Quand les premiers coups de feu avaient éclaté en d'avril 1991, personne ne se doutait de ce qui allait se passer réellement dans les Balkans, une région qui, se rendra-t-on compte quinze années plus tard, porte bien son nom. L'éclatement de la région jusqu'à l'infiniment petit. C'est ce qui s'est d'ailleurs produit avec une succession d'éclatements de la Fédération yougoslave forte jusqu'en 1991 de six Etats et de deux régions autonomes. Rien de tout cela ne subsiste. Il n'y avait rien de prémonitoire dans ce que disait son dernier président, devenu six mois plus tard celui du nouvel Etat indépendant de Croatie et surtout ennemi juré des Serbes qui allaient alors tout perdre, jusqu'à leur président, Slobodan Milosevic, mort dans une prison du Tribunal pénal international (TPI) qui le jugeait pour crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocide. C'est la fin d'une époque et le début d'une autre, avec cette fois le Monténégro qui faisait hier ses premiers pas en tant qu'Etat souverain après avoir proclamé la veille son indépendance mettant fin à près de 90 ans d'union avec la Serbie. « Indépendant pour toujours », a titré à la Une le quotidien indépendantiste Vijesti en caractères géants. « Une journée historique », « Que le Monténégro soit éternel ! », a renchéri le journal du gouvernement Pobjeda. L'une des premières démarches du Monténégro indépendant sera de demander demain son adhésion à l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), selon Vijesti. Lors du prochain sommet de l'Otan, Podgorica réclamera son adhésion au partenariat pour la paix, a annoncé, selon le quotidien, le président Filip Vujanovic. Le Monténégro est désormais un nouveau pays sur la carte du monde dont l'apparition marque le démantèlement définitif de la Yougoslavie. La Serbie devient, parallèlement elle aussi, un Etat indépendant ; les autres Républiques ayant quitté la Yougoslavie lors des guerres qui ont ensanglanté les Balkans dans les années 1990. « J'annonce que le Parlement du Monténégro a voté pour la proclamation de l'indépendance du Monténégro », a dit samedi soir devant les députés réunis en session extraordinaire le président du Parlement, Ranko Krivokapic. Lors du référendum du 21 mai, les Monténégrins s'étaient prononcés à 55,5% pour l'indépendance, dépassant d'un demi-point le seuil fixé par l'Union européenne. Mais les partis favorables au maintien de l'union avec la Serbie ont boycotté la session du Parlement, révélant un pays divisé qui devra passer par une étape de réconciliation. « L'indépendance sans l'opposition », a titré hier le quotidien unioniste Dan. La Serbie, qui avait soutenu les unionistes, a accueilli avec amertume la séparation de son petit voisin après avoir espéré que les liens historiques, culturels ou religieux qui unissent depuis des siècles les deux pays, seraient les plus forts. Après de courtes périodes d'indépendance, le Monténégro était lié à la Serbie en 1918. Bien qu'invités, aucun des dirigeants serbes n'a assisté à la proclamation de l'indépendance monténégrine. Le Premier ministre, Vojislav Kostunica, conservateur modéré, fervent partisan du maintien de l'union, a été le plus amer. Il a rejeté la responsabilité du choix monténégrin sur l'Union européenne, « responsable, a-t-il dit, aussi bien des règles du référendum que de la proclamation des résultats ». Une attitude qui risque de tendre les relations avec Podgorica, alors que l'UE a souhaité « un divorce de velours » et « des relations constructives ». L'on notera à ce sujet, les critiques adressées à l'UE qui s'est permis de fixer des critères ce qui ne relevait pas de ses compétences, estime-t-on dans les milieux européens sensibles aux questions du nationalisme, puisque l'on craint que cela fasse tache d'huile en ce qui concerne par exemple le pays basque espagnol et Chypre. Par ailleurs, l'UE a, dès le soir du vote, fait savoir que la déclaration d'indépendance ne constituait pas un raccourci en vue de l'adhésion en son sein. Le président serbe, Boris Tadic, s'est toutefois posé en conciliateur, souhaitant au nouveau pays « paix, stabilité et prospérité ». Au terme de la charte constitutionnelle qui avait défini en 2003 l'Etat de Serbie-Monténégro, la Serbie hérite du statut international, du siège à l'ONU et des représentations dans les institutions politiques ou financières. Le Monténégro devra, de son côté, faire toutes les démarches nécessaires pour être reconnu internationalement. Il a d'ores et déjà défini sa priorité. « L'intégration aux institutions euro-atlantiques » figure en tête de sa « déclaration d'indépendance ». Au-delà des problèmes politiques, c'est dans le domaine économique qu'il devra faire ses preuves. Considéré comme une des régions les plus pauvres des Balkans, il mise sur l'attrait touristique de ses paysages montagneux et de sa petite côte adriatique, mais il devra améliorer ses infrastructures s'il veut dépasser le chiffre actuel de quelque 900 000 touristes par an. En ce qui concerne les Balkans ou ce qu'il en reste, rien n'est aussi clair, avec la probable indépendance de la province du Kosovo théâtre d'une guerre en 1999 marquée par une intervention de l'Otan. Depuis cette date, cette province a changé de visage pour devenir comme cela se dit dans la région éthniquement homogène ou presque, puisque la population serbe qui l'habitait a fini dans sa grande majorité par la quitter, le plus souvent sous la contrainte. Ce qui donne un sens étroit aux négociations sur le statut final alors même que cette province s'est dotée de tous les attributs de souveraineté.