En proposant ces jours-ci, Les Vacances de l'Inspecteur Tahar (1973) de Moussa Haddad, la salle El Mougar d'Alger vient rappeler à nos mémoires parfois défaillantes la grandeur — au propre et au figuré — d'un personnage qui demeurera à jamais un des pôles émérites de l'humour algérien. En quarante ans d'existence (1941-1981), Hadj Abderrahmane, de son vrai nom, aura réussi à marquer notre panthéon affectif, inscrivant durablement son manque de gêne dans l'ADN culturel national. Quel brio dans une pauvreté de moyens ! Excepté le long métrage précité, les épisodes télévisuels du personnage (L'Inspecteur mène l'enquête, 1967 ; La Souris, 1968 ; La Poursuite infernale, 1968 ; L'inspecteur marque le but, 1977…) furent réalisés avec peu de choses, prouvant que le contenu et le talent peuvent surpasser la force matérielle et technique. Quelle profondeur littéraire aussi, livrée comme par mégarde, sur un fond loufoque ! Le parallèle entre ce grand échalas, gentiment tyrannique, flanqué de son Apprenti (Yahia Benmabrouk) et le duo universel Don Quichotte-Sancho Pança, saute aux yeux. Quelle capacité encore à rendre avec tant de justesse, dans les paroles, les comportements, les valeurs et les gestes, la société de l'époque ! Donnant à l'accent jijelien une dimension nationale, l'inspecteur Tahar, comme d'autres grands comiques, venait montrer que les particularités régionales ne sont que les couleurs locales d'un même esprit algérien. Quelle audace surtout, en des années dites de plomb où la liberté d'expression était taboue ! Qui aurait alors osé passer cette scène où Inspecteur et Apprenti allaient saisir les journaux dans les kiosques parce qu'ils relataient les échecs de leur enquête contre la Souris, l'ennemi public numéro un ? Ou encore l'Inspecteur haranguant les policiers du Commissariat central pour aller revendiquer auprès de leur divisionnaire ? Et l'on ne finit pas de découvrir les audaces de Hadj Abderrahmane, inimaginables même aujourd'hui où la liberté d'expression est chantée, tel ce sketch El Keyassine, (Les masseurs) donné pour la Fête de la Police où l'inspecteur se voyait dépouillé de ses vêtements dans un hammam à l'enseigne évidemment symbolique : El Istiqlal, l'indépendance ! Il se chuchotait — car en ces temps-là, on chuchotait plus qu'on ne parlait — que le président Boumediène en personne était un fan absolu du personnage. Si cela était avéré, le mérite n'en serait pas moindre. Mais quand la télévision nationale a passé en novembre dernier Les Vacances de l'Inspecteur Tahar, une scène avait été censurée : celle du flirt très chaste entre l'inspecteur et une touriste étrangère. Dans une autre diffusion, ce serait la scène du bar qui aurait été supprimée. Bref, au train où ne vont pas les choses, les prévisionnistes audiovisuels estiment que dans quelques années, les films de l'Inspecteur Tahar seront réduits à leurs génériques. Fin.