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Entretien
IDIR AU SOIR D'ALG�RIE : "Je suis rest� le m�me qu'il y a trente ans" 2e partie et fin Entretien r�alis� par Arezki Metref
Publié dans Le Soir d'Algérie le 16 - 02 - 2008


Idir vrai
Idir est un homme tellement occup� qu�il n�est pas simple d�obtenir un rendez-vous avec lui. Nous avons l�habitude de nous croiser autour de l�Association de culture berb�re, � Paris et, � l�occasion, de discuter le coup comme on dit. D�s qu�il a cinq minutes, en effet, dans la noria de ses tourn�es et de ses enregistrements, il court humer un peu d�air de la montagne dans un de ces caf�s kabyles qu�il affectionne et qui sont souvent encore charg�s des souffrances de l�exil s�culaire et des enthousiasmes s�culiers. Un caf� condens� entre zinc et tables o� souvent s�est �crite l�histoire des �migr�s et m�me de l��migration. Depuis longtemps, nous voulions, lui autant que moi, nous poser pour faire un peu le point de son parcours et �changer autour de cette perc�e fulgurante � l��chelle internationale de ce �jeune homme aux lunettes� parti d�A�t Lahc�ne, le village principal des Beni Yenni, pour conqu�rir, � son corps d�fendant, l�univers de la world musique. A son corps d�fendant ? Oh oui ! Lorsque, en 1973, il a �t� contraint d�enregistrer Avava Inouva, alors qu�il �tait encore lyc�en, adoptant le pseudonyme d�Idir, il pensait que c��tait pour une soir�e. Il ne se voyait pas en artiste. Sa propre m�re, f�rue de po�sie kabyle qu�elle disait et faisait, �tait loin de s�imaginer que ce jeune homme dont la voix commen�ait � �tre sur toutes les radios �tait son propre fils. Elle a cru � la fable selon laquelle l�interpr�te de Avava Inouva,que personne ne connaissait alors, �tait un condisciple de son fils Hamid au lyc�e. Elle disait m�me � son fils : �Invite-le � venir prendre un caf� � la maison�. Il a fallu neuf mois � la m�re pour d�busquer Hamid, son fils, derri�re l��nigmatique Idir dont les chansons sont d�ores et d�j� sur toutes les l�vres. Idir, n� Hamid Cheriet, est un homme r�serv�. C�est un artiste qui pratique une approche paisible et cultiv�e de la musique. Il n�a rien de l�artiste instinctif qui se compla�t dans la d�glingue comme esth�tique et mode de vie. Avec ses lunettes � la monture en m�tal, il a l�air d�un premier de la classe. Ce qu�il a d� �tre au lyc�e, puis � l�universit� d�Alger o� il fr�quentera les cours de g�ologie, ce qui lui octroiera la capacit� � relativiser les choses. Les g�ologues, on le sait, mesurent le temps en milliers d�ann�es. Ce qui le distinguera aussi comme l�un des rares chanteurs kabyles, voire alg�riens, � avoir un niveau d�instruction sup�rieur et la latitude d�avoir une r�flexion non seulement sur la musique, mais aussi sur la soci�t� et la politique. Artiste et intellectuel en m�me temps, Idir l�est. Une autre singularit�. Mais sa singularit� essentielle demeure son incroyable long�vit�. Depuis 1973 et Avava Inouva, bien qu�ayant peu produit en comparaison d�autres artistes kabyles qui mettent sur le march� un � deux albums par an, Idir demeure extr�mement populaire aupr�s du public kabyle tout en ayant �largi son public � plusieurs pays du monde. C�est un v�ritable ambassadeur de la chanson kabyle. C�est de tout cela que nous nous sommes entretenus. Une version plus copieuse de cet entretien para�t dans la revue de l�Association de culture berb�re. Nous voulions aussi en faire profiter les lecteurs du Soir d�Alg�rie.
A. M.
Existe-t-il une rythmique kabyle ?
Pas une, mais plusieurs rythmiques kabyles. De m�me qu�il existe, comme tu le sais, diff�rents chants, tels que celui de la procession, celui qui refl�te l�activit� des travaux champ�tres, celui des f�tes villageoises�
Tu as essay�, en fait, de rendre par des instruments qui ne sont pas forc�ment utilis�s dans la tradition musicale kabyle des rythmiques qui, elles, ne sont que kabyles !
Absolument, comme un gitan ou un manouche prend une guitare et restitue ces connotations d�Europe centrale ou celui d�Espagne te fait un flamenco. J�ai tout simplement essay� de reproduire les rythmiques du bendir. L�instrument ne cr�e pas la m�lodie, c�est ton inspiration artistique qui la cr�e.
Avant de chanter Avava inouva, succ�s qui a vraiment lanc� ta carri�re, t��tais-tu d�j� produit devant un public ?
Avava Inouva n�est pas ma premi�re chanson ! Ma premi�re chanson �tait une comptine pour enfant que devait chanter la c�l�bre Nouara. Elle s�intitulait Rsed Ay Ides ( Que vienne le sommeil) Elle devait la chanter � la t�l�vision, mais comme elle n�est jamais arriv�e, Abdel Madjid, le producteur d�une �mission publique qui s�intitulait �Les cinq �preuves�, est venu me voir au lyc�e en me demandant de remplacer au pied lev� Nouara car j�avais assist� aux r�p�titions. Je ne me sentais pas le courage de chanter, je n��tais que musicien� J�avais d�j� � mon actif quelques petits succ�s, ce que la plupart des gens � l��poque ignoraient. Il faut savoir que, par une sorte de militantisme, je ne signais pas mes textes � Et puis, ce producteur a su me convaincre et je me suis donn� pour pseudonyme Idir. C�est avec un immense trac que j�ai, pour la premi�re fois, chant� en direct. D�ailleurs, � cause de ce trac, je n�ai pas tout de suite compris que ce public bruyant, m�acclamait en fait. J�ai pens� qu�il me huait et me demandait de sortir de sc�ne� C�est � partir de l� que ma carri�re de chanteur a commenc�.
Il existe des tas d�histoires au sujet de Avava Inouva. L�une d�entre elles dit, par exemple, que tu as d� la chanter car personne n�en voulait � l��poque.
C�est vrai. Il y a un chanteur qui a eu mille regrets de ne pas avoir su pr�voir ce succ�s, c�est Slimani, de son nom Slimane Metref. Il la trouvait trop moderne. M�me apr�s l�avoir chant�e moi-m�me en public, je ne pensais pas devenir chanteur. C��tait l�aventure d�un soir apr�s quoi, je retournerais � mes ch�res �tudes. Je suis all� trouver Djamel Allam, qui �tait chanteur dans un cabaret, �a ne l�avait pas plus accroch�. Alors, je l�ai mise de c�t�. Du reste, � l��poque, le rythme musical de cette chanson �tait diff�rent de celle qui, par la suite, a connu le succ�s. J�avais donc le refrain et je suis all� trouver Benmohamed pour lui demander de m��crire deux couplets qui d�crivent les ambiances traditionnelles d�antan, car je souhaitais faire perdurer dans les esprits de chacun celles-ci afin qu�elles ne tombent pas dans l�oubli. Benmohamed a �crit ces deux superbes couplets qui ont ciment� cette chanson.
Elle est pass�e � la radio et produit un �s�isme� dans le monde de la chanson. T�y attendais- tu ?
Pas du tout ! D�ailleurs, cette chanson est venue car mon nom commen�ait � circuler dans la sph�re musicale. Des producteurs locaux s�ont venus voir �ce jeune homme � lunettes�, comme ils me surnommaient, et qui se faisait appeler Idir. La chanson, interpr�t�e par Nassera, une �tudiante, circulait. On commen�ait � l�appr�cier sans savoir qui l�avait �crite ! Des producteurs ont commenc� � l�entendre sur certaines ondes et m�ont mis la pression pour que je l�enregistre. J�ai �t� demander conseil � Cherif Kheddam. Il m�a r�pondu qu�il fallait que je l�enregistre, afin qu�elle ne tombe pas dans l�oubli � J�ai donc enregistr� en 10 minutes cette chanson dans un studio gr�ce au concours d�un technicien qui s�appelait Cheriet. Les conditions d�enregistrement �taient effroyables. Nous ne disposions que d�un seul micro pour deux voix, celle de Zahra et la mienne. Comme quoi, il suffit de peu de choses !
D�apr�s toi, pourquoi cette chanson a connu un tel succ�s ? Et pourquoi a-t-elle contribu� � sortir la po�sie kabyle d�une certaine scl�rose ?
Tu viens de prononcer un mot qui fait partie de ma r�ponse. En effet, il y avait une certaine scl�rose. Les gens se suivaient et s�imitaient les uns les autres. Il y avait A�t Menguellet, qui tr�nait mais alors de tr�s loin sur la chanson kabyle, avec une po�sie extraordinaire. C��tait le chantre de la chanson kabyle, notre idole ! Les compositions de l��poque se basaient toujours sur les m�mes structures : un refrain, un couplet, un refrain, un couplet, cela n�en finissait pas. M�me si Cherif Kheddam, qui arrivait avec une nouvelle structuration musicale en cr�ant des ponts, des r�pliques, cela restait toujours dans la m�me famille musicale. Et puis, avec deux guitares, une pour un solo et une autre pour les arp�ges qui vont avec, et que l�on n�avait pas l�habitude d�entendre, et deux voix, �a le fait. Je pense que la musique a contribu� au succ�s de cette chanson et avec, aussi et surtout, le texte qui parlait de l�histoire de nos anc�tres, de la vie d�antan dans une v�ritable authenticit� Je crois que �a a touch� au plus profond le c�ur de gens. Mais te dire pr�cis�ment pourquoi cette chanson a tant march� Je crois que si je connaissais la recette, je n�aurais fait que des tubes !
Peut-�tre que l�un des �l�ments de r�ponse est que Avava inouva s�adressait � un plus grand nombre car elle refl�tait pour la plupart d�entre nous notre pass� commun.
Je pense que la m�lodie a �norm�ment contribu� au succ�s de celle-ci car je ne m�explique pas pourquoi les gens qui ne comprennent pas la langue kabyle, ont ador� cette chanson ! La magie de la m�lodie, peut-�tre !
Au bout de combien de temps ta m�re a-t-elle compris que le c�l�bre Idir dont tout le monde parlait, �tait son fils ?
Tu ne vas peut-�tre pas le croire, mais il lui a fallu le temps d�une gestation, c�est-�-dire 9 mois.
Depuis tes d�buts, il y a 35 ans maintenant, beaucoup de choses ont chang� en Kabylie et en Alg�rie. Qu�est-ce qui est rest� permanent, malgr� tous les bouleversements ?
Ce qui est rest� permanent pour moi, c�est l�attachement � mes premiers combats, c�est-�-dire celui de la libre disposition des gens et des pays, la souverainet� des peuples, et bien s�r le combat pour mon identit�. Cette identit� est aujourd�hui plus que jamais en danger et tant qu�elle sera menac�e, je me battrai pour sa libert� d�exister.
Mais l�identit� n�est-elle pas aussi une construction intellectuelle ?
Oui, un peu ! Mais celle qui m�importe, et que je veux pr�server, c�est celle qui est en moi, celle de ma famille. Celle qui m�a construit et qui fait que j�ai, comme la plupart de gens de mon village natal, une fa�on bien particuli�re de r�agir aux ph�nom�nes et aux al�as de la vie. C�est � mon sens la meilleure d�finition de l�identit�, de la culture� Cette identit� � laquelle je tiens est li�e � mon enfance. J�ai eu une enfance heureuse, malgr� la guerre et les drames qu�elle a engendr�s. Et puis j�ai eu une vie identitaire, culturelle, assez dense et j�ai peut-�tre envie de retrouver mon �quilibre en recherchant cela, mais, au-del� de tout, il y a cet id�al que je me suis forg�, c'est-�-dire rester quelqu�un d�accessible autant que possible, et qui passe sa vie � partager avec les autres.
Le combat identitaire
D�o� vient ton combat pour l�identit� ? As-tu eu dans ton enfance des mod�les de �combattants identitaires� ?
Le mod�le, pour moi, c��tait avant tout la prise de conscience de la R�volution, et donc celui qui cristallisait au mieux cette identit� : le colonel Amirouche. C��tait assez subjectif � l��poque.
Parce qu�il �tait kabyle ou bien parce qu�il �tait moudjahid ?
D�abord par la proximit� g�ographique, ensuite, � cause des propos que l�on tenait � son sujet ; il avait cette aura : cet homme au caract�re bien tremp� n�aspirait qu�� lib�rer son pays. C��tait � mes yeux un h�ros. Apr�s, au d�but de l�Ind�pendance, j�avais un autre h�ros, c��tait Bessaoud Mohand- Arav, le fondateur de l�Acad�mie berb�re.
Comment l�as-tu connu ? Par la presse, par le courrier que nous recevions, telles ces cartes d�identit� en langue amazighe. On se cherchait et l�on ne se retrouvait pas dans les mod�les que l�Alg�rie nous proposait. Et tu comprends que tu n�es pas celui que l�on te fait croire, que nous avons notre propre histoire culturelle, identitaire. D�ailleurs, nous avions � cette �poque des cartes d�adh�rents � l�Acad�mie berb�re et je me souviens que nous avions des correspondant (es) dans le monde et dans les courriers �chang�s, la premi�re chose sur laquelle nous attirions l�attention de nos correspondants �tait que nous n��tions pas arabes mais kabyles en pr�cisant la gen�se de notre identit� et j�avais d�j� acquis cette id�ologie sans le savoir, par impr�gnation. Et malgr� tous les obstacles, c�est tout naturellement que je me suis engag� dans le combat de la reconnaissance de l�identit� kabyle.
En 1980, tu �tais en France, comment as-tu v�cu les �v�nements du Printemps berb�re ? As-tu �t� surpris ou bien cela t�a-t- il paru in�vitable ?
C��tait in�vitable parce qu�avant les �v�nements, il y avait des �chauffour�es, des incidents que j�ai v�cus moi-m�me. En tant qu��tudiant, j�ai �t� arr�t� plusieurs fois avec d�autres. Nous avons m�me subi des violences de la part des policiers, comme beaucoup d�autres, mais aussi �trange que cela puisse para�tre, cela faisait partie de notre quotidien. Mais l�ann�e 1980 a cristallis� tous les ant�c�dents qui �taient peut-�tre moins spectaculaires, mais tout aussi significatifs. Au-del�, 1980 aura cristallis� surtout l�id�e de la �berb�ritude�. Nous nous sommes fabriqu�s tout un paysage dans lequel figurait Dda Mouloud, La�meche Ali, les berb�ro- mat�rialistes de la fin des ann�es 1940. Gr�ce � Avril 1980, nous sommes arriv�s � nous construire les premi�res pi�ces du puzzle de notre histoire, c�est peut-�tre cela le c�t� positif de cet �v�nement. Mais je pr�cise que je n�ai jamais consid�r� cet �v�nement comme le jalon primordial ; ce n��tait qu�un jalon parmi tant d�autres, qui allait aboutir au 5 Octobre 1988 et � d�autres manifestations� J�ai vite compris que le combat berb�re seul �tait moins viable s�il n��tait pas rattach� � toutes les injustices que subissait le peuple et que si nous n��tions pas tous berb�res, des choses nous unissaient. Un Tlemc�nien faisait comme un Kabyle la cha�ne pour obtenir quelques denr�es alimentaires. C�est ainsi que j�ai �t� persuad� que nous ne pouvions pas d�fendre notre identit� sans combattre toutes les injustices commises par le pouvoir central qui opprimait sans cesse son peuple. Il fallait donc combattre l�oppression dans sa globalit� et pouvoir ainsi revendiquer encore plus fort notre identit�.
Cela veut-il dire que pour toi ton identit� n�existait que dans le cadre de la nation alg�rienne ?
J��tais alg�rien parce que la France en avait d�cid� ainsi, et qu�elle a d�fini les fronti�res d�limitant le Maghreb� Finalement, ce que nous avons retrouv� en 1962, c��tait notre int�grit� territoriale telle que dessin�e par la France. Mais le fait d��tre berb�re tuait ces fronti�res, car je me sentais berb�re chez les gens du Rif. Cela n��tait pas palpable sauf par affinit�s identitaires, voire une m�me base linguistique, une m�me civilisation. Il fallait s�y pencher et c��tait une �uvre de longue haleine, de construction progressive, mais tr�s lente. La notion de Nation �tait beaucoup plus palpable. Cette nation, c��tait un ensemble d�individus qui pouvaient parler diff�rentes langues mais qui �taient unis par un m�me destin sur fond de citoyennet�, de nationalit� avec une histoire identique plus ou moins partag�e. Les �l�ments id�ologiques voulaient l�alt�rer et ne pouvaient pas avoir raison d�elle. Pas d�arabisme ! Le c�t� arabe de l�Alg�rie est compl�tement absurde parce que je ne comprends pas, � ce jour, ce que veut dire �tre arabe en Alg�rie. Pour moi �tre arabe, c�est �tre un habitant d�Arabie. Nous ne pouvons pas dire d�un Qu�b�cois qu�il est fran�ais parce qu�il s�exprime en langue fran�aise. Par contre, je sais que l�Alg�rie est un pays o� l�on s�exprime dans une forme de langue arabe, mais aussi en berb�re, h�breu ou fran�ais mais tous les pays o� l�on parle arabe ne sont unis que par des relations d�int�r�ts �conomiques. La guerre du Golfe a prouv� que ces pays pouvaient entrer en guerre les uns contre les autres. Je pense qu�il n�y a pas de quoi r�unir une unanimit� probante autour de ce sentiment d�arabit�. Mais j�ai su qu�en tant que national, qu�Alg�rien, n� fran�ais et dont l�histoire a fait que je sois devenu alg�rien, j��tais uni par un destin commun avec d�autres Alg�riens qui parlaient une langue diff�rente de la mienne. A cet instant, je savais que je palpais quelque chose et que mon identit� se devait d��tre libre, devait s�exprimer et ainsi d��tre l�gitim�e � l�int�rieur de ce pays, mais sans pour autant remettre en question cette unit�, apparente, et si vrai parce que l�histoire de la R�volution a constitu� un ciment entre les gens.
Es-tu en accord avec cette th�se selon laquelle la nation alg�rienne s�est construite dans le combat anticolonial !
La nation alg�rienne s�est construite � partir du moment o� cette forme de colonialisme est venue et que l�on a senti la diff�rence qui existait entre eux et nous ; mais la toile de fond essentielle, c��tait la diff�rence de religion, il ne faut pas se le cacher, pas se leurrer !
Justement, je souhaitais que l�on parle de l�islam. Comment, enfant, ressentais-tu l�islam ?
L�islam est pour moi un ensemble de r�flexes culturels et c�est de cette mani�re que je les ai pris, sans les dig�rer, sans les concevoir, sans les comprendre. Le fait de jurer pour te convaincre, cela est plus un r�flexe linguistique qu�une r�f�rence � Dieu. C�est comme faire le Ramadan, il y a certaines personnes qui le font par acte culturel, plus que par le respect strict des cinq piliers de l�islam.
Penses-tu qu�il existe une pratique �kabyle� de l�islam ?
Oui, je le pense, car comme tu le sais, chacun d�entre nous vit son propre islam, je veux dire qu�il accommode sa religion avec ce qu�il vit tous les jours, ses propres pens�es, ses superstitions, voire ses croyances� Je dirai que cela pourrait ressembler � une sorte de combinaison que nous nous appliquons et dans laquelle nous vivons notre foi.
Quels sont les m�canismes qui te font penser que l�islamisme est dangereux ?
Je pensais que c��taient les difficult�s �conomiques qui amenaient les gens � d�serter les voies la�ques pour aller se r�fugier dans celles de Dieu. Finalement, je me suis rendu compte que non, car il existait d�autres pays aussi pauvres, mais qui, eux, n�avaient pas subi le contre-coup de l�int�grisme, tels qu�une partie du B�nin, du S�n�gal. Maintenant si l�int�grisme venait � envahir ces pays, cela serait li� � l�importation politique de cette id�e. En fait, dans l�histoire des hommes, le fait culturel a toujours pr�domin� sur le politique, le social� Il fallait �tre soi-m�me, entier pour se r�aliser par rapport au monde ext�rieur. Quand la culture, et par d�rivation l��ducation a d�sert� l�espace territorial, la place est rest�e vacante pour d�autres ph�nom�nes tels que l�interpr�tation assez populiste de certaines croyances religieuses ou autres� C�est l� que cela devient dangereux. Si la culture n�avait pas d�sert� des pays tels que l�Iran, si certains dictateurs ou les dirigeants de certains pays n�avaient pas failli en maintenant leur peuple dans l�ignorance, et si nous avions su d�finir la diff�rence entre une religion et une culture, je pense que nous n�en serions pas arriv�s � ces situations. D�ailleurs, si la Kabylie et d�autres r�gions ont su �viter cet int�grisme, c�est parce qu�elles avaient cette raison de vivre et cette identit� assez forte et qu�elles n�avaient pas besoin de valeurs �refuges� telles que celles propos�es par l�int�grisme. Les villes n�ont, quant � elles, pas pu �viter cette dictature de l�int�grisme du fait de leur cosmopolitisme qui n�a jamais su d�finir les identit�s de chacun. Les islamistes ont tr�s vite compris qu�ils devaient impr�gner par leurs propres id�es les champs de l�enseignement et de l��ducation s�ils voulaient r�gner. C�est donc l�absence d�enseignement et d��ducation qui a fait le lit de l�int�grisme. Si l�Alg�rie avait pu prendre pleinement conscience de l�importance d��duquer ses enfants, je pense qu�elle n�aurait jamais connu l�int�grisme. A l�ind�pendance, nous avions tout simplement pu retrouver un territoire mais quand il s��tait agi de donner une d�finition propre � l�Alg�rie, on a cru bon de la rattacher � un monde arabe abstrait et mythique. Je n�ai pas compris pourquoi cette r�f�rence puisque nous �tions d�abord m�diterran�ens. Politiquement, je ne voyais pas autour de quel principe nous pouvions �tre rattach�s au monde arabe car nous ne pouvions pas comparer une monarchie r�trograde � la saoudienne, � un lib�ralisme � la tunisienne et � l��poque � un socialisme � l�alg�rienne. Culturellement si toi et moi par exemple, nous n��tions pas sortis de notre village, nous n�aurions peut-�tre jamais parl� un mot d�arabe m�me dialectal. Du point de vue religieux, le fait musulman n�est pas strictement arabe, il est tout aussi bosniaque, chinois, iranien� L�Alg�rie, en 1962, a ignor� l�enseignement de la langue fran�aise sous pr�texte qu�elle �tait la langue du colonialisme comme s�il y avait un amalgame entre Montesquieu, Voltaire et Diderot� Nous avons uniformis� id�ologiquement une certaine apparence de l�Alg�rien qui devait correspondre aux crit�res d�finis par l�Etat, et quand on rigidifie � ce point les articulations importantes, qui pouvaient emmener un �chantillon de la population vers la lumi�re, il ne faut pas s��tonner qu�un jour on plonge dans des �chappatoires, des couloirs qui de fait sont des sens interdits, voire des impasses. On ne nous a pas donn� l�ouverture n�cessaire pour porter un autre regard sur le monde dans lequel nous vivions.
Mais ne penses-tu pas qu�il y a d�autres �l�ments qui ont contribu� � la propagation de l�islamisme tels que les calculs g�opolitiques et la manipulation ?
Bien entendu, c�est cela qui a fait le reste. D�s qu�il y a quelque chose qui bouge, c�est tout de suite � la port�e des politiciens, des commer�ants et puis aussi de ceux dont les int�r�ts refl�tent ceci ou cela. Les pays occidentaux qui ne sont pas innocents dans toute cette strat�gie, n�oublions pas que Khomeiny �tait �l�invit� de la France.
L�islamisme te para�t-il �tre le principal danger dans un pays comme l�Alg�rie ?
Il est important, dans tous les cas. Les histoires de �concorde civile � m�me si cela reste un v�u pieux, je n�y crois absolument pas. Tu ne peux pas convertir une personne qui vit une autre croyance que la tienne et qui pense fermement que devenir un martyr en se tuant et en tuant d�autres, lui ouvrira les portes du Paradis o� elle retrouvera ses 99 houris en s�enivrant. C�est en reprenant le probl�me � sa base que tu peux combattre cette id�ologie� Il faut absolument �duquer les gens afin qu�ils acqui�rent leur propre libert� de penser et c�est seulement ainsi que les comportements changeront� L�int�grisme est la forme extr�me de l�interpr�tation religieuse et d�s lors qu�il est li� aux bas instincts de l�homme, nous sommes foutus. Et tout ce qui se passe en Alg�rie ou ailleurs me porte � croire que nous devrons, pendant quelques ann�es encore, retrousser les manches pour combattre cet obscurantisme. Je te livre ici mon propre sentiment et non une analyse politicienne, car je veux juste �tre un t�moin.
Les cl�s de sol
Revenons � la musique, construis-tu celle-ci � travers tes recherches, je crois savoir que tu es f�ru de musiques sacr�es, y puises-tu ton inspiration ?
J�ai d�abord ramen� avec moi beaucoup de mat�riaux. Pendant ma p�riode estudiantine, j�ai sillonn� mon pays et j�ai d�couvert, chez des personnes, un formidable r�pertoire de chansons ancestrales que j�ai pu enregistrer. J��tais toujours � l�aff�t de n�importe quel po�me, histoire et je poss�de environ 400 heures d�enregistrement de tout ce que j�ai pu recueillir au cours de mes voyages. C�est une v�ritable mine d�or qui est une source d�inspiration in�puisable. J�ai eu la chance d�avoir une grand-m�re et une m�re po�tesses� Ma m�re, qui est toujours en vie et avec laquelle j�ai le bonheur d��changer, est partie prenante de mon propre univers musical. Je t�avouerai que j�ai aussi toujours eu cet amour pour la po�sie d�antan que je retrouve dans n�importe quel caf� du XXe arrondissement de Paris, un vieux Kabyle a toujours une histoire � te raconter et c�est ce v�ritable tr�sor que je tiens � pr�server tout au long de ma vie. Et puis, sans �tre pr�tentieux, je dois te dire que je connais assez bien la gen�se de mon r�pertoire folklorique, les instruments propres que l�on y applique, les diff�rents genres et sp�cificit�s musicales � J�ai ainsi �tudi� l��volution de la musique qui vient par exemple des Chaouias qui ressemble � celle du Mont Constantinois, de l�est qui s�estompe un peu vers S�tif et qui arrive vers Bougie et subit l�influence de la musique de la Soummam et au-del� du Djurdjura cette musique qui n�est pas tr�s �loign�e car proche des intonations de celle des chants touareg� Je pense conna�tre les contours sociologiques de cette musique, et c�est dans ce bagage que je puise mon inspiration.
Quel sentiment ressens-tu quand d�autres artistes interpr�tent dans leur langue quelques-unes de tes chansons ?
Tu touches du doigt une sensation tr�s importante pour moi. M�me si j�ai jet� depuis bien longtemps ces sentiments d�honneur et de fiert� �kabyles� par la fen�tre, car je pense que nous devons vivre tels que nous sommes, c'est-�-dire simplement sans aucune fiert�, �tre juste un homme, j�avoue que quand j�entends un artiste qui habite dans un pays tr�s �loign� du mien, et qui a simplement ressenti ma m�lodie, la reprend dans sa propre langue, je me dis que je suis arriv� gr�ce � ce que je transporte dans mon petit bagage musical, � communiquer avec lui au-del� de nos fronti�res et de nos diff�rences religieuses ou autres, � lui inspirer juste une �motion et j�en tire beaucoup de plaisir et je me sens quelque part utile !
D�ailleurs, au cours d�un de tes spectacles, tu as rencontr� des personnes qui t�ont remerci� d�avoir repris une chanson turque !
C��tait � H�rouville-Saint-Clair o� vit une forte population turque. J��tais en train de chanter Azgar et � mon grand �tonnement une partie du public s�est lev�e et a commenc� � danser. Apr�s le spectacle, certains sont venus me dire que c��tait tr�s gentil de ma part d�avoir repris cette chanson du r�pertoire turc� Je leur ai signal� que j��tais bien l�auteur de la chanson, qui avait �t� reprise par une c�l�bre chanteuse d�origine turque. Qu�elle ne f�t pas leur surprise car ils �taient persuad�s du contraire !
Chanter en Alg�rie ne te manque-t-il pas ?
Forc�ment� Mais cela me manque surtout de ne pas chanter en Kabylie, puisque mes textes racontent la vie quotidienne des habitants de cette r�gion o� j�ai grandi ! Ailleurs, �galement, parce que l�on a envie d��tre reconnu au-del� de sa propre r�gion, de son propre village ! Et je t�avoue qu�avec les ann�es, ce sentiment devient de plus en plus mythique. Il ne me reste plus que cette �kabylit� � , qui est en moi . C�est cette r�gion qui m�a port� et qui m�a laiss� m�exprimer et cela a �t� mon tout premier public et je lui suis redevable� Je ne fais jamais un disque, sans penser � lui, m�me si c�est un disque tel que celui de La France des couleur sou Identit�s qui sont un peu �loign�s de la culture kabyle. Je ne compose jamais sans avoir une pens�e o� est concern�e une partie des habitants de cette Kabylie. D�ailleurs, quand je retourne en Alg�rie, ce pays que j�aime, cette kabylit�, je la sens en moi. Je la palpe tous les jours, malgr� le sentiment d�ins�curit� qui m�envahit d�s que je pose un pied sur le sol alg�rien.
Il y a environ un an, tu as effectu� un voyage en compagnie de Zidane, en Alg�rie. Les gens de ton village ont �t� frustr�s que tu ne sois pas all� les voir.
Mais je tiens ici � pr�ciser les choses. Je n�ai pas �t� invit� officiellement par l�Alg�rie. C�est Zidane qui m�a demand� de l�accompagner car je repr�sente � ses yeux une r�f�rence identitaire qui d�finirait le lien entre ses parents et lui. J�ai accept� sa proposition en lui signalant que, de par mon histoire, je ne souhaitais pas �tre associ� au pouvoir alg�rien. Zidane a donc �t� le seul invit� officiel et, vu sa popularit� en Alg�rie, nous avions des plans de voyage qui n�ont pas �t� fix�s par nous, et qui changeaient tous les jours. Descendre en Alg�rie sans aller en Kabylie, cela m�a co�t� !
Quels rapports entretiens-tu ou entretenais-tu avec les principaux chanteurs kabyles. Matoub Loun�s, par exemple ?
J�ai eu le grand honneur d�assister � ses d�buts. Quand il est arriv� en France, il est venu me rendre visite et je l�ai aid� Et puis, son immense talent a fait le reste. Nous sommes devenus de v�ritables amis, partageant d�autres choses que la chanson, les choses de la vie comme on dit ! Il y a un autre chanteur avec qui j�ai eu tr�s vite des affinit�s, c�est A�t Menguellet. J�ai la m�me admiration pour lui que celle que j�avais pour Matoub. Nous avons partag� ensemble de forts moments� Je pense qu�il existe peu de chanteurs avec lesquels je ne me sois entendu� A chaque sollicitation, j�ai modestement donn� ce que je pouvais. C�est vrai que j�ai une certaine nostalgie de nos anciens chanteurs, les jeunes me parlent un peu moins parce que, politiquement, ils n�ont rien � m�apprendre et je n�ai rien � leur apprendre ; et puis, j�ai beaucoup de difficult�s � ressentir l��motion qu�ils transposent dans leurs chansons...
Comme les principaux chefs de file de la chanson kabyle, tu es souvent imit� par des jeunes artistes ! Comment analyses-tu ce ph�nom�ne ?
Oui j�ai remarqu� cela� Mais c�est peut-�tre parce qu�il existe un manque de v�ritable vocation. Nous avons tous besoin de mythes, de rep�res, que l�on a quelquefois perdus� Et puis, on aime la musique pour la musique, cela n�est pas pour autant que la vocation, le don est pr�sent. D�ailleurs, j�ai remarqu� qu�en Alg�rie, d�s qu�un nouvel artiste sort son premier disque, s�il doit faire carri�re, c�est tout de suite ou jamais� Il n�existe pas, comme en France, ce mythe du chanteur qui bouffe de la vache enrag�e pendant quelques ann�es et qui, apr�s, arrive enfin � percer tels que Charles Aznavour, Brel, Brassens� Par exemple, Hasnaoui, Cherif Kheddam, Idir ont tout de suite �t� reconnus. Je ne parle m�me pas du ph�nom�ne Slimane Azem, Matoub ou Menguellet... Le public adule ou rejette tout de suite, il n�offre pas de seconde chance ! D�ailleurs, ce public s�est rarement tromp� et c�est curieux, car si tu analyses le r�pertoire de la chanson kabyle, tu d�couvres qu�il existe un lien tr�s fort qui unit d�s le d�but le chanteur � son public ! Ce qui explique pourquoi aucun artiste ne peut manger de la vache enrag�e comme dans d�autres pays. D�ailleurs, il n�existait pas d�interm�diaires entre le chanteur et son public, nous n�avons pas d�impr�sarios par exemple !
Cela s�explique par le fait que la chanson kabyle a �t� le m�dia de l�expression d�un peuple car il n�y avait aucun journal, pas de radio ni t�l�vision qui puissent relayer cela !
Et nous avions des places de choix. D�ailleurs, � l��poque, n�importe quel Kabyle achetait un disque uniquement pour �couter ce que l�artiste avait � dire et quel �tait le message qu�il voulait lui transmettre !
En dehors de la presse, quelles sont tes lectures ?
Je lis un peu de tout, surtout des magazines� Mais aussi de temps � autre des livres. Le dernier livre que j�ai lu est Le livre de ma m�re d�Albert Cohen. Il s�agit d�un travail sur soi, car l�auteur a eu des relations tr�s conflictuelles avec sa m�re et il a essay� de retranscrire celles-ci en leur donnant un angle diff�rent. J�aime bien aussi les polars, et j�aime beaucoup les �tudes de caract�res, je suis assez classique dans mes lectures, un peu balzacien sur les bords !
Tu lis un ouvrage par mois, par trimestre, par an ?
Mes lectures sont li�es au rythme de mes spectacles� J�en fais �norm�ment, et je lis environ un livre par mois, pas par ennui de l�artiste qui se retrouve seul dans sa chambre d�h�tel, mais par envie ; et c�est vraiment le seul moment o� je peux consacrer du temps � la lecture.
En musique, �coutes-tu du classique ?
Beaucoup. La musique classique est partag�e par trois grands compositeurs. Le reste en est d�riv� : la virtuosit� avec Mozart, le g�nie avec Beethoven et la technique avec Bach. Apr�s eux, on n�a plus rien invent�. La puissance et le g�nie de Beethoven font que ses symphonies sont tr�s compl�tes m�me s�il y a une qui se nomme �Symphonie inachev�e� ; la l�g�ret� et l�ing�niosit� de Mozart ont rendu sa musique accessible au plus grand nombre d�entre nous car tr�s vivante. Bach, avec ses fugues et sa technique du contrepoint, donne une id�e compl�te de ce que peut �tre la rigueur dans la musique. Et puis, apr�s sont venus Haydn, Chopin, Tcha�kovski, qui ont d�fini les pr�mices du folklore qui s�instille progressivement dans les musiques classiques jusqu�� l�arriv�e de Bartok qui a banalis� tout cela.
Peux-tu nous d�crire en quelques mots le processus de la cr�ation d�une chanson ?
Il n�y a pas de v�ritable processus, pour ma part. Rien n�est d�fini � l�avance, c�est peut-�tre cela la v�ritable cr�ation. Et puis, l�inspiration ne vient pas uniquement devant une feuille blanche. Elle peut aussi se situer dans des �changes comme ceux que nous avons en ce moment� Il suffit parfois d�un mot qui va m�interpeller et devenir le fil conducteur qui m�am�nera � cr�er soit des paroles ou de la musique, tout ce qui fera une chanson, bien entendu quand je suis � la fois auteur-compositeur. Par contre, quand il s�agit de collaborer avec d�autres artistes, ce que l�on appelle la chanson dite militante, comme celle �crite en collaboration avec Benmohamed, le travail et l�inspiration sont diff�rents. Mais je reconnais que je n�ai jamais pris autant de plaisir que quand je compose par moi-m�me d�abord une musique et puis j�y colle des mots, je crois � la valeur des notes plus que les mots, m�me si chez nous les mots priment sur les notes. Notre po�sie est profond�ment populaire, elle a souvent puis� son inspiration dans le quotidien des gens. Par exemple, quand un villageois d�couvre qu�un autre a d�riv� le cours du ruisseau � son profit, sa r�action se traduit par des mots qui peuvent �tre violents mais qui, par leur magie, vont former toute une po�sie qui va impr�gner la m�moire collective. Cela me laisse perplexe, et je suis toujours �tonn� par l�origine de la quintessence de la po�sie. D�ailleurs, les mots sont plus forts � mon sens que le son produit par nos quelques instruments tels que la fl�te ; ils ne nous offrent pas la panoplie compl�te pour pouvoir restituer des �motions. Nous ne poss�dons pas, dans notre r�pertoire, des instruments tels que le violon, la harpe qui peuvent, � eux seuls, traduire des �motions. C�est pourquoi j�ai vite ressenti que seule la puissance des mots pouvait apporter une dimension suppl�mentaire � la musique traditionnelle kabyle.
Dans ton dernier album, tu chantes en compagnie de ta fille un texte �crit par Grand Corps Malade. Peux-tu nous expliquer la gen�se de cette chanson ? C�est la synth�se de quelque chose � laquelle tu t�attendais dans ton parcours d�artiste ?
Officiellement, peut-�tre que non ! Mais je suis tr�s proche de mes deux enfants, avec lesquels je partage la musique. Mon fils est guitariste et ma fille pianiste. Je leur ai conseill� d�avoir �galement une formation en musique classique pour la rigueur, en les alertant sur le fait qu�ils devraient par la suite s�en �loigner afin de pouvoir s�ouvrir � d�autres musiques, telles que le r�pertoire kabyle. A la maison, nous jouions souvent tous les trois ensemble. Mais je n�aurais pas imagin� que ce que je partageais avec eux dans notre intimit� nous am�nerait � le partager sur une sc�ne devant un public. Je les ai toujours prot�g�s des dangers du milieu artistique. Je ne souhaitais pas qu�ils aient tous les deux une image fauss�e par la notori�t� de leur p�re qui aurait pu leur appara�tre comme une ic�ne. Je voulais et je veux tout simplement �tre un p�re comme les autres. Quand j�ai commenc� � travailler avec Grand Corps Malade sur ce texte ma fille n��tait pas loin. Elle m�a dit qu�elle trouvait le texte magnifique et profond�ment juste car il collait � la r�alit� que certaines filles de son lyc�e vivaient. Elle m�a donc propos� quelques m�lodies qui pouvaient accompagner ce texte et nous avons d�cid� d�aller au bout de notre collaboration en chantant tous les deux cette chanson. Pour revenir � ta question, le fait que ce soit ma fille qui ait choisi de faire la musique de cette chanson parce qu�elle a �t� sensible � celui-ci m�a int�ress�, non pas parce que c�est ma fille, mais parce que ce sentiment, d�autres auraient pu le ressentir. J�avais d�ailleurs peur que cela soit mal interpr�t� par mon public. Je ne voulais surtout pas qu�on pense que je souhaitais l�imposer. Mais quand je me suis aper�u � quel point elle vivait ce texte, qu�elle avait v�ritablement envie d��tre partie prenante, alors je lui ai dit : pourquoi pas ? Le v�ritable plaisir que j�ai retir� de cette exp�rience, c�est cette coh�rence entre Grand Corps Malade, ma fille et moi pour partager ce th�me. Mais ce que je raconte dans cette chanson, ne le d�die pas � ma fille car elle ne vit pas les conditions d�crites dans ce texte.


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