Ni la classe politique ni la société civile n'ont été associées à l'initiative de révision constitutionnelle, prise sans nul doute il y a plusieurs mois par le président de la République qui en a confié la sous-traitance à un seul parti, le FLN, secondé accessoirement par le parti islamiste, le MSP. La population et ses représentants sont restés spectateurs dubitatifs d'un projet dont ils n'ont connu ni les tenants ni les aboutissants. Une tradition a été dérogée, celle de l'implication de l'ensemble des acteurs publics à l'acte politique majeur que constitue la redéfinition des équilibres politiques et institutionnels dans le pays. Une autre règle a été bafouée, celle de la participation active des rouages étatiques. La démission d'Ouyahia trouverait une de ses explications dans cette éviction - anormale - de l'Etat. L'intérêt de la nation n'a donc pas été la motivation clef de la réforme constitutionnelle. Elle a été programmée en réalité pour la seule prise en charge des préoccupations politiques du moment du groupe dominant incarné par le chef de l'Etat et une coalition de deux ou trois partis. Ces intérêts, quels sont-ils ? On les devine à la lecture des conclusions du groupe de travail du FLN publiées hier dans le quotidien El Khabar. Une présidence à vie pour Bouteflika doté de prérogatives sans limites, sa politique conduite par un Premier ministre doté de larges pouvoirs dépassant ceux de l'Assemblée nationale. Césarisme présidentiel donc et parlementarisme de façade : la nouvelle Constitution devrait assurer l'habillage juridique à tout cela, à charge pour le FLN de la faire adopter par la population. Le choix de ce parti comme architecte de la refonte de la nouvelle loi fondamentale - et d'autres réformes dont celles concernant le code de wilaya et communal - n'est pas fortuit. C'est le parti inconditionnel de Bouteflika lequel, au demeurant, est son président en titre. Disposant d'une majorité écrasante au Parlement et dans la plupart des assemblées élues locales, il constitue une importante force de frappe. Belkhadem, son secrétaire général, est particulièrement dévoué au président de la République qui, en retour, lui a confectionné sa fulgurante carrière actuelle. Tous deux partagent de surcroît les mêmes convictions en matière de réconciliation nationale et de gestion de l'islamisme politique. Un combat politico-idéologique partagé qui suffit à un puissant compagnonnage appelé à se consolider avec les législatives du printemps 2007. Celles-ci devront permettre au FLN d'accentuer sa domination sur le paysage politique du pays. Qui peut s'opposer à cette marche au pas cadencé ? Jamais la marge de manœuvre des constestataires à l'ordre établi n'a été aussi réduite. Le pouvoir a restreint l'activité politique partisane, fermé le monde de l'audiovisuel et harcelé la presse indépendante. Il a développé un système d'allégeance sophistiqué pour assécher les rangs de l'opposition. Ses atouts majeurs sont un baril de pétrole à 70 dollars, une embellie économique et un climat sécuritaire relativement apaisé. Le pouvoir a développé une image valorisante : il est source de richesse et seul pourvoyeur de paix et de bien-être. Bouteflika est devenu la source unique de décision, mettant définitivement fin à ce fameux « pouvoir de l'ombre » sur lequel Saâdani, le président de l'APN, - sur commande - a tiré il y a quelques jours à boulets rouges. Il finit d'achever le règne de ces généraux qui ont partagé les commandes du pays avec lui durant cinq années après avoir commis à son encontre l'affront suprême de l'écarter de la succession à Boumediène puis de l'oublier pendant vingt années dans les sables du désert du Moyen-Orient. La revanche sur ses ennemis et sur le sort sera totalement consommée au lendemain du vote sur la nouvelle Constitution.