Il a r�ussi � me convaincre. Par la suite, il y a eu cette id�e de La France des couleurs qui est moins un disque de Idir qu�un concept � d�finir, � d�fendre. Nous sommes derri�re ce concept et parlant de la France sans chanter en fran�ais, c�est un peu difficile. Et puis chanter en fran�ais des choses qui nous touchent d�une soci�t� dans laquelle nous sommes partie prenante en tant qu�acteurs, je ne pense pas que je me sois parjur�. Je n�ai pas cherch� � plaire uniquement et � avoir, ce faisant, un auditoire. Avant tout, j�ai utilis� une langue pour exprimer des id�es.
C�est �tonnant que tu utilises un mot aussi fort. Pourquoi serait-ce un parjure de chanter en fran�ais ?
C�est entre moi et moi� Ce n�est m�me pas par rapport au public ou � toi. C�est une belle langue, le kabyle, au point d�ailleurs o�, � mes d�buts, je voulais �tre consid�r� comme le Robin des Bois kabyle en d�fendant bec et ongles ma culture, mon identit�. J�avais d�cid� de ne jamais m�exprimer en arabe, par r�sistance et non par conservatisme, et encore moins en fran�ais parce que c�est une langue que j�utilise comme outil technique, sans plus. Voil� pourquoi je parle de parjure, ce qui est peut-�tre un peu fort, je l�avoue.
Techniquement, pratiquement, si je peux m�exprimer ainsi, c�est quoi �tre kabyle ? Est-ce en fr�quentant les caf�s tenus par des Kabyles qu�on garde le contact avec les racines ?
Oui, cela permet de se ressourcer un petit peu. Un Kabyle, par d�finition, s�il veut �tre toujours kabyle, doit rechercher son espace de pr�dilection. C�est la r�gion qui lui a offert sa premi�re lumi�re, o� il a entendu ses premiers sons, o� il a vibr� les toutes premi�res fois. La vision qu�il a des couleurs, de la topographie des lieux, c�est aussi cela �tre kabyle. C�est conna�tre par c�ur cette ligne de cr�tes du Djurdjura o� ce vieux ch�ne centenaire� Je ne sais pas� Il y a des tas de visions que l�on a, que tu dois avoir, toi aussi. Le cadre de notre d�cor, c�est celui-l�. On s�y meut chacun avec son humeur et son caract�re. D�ailleurs, d�s que l�on en sort, forc�ment, on change parce qu�on se retrouve dans un autre climat, une autre topographie. Eventuellement, on rencontre des gens diff�rents, d�autres mentalit�s� Donc comment rester kabyle dans tout �a ? Il y a d�abord la langue.
A ton �ge, avec ton parcours, qu�est-ce pour toi la kabylit� ?
C�est ce qui me fait toujours frissonner ! Ce qui me donne ce petit picotement dans mon for int�rieur qui va du bassin jusqu�� la moelle �pini�re � la faveur d�un mot, d�un son, d�une image, d�une musique�. C�est tout cela.
C�est finalement ce qui te renvoie � l�enfance ?
Forc�ment, on est toujours en qu�te de ses origines. C�est l�un des moyens de remonter jusqu�au cordon ombilical, vers ses anc�tres, d�aller � la rencontre de Dieu ou de je ne sais qui� Nous ressentons tous le besoin de cette qu�te. On sait qu�en remontant, de toute fa�on on se rapproche d�une source. Certains diront puret�, v�rit�, voire lumi�re. On peut appeler cela comme on veut, le fait est qu�on a toujours besoin de se reconstituer, de red�finir. Je peux �tre Kabyle partout, � Los Angeles ou � Bogota, ou ailleurs, � partir du moment o� ma langue est ancr�e dans mon �me, comme la po�sie kabyle. Je porte cette culture des anciens, les traditions dont j�ai h�rit�. En v�rit�, je me suis d�barrass� de quelques-unes�
Lesquelles, par exemple ?
Tout ce qui est pass�iste. Je me suis d�barrass� des traditions qui pr�conisent le sexisme ainsi que de celles qui s�apparentent au communautarisme� Cela fait longtemps que j�ai jet� ces notions par la fen�tre.
Tu es un artiste connu et reconnu, tu parles fran�ais. Te sens-tu int�gr� ?
Oui et non ! Oui, parce que je suis un partenaire � part enti�re, qui a des interlocuteurs viables. J��change avec eux et ils m�apportent et ainsi j�apprends, je grandis avec eux. Non, parce qu�il y a une forme de rejet inconscient qui me renvoie toujours au petit confort douillet de ma Kabylie natale, de ce qu�elle m�a propos� � travers des discussions avec ma m�re, ma famille, de l�humour que je partage avec les uns et les autres, ces chants, cette cuisine. Au milieu de tout cela, je me sens bien. Je me dis alors : est-ce que je prends tout cela tout en n��tant jamais dans le creuset de cette culture fran�aise ? Pourrai-je vivre avec eux s�ils m�acceptent ou dois-je rester l� tout en �tant ce Kabyle qui joue au Fran�ais dans la rue. J�ai �t� confront� et ai v�cu tous ces probl�mes. Quand on a appartenu � un clan, � une culture, � une mentalit�, � une identit�, je crois qu�on ne vit pas ce que l�on doit vivre ailleurs. Il y a toujours une culture qui prend le pas sur l�autre. On ne fait que s�accommoder aux choses et aux circonstances.
Chez toi, il y a quelque chose de manifeste, c�est ton accent !
Qu�est-ce qu�il a, mon accent ?
Tu gardes l�accent kabyle par le fait d�un m�canisme inconscient de protection ou de d�fense. T�es-tu pos� la question ?
Non ! Mon accent, je m�en faisais un complexe quand j��tais lyc�en. Comme il n�y avait pas de lyc�e dans mon village d�Ath Yenni, j�ai d� aller sur Alger. La plupart des gens n�y roulaient pas les �r� comme chez nous. D�ailleurs, ils nous qualifiaient de ploucs ! Le fait de ne pas rouler les �r� �quivalait � un reniement de soi. Rouler les �r� �tait un signe d�appartenance. C�est idiot, car on doit s�exprimer comme on veut. J�ai toujours mon accent, tu vois.
Mais je faisais cette r�flexion par rapport � ton arriv�e en France !
Je parle et je parlerai comme j�ai toujours parl�.
Tu as un sens tr�s fort de l�identit�. Pour toi la mondialisation, est-elle une bonne ou une mauvaise chose ?
Cela peut �tre une chose et son contraire. Une bonne chose dans la mesure o� l�on unit les gens en effa�ant les fronti�res, on �change des id�es, de la monnaie, des objets, on fait du commerce. Cela pourrait �tre bien si on prenait � ceux qui en ont trop pour donner plus � ceux qui sont moins nantis. Mais la mondialisation peut aussi d�boucher vers des replis sur soi ! Ces r�actions extr�mes favorisent la mont�e de certaines id�es extr�mistes qui bloquent ce m�canisme. C�est curieux ce qui se passe autour de cette id�e de mondialisation : je pense que l�on traverse une zone de transition, qui devra aboutir in�vitablement sur un nouveau syst�me.
La mondialisation n�est-elle pas une dissolution des identit�s essentialistes ?
Forc�ment ! Maintenant, le vrai probl�me, quand on se r�clame d�une identit�, c�est de savoir comment rester citoyen du monde tout en r�pondant aux exigences de notre environnement. On a l�impression que l�on va �tre � longue �ch�ance �cocacolanis�. On acquiert des comportements, des attitudes, des expressions, qui tendent, � premi�re vue, � nous �loigner de notre �tre originel. Mais, bient�t, �tre kabyle ne correspondra plus � grand-chose, si ce n�est � d�finir un espace, un territoire, puis une histoire dans laquelle nous avons �t�, que nous avons v�cue. Aujourd�hui, nous sommes oblig�s de rentrer dans des notions telles que �int�gration�, �adaptation � �mondialisation�. Cela se fait bien s�r aux d�pens de toutes les cultures minoritaires. C�est le plus gros qui mange toujours le petit !
D�un c�t�, il y a une uniformisation sur des mod�les dominants tels que les Am�ricains. En m�me temps, � l��chelle des nations, la mondialisation n�emp�che-t-elle pas de sortir des huis clos. Ne d�truit-elle pas les cultures minoritaires ?
De toutes les fa�ons, le troisi�me mill�naire, vu le d�veloppement des m�dias et de la communication tel internet, sera celui des minorit�s. Les peuples minoritaires seront toujours tenus par le plus cynique des imp�ratifs, celui de la survie. Pour vivre, il faut avoir les moyens et surtout les moyens d�imposer aux autres sa mani�re de voir, sa r�flexion, sa po�sie, son chant, sa peinture. Et l�, il y a du boulot, la concurrence est rude et la soci�t� occidentale a mis une chape de plomb sur le reste du monde.

Au commencement, Avava Inouva
Ta carri�re a commenc� en 1973 avec la c�l�bre chanson Avava Inouva� Peux-tu apporter un premier commentaire sur ces 35 ans de carri�re. Qu�est-ce qui a chang� en toi ?
Je ne pense pas avoir chang�. J�ai �volu� bien s�r, mais sur le fond, je reste profond�ment Kabyle, avant de dire berb�re. La notion de berb�rit�, je l�ai acquise. J�ai d� la penser pour pouvoir l�avoir et, � partir de l�, je me suis d�couvert des liens de fraternit�, des affinit�s avec l�ensemble berb�re. Je me suis construit localement. Je suis le pur produit de mes parents, au d�part, et ma premi�re culture, c�est l�amour de ma famille. J�en ai pris la mani�re de parler. Par extension, il m��tait facile d�embrasser le village entier. Je me suis senti donc kabyle dans ce village et dans ma r�gion. Mais le reste, je crois que je l�ai charri�. Je l�ai import�, comme on dit ! M��tant d�couvert des affinit�s, je me suis d�couvert aussi un sens politique, une forme de r�sistance avec les Imazighen, les Berb�res, qui vont jusqu�� la presqu��le de Siwa. Un jour peut �tre, irai-je � Siwa et en en serai-je d��u. Peut-�tre que je ne m�entendrais pas avec des Chaouis. Je n�en sais rien, je te livre, ici, des r�flexions comme �a, en vrac. Par contre, ce qui est fascinant, c�est d�appartenir � ce territoire immense dans lequel nous avons � peu pr�s la m�me base linguistique. N�est-ce pas fascinant qu�il y ait des gens qui nous soient si proches tout en �tant �loign�s ? D�ailleurs, la premi�re id�e qui m�a fascin� c��tait celle-ci : cette grandeur qui a d� exister quelque part o� je ne pourrais la situer dans le temps. Devant l�attitude des pouvoirs respectifs qu�ils soient marocain, libyen, tunisien ou alg�rien, par rapport � cette question amazighe, il n��tait pas question de se laisser faire. Ne pas se laisser faire non pour d�fendre simplement la culture, l�identit� berb�re, mais pour qu�elle ait droit de cit�. Une fois qu�elle a acquis ce droit, c�est � elle de se d�brouiller. C�est � ses enfants de r�pondre � la question de savoir si elle doit vivre ou pas. Cette oppression me g�nait. Tout cela pour te dire que les autres choses, je les ai acquises. J�y ai milit�. Mais le fait d��tre kabyle m�a �t� donn�. C�est vertical. J�ai �t� r�v�l� � moi-m�me comme cela et, � ce titre, je ne peux pas �tre autrement ou alors cela serait difficile.
Tu es n� � Ath Yenni o� tu as suivi une scolarit� jusqu�en classe de 3e. Ensuite, tu as �t� oblig� d�aller sur Alger. Ton premier rapport � la cr�ation musicale et po�tique, d�o� vient-il ?
Ce rapport existait d�j� depuis Ath Yenni, bien avant mon arriv�e � Alger. Ma grand-m�re et ma m�re disaient de la po�sie. Ce que je chante dans Avava Inouva, je l�ai v�cu. Ces fameuses soir�es d�hiver o� ma grand-m�re nous racontait des l�gendes, des contes, des histoires et o� on �changeait des charades, des �nigmes kabyles, je les ai connues. J�ai v�cu dans ce milieu, ce qui a aiguis� mon sens artistique. Par la suite, comme tous les petits Kabyles du village, j�ai moi aussi gard� les ch�vres et comme tous les petits bergers, j�ai un jour taill� une fl�te dans un roseau. J�ai tambourin� sur un bidon de fortune et j�ai senti ces chants comme les chants profonds que ma grand-m�re entamait les soirs d�hiver. Ce que j�ai v�cu enfant est rest� tr�s vivace dans ma m�moire. Cela explique aussi pourquoi en arrivant � Alger, je me suis senti d�racin� dans mon propre pays. C�est parce que j�arrivais dans une r�gion o� on parlait une autre langue que la mienne et dont je ne comprenais pas toutes les coutumes. D�ailleurs, je me suis fait casser la figure la premi�re fois que je suis mont� sur Alger par un jeune homme. Je ne comprenais pas ce qu�il me disait. C�est ainsi qu�il me signifia, � sa mani�re, que je n�avais qu�� comprendre l�arabe. Le sentiment d��tre diff�rent, mis � l��cart, a renforc� mon appartenance � ma culture d�origine. Si je n�avais pas chant�, de toute fa�on, j��tais comme la plupart des gens de mon �ge, un enfant de l�ind�pendance, fier de ce qu�avait fait le pays, fier de ses a�n�s. J�ai d�ailleurs �t� choisi avec d�autres lyc�ens pour aller �couter le discours de Che Guevara � la Fac d�Alger, en 1966 je crois, et de bien d�autres, tels que Yasser Arafat, Fidel Castro. Nous ressentions une fiert� d�appartenir � cette Alg�rie, tout en ayant ce sentiment d��tre brim�s par les autorit�s de notre pays qui ne nous reconnaissaient pas en tant que Kabyles. Pour preuve, combien de fois ma m�re m�a demand� de lui traduire le journal t�l�vis�, car elle ne comprenait pas l�arabe. Et c�est � cette p�riode que j�ai eu mon d�clic, et comme la plupart des gens de mon �ge, je me suis pos� des questions. J�ai commenc� � militer pour que ma langue maternelle soit restitu�e, qu�elle retrouve sa place de droit dans mon propre pays. D�ailleurs, je ne comprenais pas pourquoi d�un c�t� les dirigeants de mon pays, pr�naient la souverainet� des peuples africains, et, dans le m�me temps, ils me brimaient dans ma langue. Peut�tre n��tions-nous pas vraiment des Alg�riens � leurs yeux ? Tout cela n�a fait qu�amplifier cette r�volte que j�avais en moi, et j�ai d� l�exprimer � travers la musique . C�est pour moi cet acte militant qui a motiv� l�envie de chanter.
As-tu pris de cours de musique, de solf�ge en arrivant � Alger, car il est manifeste que tu y as acquis une dimension musicale sup�rieure � celle de la fl�te taill�e dans le roseau ?
En arrivant � Alger effectivement, j�avais acquis une autre dimension dans mon parcours artistique. Le p�re Desaume du coll�ge de Ath Yenni m�avait initi� un peu au solf�ge. Je jouais de la fl�te et j�ai appris � jouer sur les petites guitares avec des gens de chez nous tels que Belkacem Imchedallen. A Alger, des coop�rants techniques, qui �taient nos profs, poss�daient des guitares. C�est ainsi que j�ai eu mes premiers contacts avec les accords de musique occidentale et que je m�initiais � accorder des m�lodies en y apportant des arp�ges. C��tait l��poque de Simon and Garfunkel, des Beatles� J�aimais ces m�lodies, mais je ne les ressentais pas. D�s que j�apprenais un nouvel accord, j�essayais d�imiter le rythme du bendir, sauf que c��tait sur une guitare. Cette musique m�a ouvert des perspectives d�arrangement et d�agencement des notes entre elles. J�ai compris alors que les instruments �taient � ma port�e, mais qu�il fallait les utiliser selon leur propre d�finition. Chaque instrument reproduit son propre son, mais, par exemple, si Manitas de Plata peut sortir de la guitare des sons flamencos, pourquoi n�en arracherais-je pas des sons du bendir. Pourquoi n�accommoderais-je pas les accords d�arp�ge en jouant avec les doigts de fa�on � restituer les �lans principaux de nos rythmiques ? C�est peut-�tre ce que j�ai d�couvert en apprenant le solf�ge�


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