L'histoire qui va suivre est tirée de faits réels. Seuls ont été changés les noms des protagonistes ainsi que les lieux dans un souci de respect pour les personnes. Dans ce hameau du massif central kabyle vivait, heureuse, une petite famille. Le père Ahmed possède une épicerie et gagne assez bien sa vie. Il chérissait sa petite famille composée de Nna Fathma, son épouse, qui à force de tisser burnous et tapis a pu finalement aider son époux à mettre de côté une petite somme et à envisager d'acheter un véhicule. Les mauvais jours ne sont plus qu'un vieux cauchemar et à la naissance du seul garçon de la famille, celui qui vient après quatre filles, la joie était réelle. Nna Fathma et le vieil Ahmed se rappellent avoir non seulement sacrifié un bélier pour faire une ouaâda (offrande de couscous et de viande) aux villageois mais en sus, ont présenté une offrande, à l'endroit où le saint de la région Cheikh Ben Abderahmane est enterré. La famille vivait discrètement et sans faire dans la montre ; respectueux des traditions du village, Ahmed et Fathma ont tout fait pour donner une instruction à leurs enfants. Les filles ont été placées chez un parent en ville où elles ont pu suivre leurs études, l'aînée jusqu'au baccalauréat et les autres, ayant pu aller plus loin, avec leur diplôme d'ingénieur. Venu tard, le garçon fréquentait le collège de la ville voisine et c'est finalement tous les matins et tous les soirs que le vieil Ahmed assurait le transport entre la maison et le collège. Tout semble aller pour le mieux et Nna Fathma s'apprête à marier sa grande, le couscous est déjà roulé et les préparatifs vont bon train. Mais voilà, en Kabylie on dit que «le mauvais oeil ne les a pas oubliés». En un tour de main, la vie tranquille et heureuse de la maisonnée vira au cauchemar. La série de malheurs La vie joue de ces tours souvent impossibles à imaginer ! Donc le vieil Ahmed en se rendant au collège de la ville voisine chercher son fils Belkacem du collège, a dérapé et fait une chute dans le ravin. II a fallu trois longues journées de recherches pour que les habitants du hameau arrivent enfin à trouver le corps du vieil homme et le ramener au village pour y être enterré, Fathma comprit tout de suite que le malheur qui frappait sa maisonnée était grand. Elle s'apprêta à vivre des moments très difficiles et s'arma de tout son courage pour faire face au destin. Elle comprit que la vie ne serait pas facile mais tout de même supportable. Aussi, et après le deuil, elle se mit elle-même derrière le comptoir de la petite épicerie familiale et insista pour que Bellkacem ne manquât pas de suivre ses études. La nuit, une fois la maisonnée endormie, elle est là, derrière le métier à tisser pour essayer de gagner un peu plus car les enfants ne doivent manquer de rien. L'aînée est enfin mariée et semble heureuse avec son mari, les autres filles, pensent, comme toutes les jeunes filles de leur âge, à trouver un emploi en ville et ainsi aider leur maman. Tout semble avoir repris le chemin de la tranquillité quand la plus jeune des filles Saâdia, une jeune fille superbe à la taille élancée et au port altier, le tout rehaussé d'un teint de pêche, tomba sur un jeune homme beau parleur. Saâdia ne rêvait plus que de sa vie future avec ce jeune homme, rencontré à Tizi-Ouzou et, souvent elle demanda à sa mère la permission de se rendre en ville. Pour que la vieille Nna Fadhma donnât son autorisation la jeune Saadia inventait une histoire de dossier à déposer en vue d'un travail. En fait, Saadia une fois en ville, court rejoindre Amine, c'est du moins le nom qu'il avait donné à la jeune fille. Saâdia était très éprise et certainement, ne remarquait pas tous ces petits détails qui auraient dû en principe éveiller ses soupçons. Amine, puisqu'Amine il y a, est en fait un dealer et aussi un jeune veule, fainéant et qui ne vit que par et pour le vice. Lors de ses rencontres avec la jeune Saâdia, il lui remet toujours un paquet enveloppé dans du papier journal en lui disant «garde moi cela dans ton sac, je n'ai pas où le mettre, tu me le donneras tout à l'heure.» En fait, dans ce paquet, Amine cachait la quantité de chanvre indien qu'il devait livrer dans la soirée et pour éviter tout contrôle inopiné des policiers, il cachait sa drogue chez Saâdia. C'est d'ailleurs elle, qui, sans faire attention remettait, cette drogue aux clients d'Amine. Les choses durèrent ainsi assez longtemps, aussi Amine décida-t-il d'épouser sa dulcinée et c'est une fête sobre et belle que Nna Fathma organisa pour la circonstance. Saâdia et son époux louent un appartement dans une petite ville proche de Tizi-Ouzou et durant près de six mois, vécurent un vrai conte de fée. La jeune femme qui nageait dans le bonheur ramena près d'elle Houria sa soeur et Belkacem son jeune frère faisait de fréquentes visites. Nna Fathma pensait que les temps de malheur étaient derrière elle! A peine le sixième mois achevé, voici que Amine révèle sa vraie nature de loup et contre toute morale, commença à initier sa femme et même sa belle-soeur aux cigarettes d'abord ensuite à l'alcool et enfin à la drogue. Doucement, se faisant persuasif et tendre, et présentant cela comme le nec de plus ultra des foyers «libérés», les jeunes se firent ainsi aux lubies d'Amine. Jusqu'à Belkacem qui n'a pas échappé à l'emprise d'Amine, le mal nommé! L'intention du brigand était claire, c'était amener les deux jeunes et Belkacem à la dépendance et ensuite faire de sa maison un tripot où les clients pouvaient venir s'offrir, le temps d'une soirée, une agréable compagnie et fumer un joint tout en sirotant de l'alcool. Belkacem, lui, sera chargé d'écouler la marchandise. Les choses commencèrent doucement et la famille d'Amine devint très connue sur la place. Belkacem, devenu un véritable accro à la drogue, délaissa ses études et se mit à écouler des quantités de plus en plus grandes de drogue. Amine ne voyait que les billets qu'il entassait, il se disait qu'il sera toujours temps de se retirer et en flanquant ces deux jeunes à la porte, de se racheter une conduite. Les visites de la vieille Fathma sont organisées de telle sorte que la vieille ne se doute de rien ! Mais voilà, tant va la cruche à l'eau... une soirée particulièrement arrosée, une bagarre éclate entre deux consommateurs, l'un et l'autre se battent pour Houria. Cette dernière, encore innocente, prenait un certain plaisir à voir ces mâles se battre pour ses beaux yeux. Saâdia, quant à elle, était depuis longtemps dans les «vapeurs» ayant trop forcé sur le kif et le Ricard ! Les deux adversaires en vinrent aux mains et la bagarre qui éclata se transforma rapidement en une lutte au finish! Et ce qui devait arriver arriva! L'un des protagonistes larda son adversaire de coups de couteau, ce dernier s'écroula raide mort! La police s'en mêla, arrêta tout ce beau monde et le présenta à la justice, l'enquête déclenchée fit découvrir le pot aux roses et toute la petite ville sut à quel genre de «plaisirs nocturnes» s'adonnaient les bruyants voisins. Belkacem ne tarda pas, lui aussi, à être arrêté. Aussi, n'ayant plus de nouvelles de ses trois enfants et de son gendre, la vieille Nna Fathma alla aux nouvelles ! Devant la porte close elle se posa des questions et les voisins, pensant avoir à faire à une vieille de la même engeance que les jeunes, la chassèrent avec force imprécations. Il lui a fallu longtemps pour comprendre la situation et, d'un pas hésitant, décida de mieux se renseigner auprès des juges Ces derniers la reçurent et avec beaucoup de ménagement lui expliquèrent que ses enfants et son gendre étaient en prison. Sous le choc, Nna Fathma dont le coeur usé ne pouvait supporter toute cette honte, ne tarda pas à rendre l'âme. Le village l'enterra, la maison et l'épicerie furent fermées. Une histoire prenait fin et une autre commençait. Fin tragique Quinze longues années se sont écoulées depuis le néfaste soir du crime. Lourdement condamnées, les deux soeurs s'apprêtent à rejoindre, dehors, Belkacem leur frère libéré depuis près de cinq années déjà! Quand il leur rendait de temps à autre visite à la maison d'arrêt, Belkacem mentait à Saâdia et à Houria. Elles se doutaient bien de quelque chose mais il fallait bien quelqu'un ou quelque chose à quoi ou à qui s'accrocher. La réalité est hélas d'une amère réalité. Sans emploi, Belkacem qui, à sa libération, avait voulu rejoindre son village, retrouva, la maison familiale dans un triste état. Même les murs avaient comme vieilli et le toit semblait s'être affaissé sous le poids de la honte. Les voisins et les gens du village ont très mal accueilli ce «fils de la perdition» et lui ont signifié qu'il était indésirable. Bien plus encore, durant cette première nuit qu'il a passée dans la maison il eut des visions. A demi-éveillé, Belkacem crut voir clairement son père et sa mère pleurer et, le fixant droit dans les yeux, ils lui dirent «Qu'as tu fait de ta vie? Où sont tes soeurs?» C'est tout tremblant qu'il attendit l'aube pour partir ailleurs, avec l'idée de ne jamais revenir dans ce village. En ville, il a essayé de trouver du travail, n'importe lequel, il n'a jamais refusé l'emploi le plus dur et le plus rebutant. La nuit, il dormait soit au bain maure soit dans un hangar abandonné. Après plusieurs mois de cette vie d'errance et de privation, il retomba sous l'emprise de l'alcool. Belkacem buvait pour oublier. Maigre, sale, have et coléreux il abandonna son travail pour s'acoquiner avec d'autres appartenant au monde des enfants perdus. Quand, de temps à autre, il lui arrive de se souvenir de ses soeurs, il s'arrange quelque peu, emprunte à l'un et à l'autre des vêtements assez propres, et, muni de quelques victuailles, se rend au parloir. Saâdia, la grande a très vite compris que son frère avait replongé dans l'ancienne vie. Mais voilà, c'est le seul être qui leur reste et elle se dit «quand on sortira, je vais prendre tout cela en mains » Le jour attendu par les soeurs arriva. Belkacem les attendait devant la porte de la prison. Mais les trois n'avaient ni toit ni argent. Pas question pour elles, deux , de retourner au village et rester en ville coûte assez cher! Durant quelques jours, les deux soeurs ont pu être hébergées par une ancienne amie de Houria, mais les parents de cette dernière apprirent que les deux soeurs étaient en fait d'anciennes prisonnières, et ils les chassèrent de la maison. Saâdia et Houria se mirent en quête d'un emploi et d'un toit, mais la vie est si difficile pour des seules. Les familles ne voulurent pas les accepter sous leur toit et les hommes ont d'autres pensées. De guerre las, Saâdia et Houria cherchèrent Belkacem et ensemble tinrent un véritable conseil. Durant toute une nuit, assis sur le banc d'un jardin public et dans le froid glacial de décembre, les trois jeunes devisèrent. II leur fallait du travail et un toit mais pour cela il leur fallait d'abord changer de ville. Or, sans argent ils sont comme coincés et partir était un rêve impossible! Saadia eut une idée des plus sombres: se suicider, puisque la vie ne veut pas d'eux, eh bien, ils rejoindront leurs parents dans l'autre monde. Houria tressaillit mais Belkacem comme anesthésié par les vapeurs d'alcool ne dit rien. En son for intérieur, Saadia se disait que «c'était la seule solution». En aînée qu'elle était, elle prend ses boucles d'oreilles les donne à Belkacem, lui demande d'aller les vendre et acheter à manger et même à boire tout son saoul! Belkacem fit ce que lui demanda sa grande soeur et revint quelques instants plus tard avec un poulet, du pain, des oranges et aussi deux bouteilles de vin. Le frère et les deux soeurs pleurèrent longtemps leur enfance heureuse et se remémorèrent leurs parents, leurs anciens amis, le village et la maison. Comme un automate, Saadia se leva, entraîna sa soeur doucement, Belkacem suivait en silence. Le trio alla vers les rails du chemin de fer... le lendemain matin tôt les ouvriers travaillant sur la voie ferrée trouvèrent trois corps écrasés, désarticulés et serrés les uns contre les autres! Les trois avaient sauté depuis le pont et leurs têtes s'étaient fracassées sur l'acier des rails. La police se saisit de l'affaire mais l'enquête a conclu au suicide et on enterra dans un coin du cimetière de la ville les trois malheureux. A leur enterrement, une seule personne a assisté, avec les fossoyeurs, c'était Boussad le fou de la ville qui éclata d'un rire sinistre et, tout en marchant très vite, ne cessait de répéter «ils sont morts les oiseaux!» Aujourd'hui dans le village de Belkacem et de ses soeurs, personne ne se souvient d'eux. Certes quelques personnes âgées ont encore quelques souvenirs mais tout le monde vous dira: «Ils sont partis pour ne plus revenir!» De la maison familiale il ne reste plus que des ruines, personne n'a osé l'habiter, on raconte que toutes les nuits rodent les fantômes des vieux en peine pour leurs enfants! Ceci est l'histoire véridique d'une famille détruite par le mauvais sort!