Personnage haut par sa taille et haut en couleur par sa personnalité et sa vie quasi-romanesque, l'architecte Fernand Pouillon a toujours fasciné autant les nombreux ennemis qu'il avait réussi à se faire que les admirateurs parmi lesquels ne manquèrent pas, apparemment, courtisans et flagorneurs. La rançon de la gloire sans doute... Qu'une architecte algérienne, Meriem Maâchi-Maïza, ait travaillé sur son œuvre et permis de la remettre en mémoire (lire ci-contre) est une excellente chose, encore que cette œuvre est présente sous nos yeux à travers les nombreuses réalisations qu'il a conçues et suivies, avant et après l'indépendance. Mais avoir une chose sous les yeux ne signifie pas qu'on la voit, encore moins qu'on la regarde. Et, justement, quand on voit ce que sont devenues, par exemple, les Cités Diar El Mahçoul, Diar Essaada et celle des Deux Cents Colonnes, quel pitié ! on peut, bien entendu, se dire qu'après tout elles ne subissent que le sort généralisé d'innombrables ensembles voués à la décrépitude. Mais si l'on considère ce qu'elles représentent dans l'aventure moderne de l'Architecture, comment ne pas s'indigner que nous ne rentabilisons pas plus un patrimoine reconnu mondialement, étudié dans maintes universités, objet de tant d'ouvrages ? Pouillon n'a pas laissé que des chefs-d'œuvre et sa démarche peut et doit être critiquée. Mais personne ne peut nier l'originalité de ses visions et la générosité conceptuelle de ses architectures. On y trouve une quête, dans la modernité, d'une sorte de Méditerranée baroque, parfois trop anecdotique mais toujours intéressante et novatrice. Et ce trésor-là qui, presque partout où il a travaillé, est reconnu, conservé et mis en valeur, s'est transformé chez nous en capharnaüm. Peut-on raisonnablement rêver qu'un décideur décide de le reprendre, de reloger le surplus de population, de restaurer les bâtisses et d'en faire bénéficier, d'abord les habitants, mais aussi le renom d'Alger et d'autres villes concernées, d'attirer même des touristes ? Et l'on pourrait multiplier la démarche tant l'Algérie avait mobilisé d'architectes talentueux et audacieux, Le Corbusier, Claro, Simounet, Ravereau et d'autres encore. Comment mettre en valeur ce véritable patrimoine, savoir y investir pour en récolter les dividendes aussi bien culturels que matériels ? L'équation est assez simple pour qui sait voir et calculer. En attendant de meilleurs jours en la matière et en d'autres, il reste quand même à contempler l'œuvre de Pouillon et lire ses ouvrages, comme ses Mémoires d'un architecte qui datent de 1968 où il affirmait avec son panache habituel et ses envolées donquichottesques : «J'ai opté, immédiatement et avant le soulèvement, pour l'Algérie indépendante, pour les musulmans.» En tout cas, l'Algérie et surtout le président Boumediène le lui ont bien rendu. Au final, il nous a laissé des édifices dont aucun autre pays ne dispose. Il serait simplement bête de ne pas en profiter.