C'était le sujet de son projet de fin d'études à Paris d'où il revint en 1976, enfin architecte, piaffant d'impatience, passionné par cette discipline qu'il entendait comme une machine intelligente à dispenser du bonheur. Il avait appris hélas que la fameuse berge ne deviendrait pas la Grande Promenade des Algériens qu'il avait dessinée. Il avait vu se dresser les cuves de métal et les structures de cette usine qui bientôt s'appliquera aussi à dessaler notre mémoire d'un trésor irremplaçable : la vue magnifique sur la ville et la rade jusqu'à la pointe légendaire de l'Amirauté, ce travelling quasi cinématographique de la route Moutonnière quand on entre à Alger. C'était à ses yeux une page de plus au sinistre mode d'emploi qui pourrait s'intituler : « Comment rendre un pays de plus en plus affreux quand il n'est déjà pas facile à vivre ? » Les monuments délaissés ou pervertis, le mauvais goût porté par l'argent inculte, l'enracinement d'un constructivisme d'Etat dédaigneux de la réflexion. Il avait vu enfin La Casbah — ce lieu qui a donné son nom au pays et par conséquent à chacun de nous — se nécroser, pendant même qu'on la clamait joyau du patrimoine universel et preuve de la vaillance millénaire de notre peuple. Tout cela le minait, autant que sa maladie, affrontée plus de 4 ans avec une incroyable dignité, jusqu'à l'orée de ses 56 ans. A son retour, il s'était lancé à la recherche d'une nouvelle architecture, résolument moderne mais inspirée de notre patrimoine, authentique mais libérée du folklorisme qui fait passer une arcade par ci, une faïence par là, comme une marque d'algérianité, quand l'école néo-mauresque, archétype de l'architecture coloniale, faisait déjà mieux en disposant d'artisans algériens émérites. Dans son travail, comme dans son vécu, il ne cherchait pas l'anecdote et le détail, mais la légende et le sens. Il prônait, à la suite des grands architectes fascinés par les édifices traditionnels d'Algérie, combien ces derniers étaient modernes avant l'heure, non pas dans leurs décors, mais dans leurs structures mêmes, leur adaptation subtile au site et au climat et une gestion rationnelle des espaces. Il croyait en la possibilité d'une architecture algérienne novatrice, fondée sur l'histoire des constructions dans notre pays et une reconnaissance critique des concepts et œuvres des architectes contemporains y ayant travaillé, tels Pouillon, Le Corbusier, Claro et autres. Il se sentait proche du langage architectural de Roland Simounet, seul de ces architectes brillants à être né en Algérie et dont la démarche lui paraissait pertinente. Abdenour Djellouli n'eut pas la possibilité d'affirmer sa démarche. Il n'accéda que rarement aux commandes publiques, incompris des décideurs parce qu'il défendait le droit des architectes à la création, ne tolérant pas que des projets d'intérêt social soient envisagés dans une dérision de pensée et d'objectifs. Pour lui, toute construction devait s'intégrer dans l'harmonie d'un besoin avec une histoire, une culture et un lieu. Très sollicité pour la conception de demeures privées, souvent par des ambassades, des industriels lettrés ou des cadres, il a donné là toute la mesure d'un talent qui rêvait pourtant d'édifices collectifs. Il ne cessait de lire, essais et grande littérature, attentif à tous les arts, fin débatteur d'idées à l'écoute attachante. Il laisse quelques écrits précieux. Sa contribution à la revue Esprit (Spécial avec l'Algérie, parue en janvier 1995, publiée en ouvrage en 1998 aux éditions Odile Jacob, Paris) qu'il avait intitulée « La ville absente » et dans laquelle il traitait du traumatisme de l'espace et de la ville en Algérie. De même, à la même période, il se signala par un article marquant dans Le Monde ainsi que diverses analyses spécialisées. Adepte invétéré de la beauté, il était capable d'aller cueillir sur les flancs du mont Chenoua le spectacle du soleil levant sur les eaux de Tipaza, en discourant de poésie avec un ami. Il considérait le Chouay derrière la place de Chéraga comme le meilleur restaurant de la capitale. Vendredi dernier, dans le cimetière de Sidi Abderrahmane Ethaâlibi, patron spirituel d'Alger, dans ce mausolée où il vécut en partie – son père, Cheikh El Miliani, ayant été près de 30 ans l'imam éclairé de ce lieu – il y avait foule. Une foule émue où se côtoyaient maçons, hauts fonctionnaires, plombiers, grands managers, petits commerçants, artistes, garçons de café, ministres et chômeurs, dans une diversité qui faisait grâce à son respect et sa générosité à l'égard de tout être. L'image d'une Algérie telle qu'il l'avait rêvée. Ensoleillée et fraternelle.