Sofiane Haroual, médecin légiste au service de médecine légale du CHU Frantz Fanon de Blida, nous livre son avis sur la procédure du signalement de faits physiques et sexuels graves portés à l'enfant. -Le signalement de violences subies par l'enfant est très souvent évité par les praticiens dans l'exercice de leur fonction. Pourquoi, selon vous, une telle attitude ? Effectivement, le signalement de violences subies par l'enfant est très souvent évité par les praticiens dans l'exercice de leur fonction, et cela pour deux raisons. La première, parce que certains d'entre eux ne savent pas que le signalement de ce type de violence est obligatoire pour tout médecin, quelle que soit sa spécialité. Cela est prévu par la loi sanitaire 90/17 du 31 juillet 1990 dans son article 206, et aussi par le code de déontologie dans son article 54. La seconde raison réside dans le fait que ceux qui sont conscients que ce signalement est obligatoire et important, ignorent comment et auprès de qui s'effectue la procédure. -La démarche du signalement pose-t-elle problème ? A quel niveau se situe le blocage d'une telle procédure ? Signaler consiste à alerter l'autorité administrative ou judiciaire après une évaluation pluridisciplinaire, si possible, différente de l'information qui consiste à «porter à la connaissance de… par voie orale». De ce principe, on peut conclure que le signalement est une chaîne composée de plusieurs maillons ; elle commence par le médecin pour arriver au juge des mineurs en passant par le surveillant médical, le directeur de l'établissement, la police ou la gendarmerie et le procureur de la République. La défaillance d'un de ces maillons entraîne un blocage de la procédure de signalement à un certain niveau. Il faut savoir aussi que signaler un abus sexuel sur mineur ne signifie pas seulement dépôt de plainte. Il ne vise pas à obtenir la condamnation de l'auteur, mais à protéger un enfant en danger. Ce qui nécessite la conscience et la compétence de tous les maillons de cette chaîne de signalement. -Le praticien est tenu par le secret professionnel. Quelle doit être sa position dans les cas de viol ou de violence conjugale par exemple ? Doit-il enfreindre le serment d'Hippocrate ? L'article 301 du code pénal dispose que «les médecins, chirurgiens, sages-femmes ou toute personne dépositaire, par état ou profession ou par fonctions permanentes ou temporaires, des secrets qu'on leur confie – hors le cas ou la loi les oblige ou les autorise à se porter dénonciateurs – révèle qu'ils seront punis d'un emprisonnement d'un à six mois et d'une amende de 500 à 5000 DA». L'article 301 du code pénal précise que la révélation du secret professionnel est prévue (hors le cas ou la loi les oblige ou les autorise à se porter dénonciateurs) le législateur n'ayant pas toujours indiqué quelles étaient ces exceptions. Par contre, la loi sanitaire subordonne de façon impérative la révélation au cas où la loi délie expressément le médecin. La loi sanitaire 90/17 du 31 juillet 1990, dans ses articles 206/2 et 206/3, délie les médecins du secret médical en ce qui concerne les maltraitances envers les mineurs et les oblige à dénoncer ces violences, et cela ne constitue en aucun cas une violation ou une atteinte au serment d'Hippocrate. -Pensez-vous que le signalement soit efficace lorsque l'on sait que, dans notre société, frapper son enfant est érigé en modèle éducationnel ? La violence dans la correction parentale ou la correction à l'école existait et existera, hélas, toujours dans notre modèle éducationnel. Dans l'article 269 du code pénal, «quiconque, volontairement, cause des blessures ou porte des coups à un mineur de seize ans ou le prive volontairement de nourriture ou de soins au point de compromettre sa santé, ou commet volontairement à son encontre toute autre violence ou voie de fait, à l'exclusion des violences légères, est puni d'un emprisonnement d'un à cinq ans et d'une amende de 500 à 5000 DA». Le législateur algérien n'a donné aucune définition de la violence légère, donc il faut faire la part des choses. Concernant les violences physiques graves qui compromettent la santé du mineur, portées de la part des parents ou d'un éducateur, si elles sont diagnostiquées, elles sont obligatoirement signalées auprès des autorités compétentes. Pour ce qui est des maltraitances légères, le médecin ne doit pas se précipiter pour poser le diagnostic de maltraitance physique. Par contre, il va surveiller l'évolution des violences envers le mineur par des rendez-vous réguliers afin d'estimer si le milieu familial ou éducatif constitue un danger ou pas pour un éventuel signalement. Enfin, il faut savoir que la sensibilisation de la population, les structures d'accueil spécialisées et multidisciplinaires pour la déclaration et le signalement pour une prise en charge précoce sont indispensables. Il ne sera possible de réduire le nombre de cas de maltraitance envers les enfants qu'une fois que les stratèges politiques seront convaincus qu'il vaut nettement mieux prévenir que guérir.