Le 3e Festival national du théâtre féminin, qui se déroulera jusqu'au 8 mars au théâtre régional Azzedine Medjoubi de Annaba, rend hommage à titre posthume à la comédienne Yasmina Douar. Annaba De notre envoyé spécial La photo de Yasmina Douar, comédienne disparue le 19 juin 1977 dans un accident de voiture à Arzew, domine l'affiche de couleur violette de la troisième édition du Festival national du théâtre féminin de Annaba. Un hommage particulier est rendu à cette artiste disparue à l'âge de 36 ans. Sa fille, Naïma Bey, a reçu le bouquet de fleurs d'honneur lors de la cérémonie d'ouverture du festival, dimanche soir, au théâtre Azzeddine Mejdoubi. «Je ne m'attendais pas à me retrouver ici pour assister à un hommage à ma mère. Nous avons été oubliées. Pour certains, Yasmina n'a jamais existé, alors que son parcours témoigne de sa contribution à la culture en Algérie. Tous les artistes qui nous visitaient du vivant de ma mère ne viennent plus depuis sa disparition», a déclaré, quelque peu amère, Naïma Bey, qui a perdu sa mère à l'âge de 17 ans. Yasmina Douar est décédée avec les comédiens Aouichet (épouse de Habib Réda), Brahim Fillali et le chauffeur Ahmed Chaïb Draâ dans le même accident. Ils venaient de présenter la pièce Zeït ou Maït ou Negaz el Hit, qu'avait écrite Mohamed Touri, mise en scène par Noureddine El Hachemi. «J'ai vécu avec ma grand-mère. Je n'ai pas connu mon père, disparu alors que j'étais en bas âge. Yasmina était tout le temps en déplacement pour son travail artistique. Je n'ai pas vécu longtemps avec elle. Elle était très attachée à l'art. La famille avait difficilement accepté ce choix. Je la suivais parfois en tournée, elle me laissait dans les coulisses. Lorsqu'elle préparait une pièce, elle enregistrait le texte et l'apprenait par cœur. Même célèbre, elle restait simple, proche des gens. Rien ne lui faisait peur, elle qui avait beaucoup souffert. Elle fonçait. Elle était heureuse dans sa vie artistique, pas dans sa vie familiale», a confié Naïma Bey, disant n'avoir pas le don de sa mère pour suivre une voie artistique. Les droits d'auteur de Yasmina Douar, selon elle, n'ont pas été sauvegardés. «Nous n'avons rien vu, rien obtenu. A chaque fois qu'on soulève la question, on nous évoque le statut de l'artiste. Je pense qu'une loi a été adoptée en ce sens», a-t-elle affirmé. D'après elle, Yasmina Douar admirait le travail de Keltoum, Fatiha Berber, Nouria.... Ali Aïssaoui et Salim Rouabah ont réalisé un court documentaire sur la vie artistique de Yasmina Douar. Basé sur les archives de l'ex-RTA, il reprend des extraits de films, sketchs et pièces dans lesquels la comédienne était distribuée. Yasmina Douar avait plongé dans l'univers des arts grâce à Mohamed Hilmi qui lui avait proposé, en décembre 1963, d'interpréter un rôle dans une pièce. Elle devait rejoindre, trois ans plus tard, le Théâtre national algérien (TNA) après avoir joué dans le long métrage La Nuit a peur du Soleil, de Mustapha Badie, en 1964, aux côtés de Abdelhalim Raïs et Mustapha Kateb. Elle a été distribuée dans les film Les Chiens d'El Hachemi Chérif, Les Enfants de Novembre de Moussa Haddad et Le Combattant de Benamar Bekhti. Un rôle dans la pièce Le Cercle de craie caucasien, de Bertolt Brecht, a lancé véritablement sa carrière au 4e art. Mustapha Kateb avait distribué Yasmina Douar dans Bliss Laouar Kayen Menou, en 1970. La même année, elle interprétait le rôle de Rabéa dans la célèbre pièce Les Concierges, donnant la réplique à Rouiched. En 1973, elle était présente dans les pièces Bab el Foutoh de Taha Al Amiri et Sikat al Salama de Saâd Ardech. Ali Aïssaoui a repris des extraits de déclarations de Yasmina Douar lors du tournage, comme ce fut le cas avec le film de Mohamed Ifticen, Le Réalisateur, où elle avait partagé la distribution avec M'hamed Benguettaf. Il est évident que l'ex-RTA, l'ENTV, n'a réalisé aucune interview longue de Yasmina Douar dans les années 1970. C'est le cas de nombreux artistes algériens partis sans avoir dit un seul mot à une télévision, censée sauvegarder la mémoire visuelle nationale. Questions : à quoi sert une télévision publique ? A quoi servent les archives si elles ne sont pas alimentées, entretenues et mises en valeur ? Le Festival de Annaba a également rendu hommage aux comédiennes Amina Medjoubi, épouse de Azzedine Medjoubi, et à Daoudia Khelladi d'Oran. Le musicien Bouzidi Beljled de Sidi Bel Abbès, décédé d'une crise cardiaque sur le cours de la Révolution, à Annaba, lors d'un spectacle, a été honoré à titre posthume. Sonia Mekiou, commissaire du festival et directrice du théâtre régional de Annaba, a évoqué, dans une brève allocution, la manière avec laquelle elle s'implique dans l'action théâtrale. «Elles ne sont pas des êtres de papier. Elles trébuchent, tombent, se relèvent, se mettent debout à chaque aventure théâtrale. Les femmes amoureuses du théâtre tiennent la braise dans la main et pleurent. Le théâtre est leur destin, leur voix, leur maison», a-t-elle assuré. La représentante de la ministre de la Culture, Mme Bencheikh El Hocine, a salué la présence de coopératives théâtrales aux côtés de théâtres régionaux lors du Festival de Annaba. «Une occasion extraordinaire de rencontres entre gens expérimentés et talents à travers les pièces et les ateliers», a-t-elle souligné. Elle a invité les gens de théâtre à s'inspirer de l'histoire et du patrimoine algériens dans leur création pour que «le théâtre soit toujours cette muraille qui nous protègera des tempêtes, si nombreuses ces derniers temps». Le Festival a été lancé dans une ambiance populaire, avec baroud et Aïssaoua, devant l'entrée de l'imposant bâtiment du théâtre Azzeddine Medjoubi, en présence de nombreux artistes.